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13/07/2023 | FRANCE | N°475576

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 13 juillet 2023, 475576


Vu les procédures suivantes :

Par une première requête, Mme E... I..., agissant en qualité de représentante légale de Mmes B... K... G... A... et D... L... F..., a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nantes, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, en premier lieu, de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, en deuxième lieu, d'enjoindre au ministre de l'Europe et des affaires étrangères de délivrer un laissez-passer à Mmes B... K... G... A... et D... L... F... ainsi qu'à Mme E... I...,

leur grand-mère et à Mmes R... et N..., leurs tantes, dans un délai de...

Vu les procédures suivantes :

Par une première requête, Mme E... I..., agissant en qualité de représentante légale de Mmes B... K... G... A... et D... L... F..., a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nantes, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, en premier lieu, de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, en deuxième lieu, d'enjoindre au ministre de l'Europe et des affaires étrangères de délivrer un laissez-passer à Mmes B... K... G... A... et D... L... F... ainsi qu'à Mme E... I..., leur grand-mère et à Mmes R... et N..., leurs tantes, dans un délai de vingt-quatre heures à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir et de prendre contact avec elles sans délai et, en dernier lieu, d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer un visa d'entrée en France, à Mmes B... K... G... A... et D... L... F... ainsi qu'à Mmes E... I..., R... et N..., dans un délai de vingt-quatre heures à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir.

Par une ordonnance n° 2308288 du 15 juin 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a, en premier lieu, admis Mme I..., au bénéfice provisoire de l'aide juridictionnelle, en deuxième lieu, admis les interventions de l'association ELENA FRANCE et du GISTI, en troisième lieu, enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer un laissez-passer à Mmes B... K... G... A... et D... L... F... en vue de leur entrée en France et de prendre toute mesure pour remettre de manière effective aux intéressées ces documents, dans un délai de soixante-douze heures à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir, mis à la charge de l'Etat le versement à Me Cabot, avocate de Mme I..., d'une somme de 800 euros au titre des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve que celle-ci renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, et rejeté le surplus des conclusions de la requête.

Par une seconde requête, Mme E... I..., agissant en qualité de représentante légale de Mmes B... K... G... et D... L... F... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nantes, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une part, de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire et, d'autre part, d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de prendre des mesures immédiates afin d'exécuter l'ordonnance n° 2308288 de la juge des référés du tribunal de Nantes du 15 juin 2023, à titre principal, par la remise à Mme E... I... d'un laissez-passer et d'un visa, dans un délai de vingt-quatre heures à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir, à titre subsidiaire, par le déplacement d'un agent consulaire auprès de Mmes B... K... G... A... et D... L... F... pour leur remettre un laissez-passer et les accompagner lors de la traversée de la frontière, et, en tout état de cause, de prendre contact avec les intéressées sans délai, le tout sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard.

Par une ordonnance n° 2309356 du 3 juillet 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a, d'une part, admis Mme I... et, d'autre part, rejeté sa demande.

I. Sous le n° 475576, par une requête, enregistrée le 3 juillet 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'intérieur et des outre-mer demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler les articles 3 et 4 de l'ordonnance n° 2308288 du 15 juin 2023 du juge des référés du tribunal administratif de Nantes ;

2°) de dire qu'il n'y a pas lieu de statuer sur l'ensemble de la requête de première instance de Mme E... I....

Il soutient que :

- aucune atteinte grave et manifestement illégale n'a été portée à une liberté fondamentale ;

- la destruction des passeports de Mmes B... K... G... A... et D... L... F... n'est pas imputable à l'administration française, qui n'en était pas possession, et est constitutive d'un cas de force majeure ;

- l'injonction faite par le juge des référés du tribunal administratif de Nantes de prendre toute mesure pour remettre de manière effective aux intéressées un laissez-passer dans un délai de soixante-douze heures à compter de la notification de l'ordonnance contestée est matériellement impossible à mettre en œuvre en raison de circonstances exceptionnelles et aboutirait, en pratique, à ordonner l'engagement de négociations entre la France et des autorités étrangères en vue de remettre un laissez-passer sur le territoire français aux intéressées, ce qui est constitutif d'un acte de gouvernement dont il n'appartient pas au juge administratif de connaître ;

