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14/06/2023 | FRANCE | N°474353

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 14 juin 2023, 474353


Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 22 mai 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Institut Montaigne demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution des décisions des 11 mars 2022, 29 septembre 2022 et 26 janvier 2023 par laquelle la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) lui a demandé de procéder à son inscription sur le répertoire des représentants d'intérêts ou, à défaut, de faire ét

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2°)...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 22 mai 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Institut Montaigne demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution des décisions des 11 mars 2022, 29 septembre 2022 et 26 janvier 2023 par laquelle la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) lui a demandé de procéder à son inscription sur le répertoire des représentants d'intérêts ou, à défaut, de faire état de ses entrées en communication avec des responsables publics français ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- sa requête est recevable dès lors que, d'une part, il a introduit un recours au fond dans le délai imparti contre les décisions des 11 mars 2022, 29 septembre 2022 et 26 janvier 2023 et, d'autre part, ces décisions sont des actes administratifs qui lui font grief dont il peut contester la légalité ;

- la condition d'urgence est satisfaite eu égard au risque pénal effectif auquel l'exposent les décisions contestées, qui est de nature à l'inciter à les exécuter avant que son recours au fond ne soit jugé et par suite à préjudicier de manière irréversible à sa liberté d'expression, au droit au respect de sa vie privée et, plus généralement, à l'intérêt public s'attachant à la liberté du débat démocratique ;

- il existe un doute sérieux quant à la légalité des décisions contestées ;

- les décisions contestées méconnaissent l'article 18-2 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 modifiée relative à la transparence de la vie publique en ce qu'elles lui attribuent la qualité de " représentant d'intérêts " au sens de cette disposition, alors que son activité ne vise ni à défendre des intérêts particuliers ou catégoriels, ni à influer de façon principale ou régulière sur une ou plusieurs décisions publiques ;

- elles méconnaissent sa liberté d'expression et le droit au respect de sa vie privée et de sa correspondance, en ce que, en premier lieu, elles lui imposent des obligations coûteuses qui le détournent de sa mission première de recherche et d'analyse, en deuxième lieu, elles lui assignent la qualité de " représentant d'intérêts " qui est de nature à remettre en cause sa capacité à participer à un débat public éclairé dans une société démocratique en le privant de l'indépendance nécessaire et, en dernier lieu, elles portent atteinte au secret de ses sources, qui est indispensable à la production d'études fiables et pertinentes.

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 juin 2023, la HATVP conclut au rejet de la requête. Elle soutient que la requête est irrecevable dès lors que les décisions contestées ne font pas grief, que la condition d'urgence n'est pas satisfaite, et qu'il n'existe pas de moyens propres à faire naître un doute sérieux quant à la légalité des décisions contestées.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, et notamment son Préambule ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 modifiée, notamment ses articles 18-1 à 18-7 ;

- le décret n° 2017-867 du 9 mai 2017 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, l'Institut Montaigne, et d'autre part, la HATVP ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 9 juin 2023, à 10 heures 30 :

- Me Spinosi, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de l'Institut Montaigne ;

- le représentant de l'Institut Montaigne ;

- les représentants de la HATVP ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a reporté la clôture de l'instruction au lundi 12 juin 2023 à 12 heures ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ". L'urgence justifie la suspension de l'exécution d'un acte administratif lorsque celui-ci porte atteinte de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte contesté sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue. L'urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire.

2. Aux termes de l'article 18-1 de la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique : " Un répertoire numérique assure l'information des citoyens sur les relations entre les représentants d'intérêts et les pouvoirs publics. / Ce répertoire est rendu public par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. (...) / Ce répertoire fait état, pour chaque représentant d'intérêts, des informations communiquées en application de l'article 18-3 de la présente loi. (...) ". Aux termes de l'article 18-2 de la même loi : " Sont des représentants d'intérêts, au sens de la présente section, les personnes morales de droit privé, les établissements publics ou groupements publics exerçant une activité industrielle et commerciale, les organismes mentionnés au chapitre Ier du titre Ier du livre VII du code de commerce, au titre II du code de l'artisanat et au titre Ier du livre V du code rural et de la pêche maritime, dont un dirigeant, un employé ou un membre a pour activité principale ou régulière d'influer sur la décision publique, notamment sur le contenu d'une loi ou d'un acte réglementaire en entrant en communication avec " un certain nombre de personnes exerçant des fonctions publiques. Aux termes du même article : " Sont également des représentants d'intérêts, au sens de la présente section, les personnes physiques qui ne sont pas employées par une personne morale mentionnée au premier alinéa du présent article et qui exercent à titre individuel une activité professionnelle répondant aux conditions fixées au même premier alinéa. / Ne sont pas des représentants d'intérêts au sens de la présente section : / a) Les élus, dans l'exercice de leur mandat ; / b) Les partis et groupements politiques, dans le cadre de leur mission prévue à l'article 4 de la Constitution ; / c) Les organisations syndicales de fonctionnaires et, dans le cadre de la négociation prévue à l'article L. 1 du code du travail, les organisations syndicales de salariés et les organisations professionnelles d'employeurs ; / d) Les associations à objet cultuel ; / e) Les associations représentatives des élus dans l'exercice des missions prévues dans leurs statuts ". L'article 18-3 de la même loi dispose que " Tout représentant d'intérêts communique à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, par l'intermédiaire d'un téléservice les informations suivantes ".

