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12/07/2023 | FRANCE | N°461819

France | France, Conseil d'État, 5ème chambre, 12 juillet 2023, 461819


Vu la procédure suivante :

Mme A... D... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de condamner le centre hospitalier René Dubos de Pontoise à lui verser la somme de 445 290,15 euros en réparation des préjudices résultant du décès de M. D.... Par un jugement n° 1610239 du 29 janvier 2019, le tribunal administratif a condamné le centre hospitalier René Dubos, d'une part à verser à Mme D... la somme de 38 514,54 euros en réparation de son préjudice propre, la somme de 12 500 euros en sa qualité de représentante légale de B... D..., la somme de 11 650,03 euro

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Vu la procédure suivante :

Mme A... D... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de condamner le centre hospitalier René Dubos de Pontoise à lui verser la somme de 445 290,15 euros en réparation des préjudices résultant du décès de M. D.... Par un jugement n° 1610239 du 29 janvier 2019, le tribunal administratif a condamné le centre hospitalier René Dubos, d'une part à verser à Mme D... la somme de 38 514,54 euros en réparation de son préjudice propre, la somme de 12 500 euros en sa qualité de représentante légale de B... D..., la somme de 11 650,03 euros en sa qualité de représentante légale de C... D..., d'autre part à verser la somme de 115 323,97 euros à la société Pacifica.

Par un arrêt n° 19VE01095 du 23 décembre 2021, la cour administrative d'appel de Versailles a, sur appel du centre hospitalier René Dubos, annulé ce jugement et rejeté la demande de première instance et les conclusions d'appel incident des consorts D..., ainsi que les conclusions présentées devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, et, en appel, par la société Pacifica, son assureur.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 23 février et 24 mai 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme D..., agissant en son nom personnel ainsi qu'au nom de ses deux enfants mineurs B... et C... D..., demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel du centre hospitalier René Dubos ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier René Dubos la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Olivier Rousselle, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Maxime Boutron, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Gaschignard, Loiseau, Massignon, avocat de Mme D... et à la SCP Richard, avocat du centre hospitalier René Dubos de Pontoise.

1. Il ressort des pièces du dossier que, le 8 juillet 2014, M. D..., qui souffrait de douleurs thoraciques, de malaises et de vertiges, a été admis, vers 23 heures 30, au service des urgences du centre hospitalier René Dubos à Pontoise où un électrocardiogramme et des analyses sanguines ont été effectués et du paracétamol lui a été administré. Autorisé à rentrer à son domicile à 5 heures 30, le lendemain, il a ressenti, vers 11 heures, un nouveau malaise et s'est présenté au centre médico-chirurgical Marie Lannelongue, qui l'a immédiatement hospitalisé, vers 13 heures, dans le service de chirurgie thoracique et vasculaire où une coronarographie a été pratiquée. M. D... est décédé à 20 heures 30, après quarante-cinq minutes de tentatives de réanimation. Son épouse a saisi la commission régionale de conciliation et d'indemnisation d'Ile-de-France, (CRCI IF), qui a prescrit la réalisation d'une expertise et a rendu le 22 décembre 2015 un avis favorable à son indemnisation. Le centre hospitalier René Dubos ayant refusé de l'indemniser, Mme D... a demandé réparation des préjudices résultant du décès de son mari. Par un jugement du 29 janvier 2019, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a condamné le centre hospitalier René Dubos, d'une part à verser à Mme D... la somme de 38 514,54 euros en réparation de son préjudice propre, la somme de 12 500 euros en sa qualité de représentante légale de B... D..., la somme de 11 650,03 euros en sa qualité de représentante légale de C... D..., d'autre part à verser la somme de 115 323,97 euros à la société Pacifica. Par un arrêt du 23 décembre 2021, la cour administrative d'appel de Versailles a annulé ce jugement et rejeté la demande et les conclusions d'appel incident de Mme D..., ainsi que les conclusions présentées par la société Pacifica, son assureur. Mme D..., agissant tant en son nom personnel qu'au nom de ses deux enfants mineurs B... et C... D..., se pourvoit en cassation contre cet arrêt.