- il appartient à Mmes B... K... G... A... et D... L... F... de se rapprocher du poste consulaire de leur choix pour déposer leur demande de réunification familiale ou retirer un laisser-passez consulaire sans qu'aucune condition de séjour régulier ne soit exigée pour les membres de famille de réfugiés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 7 juillet 2023, Mme E... I..., représentée par la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, conclut au rejet de la requête. Elle soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Par un mémoire en intervention, enregistré le 10 juillet 2023, le Groupement d'information et de soutien des immigré.e.s (GISTI), ELENA France, la Cimade et la Ligue des droits de l'homme concluent à la recevabilité de leur intervention volontaire et au rejet de la requête. Les associations soutiennent qu'elles ont un intérêt à intervenir et que les moyens soulevés ne sont pas fondés

II. Sous le n° 475629, par une requête, enregistrée le 4 juillet 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme E... I..., agissant pour le compte de Mmes B... K... G... et D... L... F..., demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'accorder à Mmes B... K... G... A... et D... L... F... le bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire ;

2°) d'annuler l'ordonnance n° 2309356 du 3 juillet 2023 du juge des référés du tribunal administratif de Nantes ;

3°) à titre principal, d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de prendre des mesures immédiates afin d'exécuter l'ordonnance n° 2308288 du 15 juin 2023, par la remise à leur grand-mère maternelle, Mme J..., d'un laissez-passer et d'un visa, dans un délai de vingt-quatre heures ;

4°) à défaut, d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de prendre des mesures immédiates afin d'exécuter l'ordonnance du 15 juin 2023 ;

5°) d'assortir cette injonction d'une astreinte de 1 000 euros par jour de retard ;

6°) de mettre à la charge de l'Etat, si le bénéfice de l'aide juridictionnelle lui est accordé, la somme de 3 000 euros à verser à Me Cabot au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, sous réserve que Me Cabot renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle ;

7°) à défaut, si la demande est rejetée, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à lui verser au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que, d'une part, la séparation d'avec ses enfants mineures, Mmes B... K... G... et D... L... F..., depuis plus de deux ans, dans un contexte de guerre civile au Soudan et de dégradation brutale de la situation sécuritaire depuis le 15 avril 2023, présente des risques sérieux pour leur sécurité et leur intégrité et, d'autre part, ses filles ont été déplacées dans une zone non sécurisée en proie à des attaques et combats, leurs besoins les plus élémentaires et leur intégrité physique et mentale ne sont plus assurées ;

- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à plusieurs libertés fondamentales ;

- contrairement à ce que le juge des référés de première instance a retenu, l'absence de mesures prises par le ministre de l'intérieur et des outre-mer pour faire exécuter l'ordonnance du 15 juin 2023 est constitutive d'une carence de l'administration dont il appartient au juge administratif de connaître ;

- contrairement à ce que le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a retenu, l'absence de délivrance d'un visa ou d'un laissez-passer à Mme J..., grand-mère maternelle des requérantes, afin que ces dernières puissent être accompagnées dans le cadre de l'exécution de l'injonction prononcée par l'ordonnance du 15 juin 2023, porte une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ;

- la carence de l'administration méconnaît son droit et celui de ses filles de mener une vie familiale normale, dès lors que la réunification familiale s'en trouve empêchée ;

- la carence de l'administration porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit à la vie des requérantes ainsi qu'à leur droit de ne pas être soumises à des traitements inhumains ou dégradants, dès lors que leur présence au Soudan les expose à un danger imminent en raison du conflit armé, marqué par des attaques commises contre les populations civiles et des exactions perpétrées à l'encontre des femmes ;

- la carence de l'administration place les requérantes dans l'impossibilité de se déplacer, ce qui, d'une part, porte atteinte à leur liberté de circulation et, d'autre part, méconnaît l'intérêt supérieur de l'enfant dès lors que ses filles sont séparées d'elle et font face à un danger immédiat.

Par un mémoire en défense, enregistré le 10 juillet 2023, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite, et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Par un mémoire en intervention, enregistré le 10 juillet 2023, le Groupement d'information et de soutien des immigré.e.s (GISTI), ELENA France, la Cimade et la Ligue des droits de l'homme concluent à la recevabilité de leur intervention volontaire et à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de la requête.

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, Mme E... I..., le Groupement d'information et de soutien des immigré.e.s (GISTI), ELENA France, la Cimade et la Ligue des droits de l'homme, et d'autre part, le ministre de l'intérieur et des outre-mer ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 11 juillet 2023, à 15 heures :

- Me Uzan-Sarano, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation avocat de Mme E... I... ainsi que des associations intervenantes Groupement d'information et de soutien des immigré.e.s (GISTI), ELENA France, La Cimade et la Ligue des droits de l'homme ;

- la représentante de Mme E... I... ;

- les représentants du ministre de l'intérieur et des outre-mer ;

- la représentante de l'association Elena France

à l'issue de laquelle le juge des référés a clôt l'instruction ;

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes visées ci-dessus, présentées sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, présentent à juger les mêmes questions. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une même ordonnance.