3. Aux termes de l'article 18-6 de la même loi : " La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique s'assure du respect des articles 18-3 et 18-5 par les représentants d'intérêts. (...) ". L'article 18-7 dispose que " Lorsque la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique constate, de sa propre initiative ou à la suite d'un signalement, un manquement aux règles prévues aux articles 18-3 et 18-5, elle : 1° Adresse au représentant d'intérêts concerné une mise en demeure, qu'elle peut rendre publique, de respecter les obligations auxquelles il est assujetti, après l'avoir mis en état de présenter ses observations ; (...) " L'article 8 du décret du 9 mai 2017 relatif au répertoire numérique des représentants d'intérêts dispose que " La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique notifie au représentant d'intérêts le ou les manquements aux obligations lui incombant. Ce dernier peut adresser ses observations dans un délai d'un mois. / A l'issue de ce délai, la Haute Autorité peut, conformément au 1° de l'article 18-7 de la loi du 11 octobre 2013 susvisée, adresser une mise en demeure, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, au représentant d'intérêts concerné. / Cette mise en demeure est susceptible de recours dans un délai de deux mois à compter de sa réception. ".

4. Aux termes de l'article 18-9 de la même loi : " Le fait, pour un représentant d'intérêts, de ne pas communiquer, de sa propre initiative ou à la demande de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, les informations qu'il est tenu de communiquer à cette dernière en application de l'article 18-3 est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 € d'amende ".

5. La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) a, en 2020, conduit des échanges avec plusieurs groupes de réflexion ou " think tanks ", en particulier l'Institut Montaigne, la Fondation pour l'innovation politique, Terra Nova et la Fondation Jean Jaurès, afin de déterminer si ces groupes de réflexion constituaient des représentants d'intérêts au sens des dispositions précitées de la loi du 11 octobre 2013. Estimant que l'Institut Montaigne était, comme les autres groupes de réflexion, susceptible d'entrer dans le champ d'application de ces dispositions, la HATVP a, par un courrier du 11 mars 2022 signé par sa directrice du contrôle des représentants d'intérêts, demandé à l'Institut Montaigne de s'inscrire au répertoire des représentants d'intérêts ou, à défaut, de transmettre toutes les entrées en communication avec des responsables publics français dans un délai d'un mois. Lors de sa séance du 6 septembre 2022, le collège de la HATVP a validé l'orientation d'un rapport demandé par la HATVP et concluant à l'obligation pour les groupes de réflexion de s'inscrire sur le répertoire des représentants d'intérêts dès lors qu'ils remplissent la condition d'activité principale ou régulière d'influence sur la décision publique. Par un courrier du 29 septembre 2022, le président de la HATVP a demandé à l'Institut Montaigne de s'inscrire au répertoire des représentants d'intérêts ou, à défaut, de transmettre toutes les entrées en communication avec des responsables publics français dans un délai d'un mois. Le 26 janvier 2023, le président de la HATVP a réitéré sa demande à l'Institut Montaigne. Le 19 avril 2023, le président de la HATVP a, conformément aux dispositions précitées de l'article 8 du décret du 9 mai 2017, notifié à l'Institut Montaigne le manquement à son obligation de transmettre les informations relatives à ses actions de représentation d'intérêts et lui a demandé de lui faire parvenir ses éventuelles observations dans un délai d'un mois. L'Institut Montaigne demande au juge des référés du Conseil d'Etat, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution des trois courriers des 11 mars 2022, 29 septembre 2022 et 26 janvier 2023.

6. L'Institut Montaigne soutient que l'exécution de ces décisions porte une atteinte grave et immédiate à sa situation dans la mesure où elles l'exposent à des sanctions pénales au cas où il ne s'y conformerait pas, l'incitant à les exécuter avant que son recours au fond ne soit jugé et par suite à préjudicier à sa liberté d'expression, au droit au respect de sa vie privée et, plus généralement, à l'intérêt public s'attachant à la liberté du débat démocratique. Toutefois, il résulte de l'instruction que les courriers en litige interviennent en amont de la mise en demeure prévue par l'article 8 du décret du 9 mai 2017, mise en demeure qui doit elle-même être précédée d'une notification par la HATVP au représentant d'intérêts du ou des manquements aux obligations lui incombant, la mise en demeure étant seule susceptible, d'une part, d'être rendue publique, d'autre part, de conduire à l'application des sanctions pénales prévues à l'article 18-9 de la loi du 11 octobre 2013. Il résulte en outre de l'instruction que la HATVP, ainsi qu'elle l'a indiqué lors de l'audience, n'entend pas adresser à l'Institut Montaigne de mise en demeure, à la suite de son courrier du 19 avril 2023 dont au demeurant l'Institut Montaigne ne demande pas la suspension de l'exécution par la présente requête, jusqu'à ce que le Conseil d'Etat ait statué sur la requête de l'Institut Montaigne tendant à l'annulation des courriers des 11 mars 2022, 29 septembre 2022 et 26 janvier 2023.

7. Il résulte de ce qui précède que la condition d'urgence posée par les dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative ne peut être regardée comme remplie. Ainsi, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la recevabilité de la requête au fond, la requête de l'Institut Montaigne ne peut qu'être rejetée, y compris ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête de l'Institut Montaigne est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à l'Institut Montaigne ainsi qu'à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique.

Fait à Paris, le 14 juin 2023

Signé : Jérôme Marchand-Arvier


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 474353
Date de la décision : 14/06/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 14 jui. 2023, n° 474353
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP SPINOSI

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:474353.20230614
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