2. D'une part, dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel survenu, mais la perte d'une chance d'éviter ce dommage. La réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.

3. D'autre part, lorsqu'une pathologie prise en charge dans des conditions fautives a entraîné une détérioration de l'état du patient ou son décès, c'est seulement lorsqu'il peut être affirmé de manière certaine qu'une prise en charge adéquate n'aurait pas permis d'éviter ces conséquences que l'existence d'une perte de chance ouvrant droit à réparation peut être écartée.

4. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la cour a, d'une part, retenu, au point 4 de son arrêt, que les fautes commises par le centre hospitalier René Dubos de Pontoise dans la prise en charge médicale de M. D... lors de son admission au service des urgences, ne pouvaient être regardées comme la cause directe et exclusive du décès de l'intéressé et n'avaient pu avoir pour effet que de priver M. D... d'une chance d'éviter, le lendemain, après son admission au centre médico-chirurgical Marie Lannelongue, la réalisation d'une coronarographie à l'occasion de laquelle il est décédé après l'injection du produit de contraste nécessaire à cet examen. Elle a, d'autre part, au point 5 de son arrêt, pour écarter, dans un second temps, également toute perte de chance, retenu, en premier lieu, que les conditions dans lesquelles M. D... a été pris en charge, la veille de son décès, au centre hospitalier René Dubos n'ont pas permis de faire le diagnostic du syndrome coronarien ST- dont le patient souffrait et qu'une prise en charge adaptée dans ce centre hospitalier aurait permis de soumettre M. D... à des investigations complémentaires et de réaliser une angioplastie à froid, en deuxième lieu, que, selon le rapport d'expertise, les chances de survie de M. D... ont été évaluées à cinq ans en tenant compte d'une revascularisation relevant d'une prise en charge conforme et, en troisième lieu, que la coronarographie effectuée au centre médico-chirurgical Marie Lannelongue n'avait pas été fautive. La cour a entaché son arrêt d'une erreur de droit en déduisant de ce que les conditions non fautives dans lesquelles il a été pris en charge par le centre médico-chirurgical Marie Lannelongue ne lui avaient pas fait perdre de chance d'échapper au décès dont il a été victime dans cet établissement, la conséquence que les conditions fautives dans lesquelles il a été pris en charge médicalement, la veille, par le centre hospitalier René Dubos de Pontoise, ne lui avaient pas finalement fait perdre une chance d'éviter ce décès. Elle a également commis une erreur de droit dès lors que la cour n'a pu affirmer de manière certaine, au vu de ses propres constatations, qu'une prise en charge adéquate par le centre hospitalier René Dubos n'aurait pas permis d'éviter ces conséquences.

5. Il résulte de ce qui précède que Mme D... est fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen de son pourvoi.

6. Il y a lieu de mettre à la charge du centre hospitalier René Dubos la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font, en revanche, obstacle à ce que soit mise à la charge de Mme D..., qui n'est pas la partie perdante, la somme que demande le centre hospitalier René Dubos au même titre.

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles du 23 décembre 2021 est annulé

Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Versailles.

Article 3 : Le centre hospitalier René Dubos versera à Mme D... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions présentées par le centre hospitalier René Dubos au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mme A... D... et au centre hospitalier René Dubos de Pontoise.

Délibéré à l'issue de la séance du 22 juin 2023 où siégeaient : M. Olivier Yeznikian, assesseur, présidant ; Mme Fabienne Lambolez, conseillère d'Etat et M. Olivier Rousselle, conseiller d'Etat-rapporteur.

Rendu le 12 juillet 2023.

Le président :

Signé : M. Olivier Yeznikian

Le rapporteur :

Signé : M. Olivier Rousselle

La secrétaire :

Signé : Mme Nathalie Pilet


Synthèse
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 461819
Date de la décision : 12/07/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 12 jui. 2023, n° 461819
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Olivier Rousselle
Rapporteur public ?: M. Maxime Boutron
Avocat(s) : SCP GASCHIGNARD, LOISEAU, MASSIGNON ; SCP RICHARD

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:461819.20230712
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