Sur les interventions :

2. Eu égard à leur objet statutaire et à la nature du litige, le Groupement d'information et de soutien des immigré.e.s (GISTI), ELENA France, la Cimade et la Ligue des droits de l'homme justifient d'un intérêt suffisant à intervenir dans les présentes instances. Leur intervention est, par suite, recevable.

Sur les demandes en référé :

3. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".

4. Le 8 juin 2022, les jeunes B... K... M... A... et D... L... F..., ressortissantes soudanaises âgées respectivement de 17 et 9 ans, ont déposé auprès des autorités consulaires françaises de Khartoum des demandes de visa au titre de la réunification familiale avec leur mère, Mme I..., ressortissante soudanaise qui indique résider depuis 2020 en France où elle s'est vue reconnaître le 11 février 2022 la qualité de réfugiée. Sans avoir obtenu de réponse à leur demande et en raison du conflit qui a éclaté au Soudan, elles ont, accompagnées de Mmes J..., Q... et N..., qu'elles présentent comme leur grand-mère maternelle et leurs tantes, quitté Khartoum pour se rendre à la frontière avec l'Egypte. Mme I... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nantes, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre aux ministres de l'intérieur et des outre-mer et de l'Europe et des affaires étrangères de délivrer un visa d'entrée en France et un laissez-passer aux jeunes B... et D... ainsi qu'à Mmes J..., Q... et N.... Par une ordonnance du 15 juin 2023, la juge des référés a " enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer un laissez-passer aux jeunes B... K... M... A... et D... L... F... en vue de leur entrée en France et de prendre toute mesure pour remettre de manière effective aux intéressées ces documents, dans un délai de 72 heures à compter de la notification de la présente ordonnance ". Elle a en revanche rejeté les demandes concernant les autres personnes. Le ministre de l'intérieur et des outre-mer interjette appel de cette ordonnance en tant qu'elle a fait droit à certaines des demandes de Mme I....

5. Le 29 juin, les jeunes B... et D... se trouvant toujours à la frontière égyptienne qu'elles ne peuvent pas franchir et n'ayant pas reçu les laissez-passer, Mme I... a saisi de nouveau le juge des référés du tribunal administratif de Nantes, sur le fondement des mêmes dispositions, afin qu'il enjoigne au ministre de l'intérieur et des outre-mer " de prendre des mesures immédiates afin d'exécuter l'ordonnance du 15 juin 2023, à titre principal par la remise à Mme I... d'un laissez-passer et d'un visa, dans un délai de 24 heures à compter de l'ordonnance à intervenir, à titre subsidiaire, par le déplacement d'un agent consulaire auprès des jeunes B... et D... pour leur remettre un laissez-passer et les accompagner lors de la traversée de la frontière ". Par une ordonnance du 3 juillet 2023 dont Mme I... interjette appel, la juge des référés a rejeté ses demandes.

En ce qui concerne l'appel du ministre de l'intérieur contre l'ordonnance du 15 juin 2023 :

6. Aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'aile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; / 2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue ; / 3° Par les enfants non mariés du couple, n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire. / (...) L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite ". Aux termes de l'article L. 561-5 du même code : " Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. Ils produisent pour cela les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. / En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 121-9 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux ". Il appartient aux autorités françaises de prendre les mesures permettant aux ressortissants étrangers pouvant bénéficier d'une réunification familiale de faire valoir leur droit par la délivrance d'un visa ou de toute autre mesure équivalente. A défaut, le juge des référés est compétent pour leur enjoindre, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, de prendre de telles mesures. En revanche, la juridiction administrative n'est pas compétente pour connaître des demandes tendant à ce que soit organisée l'évacuation de ressortissants étrangers du territoire de l'Etat dans lequel ils se trouvent, alors même qu'ils ont vocation à bénéficier des dispositions précitées.

7. Il ressort tant des termes de l'ordonnance attaquée du 15 juin 2023 qui enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer un laissez-passer aux jeunes B... et D... " en vue de leur entrée en France et de prendre toute mesure pour remettre de manière effective aux intéressés ces documents ", que des motifs de l'ordonnance du 3 juillet de la même juge qui indiquent que l'injonction qu'elle a prononcée " n'a pas pour effet d'imposer au ministre de l'intérieur et des outre-mer d'organiser le franchissement par les intéressées de la frontière entre le Soudan et l'Egypte ou un autre Etat, ni de dépêcher un agent consulaire français au Soudan ", que, contrairement à ce que soutient le ministre de l'intérieur, la juge des référés ne lui a ordonné ni d'acheminer les laissez-passer par voie postale, ni de dépêcher sur place un agent consulaire afin qu'il remette ces documents aux intéressées, ni d'obtenir des autorités égyptiennes qu'elles laissent entrer les intéressées sur leur territoire. Par suite, le ministre de l'intérieur et des outre-mer, qui ne conteste pas le droit des jeunes B... et D... de bénéficier de la réunification familiale et d'obtenir, pour ce faire, des laissez-passer leur permettant, faute de disposer de passeports en cours de validité, d'entrer en France, n'est pas fondé à soutenir qu'en prononçant l'injonction litigieuse, la juge des référés du tribunal administratif de Nantes aurait excédé les pouvoirs qu'elle tenait des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, tels qu'ils ont été rappelés au point précédent. Sa requête doit, par suite, être rejetée.

En ce qui concerne l'appel de Mme I... contre l'ordonnance du 3 juillet 2023 :

8. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 6 que la requérante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que la juge des référés du tribunal administratif de Nantes a jugé qu'il n'appartenait pas au juge administratif d'enjoindre aux autorités françaises d'organiser le franchissement par les jeunes B... et D... de la frontière entre le Soudan et l'Egypte ou tout autre Etat étranger, ni de dépêcher un agent consulaire français au Soudan, actes non détachables de la conduite des relations internationales de la France.

9. En deuxième lieu, le ministre de l'intérieur et des outre-mer fait valoir tant dans ses écritures que dans ses déclarations au cours de l'audience publique que des laissez-passer qui leur permettront d'entrer sur le territoire français, même dépourvues de passeports en cours de validité, seront mis à la disposition des jeunes B... et D... dans tout poste consulaire français auquel elles seront susceptibles de se présenter, sans condition de délai. Si Mme I... fait valoir que des modalités de transmission de ces documents à leurs titulaires au Soudan seraient envisageables, notamment par l'intermédiaire d'organisations humanitaires présentes sur les lieux, il résulte de l'instruction d'une part qu'il n'est pas établi que ces documents, émis par les autorités françaises pour l'entrée sur le territoire français, permettent l'entrée sur le territoire égyptien, d'autre part que l'acheminement de ces documents par voie postale au Soudan est tout état de cause, compte tenu de la situation actuelle dans cet Etat, matériellement impossible et qu'il n'appartient pas au juge des référés d'ordonner des mesures qui impliqueraient l'intervention d'autres personnes que les personnes publiques françaises. Par suite, Mme I... n'est pas fondée à soutenir que l'absence de remise effective des laissez-passer aux jeunes D... et B... constituerait de la part des autorités françaises une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.

10. En troisième et dernier lieu, Mme I... ne conteste pas sérieusement les motifs par lesquels l'auteur de l'ordonnance attaquée a rejeté sa demande tendant à ce qu'il soit enjoint de lui délivrer un visa d'entrée en France, qu'elle n'avait pas demandé et dont elle n'a pas besoin, puisqu'elle se trouve déjà en France.

11. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que Mme I... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, la juge des référés du tribunal administratif de Nantes a rejeté ses demandes.

Sur les conclusions présentées sur le fondement de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'admettre Mme I... au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 font en revanche obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pour l'essentiel pas, dans la présente instance, la partie perdante.

O R D O N N E :

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Article 1er : Mme I... est admise à l'aide juridictionnelle provisoire.

Article 2 : Les interventions du Groupement d'information et de soutien des immigré.e.s (GISTI), de l'association ELENA France, de la Cimade et de la Ligue des droits de l'homme sont admises.

Article 3 : La requête du ministre de l'intérieur et des outre-mer et le surplus des conclusions de la requête de Mme I... sont rejetées.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à Mme E... I... et au Groupement d'information et de soutien des immigré.e.s (GISTI), à l'association ELENA France, à la Cimade et à la Ligue des droits de l'homme

Copie en sera adressée à la ministre de l'Europe et des affaires étrangères.

Fait à Paris, le 13 juillet 2023

Signé : Gilles Pellissier


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 475576
Date de la décision : 13/07/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 13 jui. 2023, n° 475576
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO et GOULET

Origine de la décision
Date de l'import : 15/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:475576.20230713
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