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30/05/2023 | FRANCE | N°474090

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 30 mai 2023, 474090


Vu la procédure suivante :

Mme C... B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Melun, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, en premier lieu, de l'admettre à titre provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle, en deuxième lieu, de suspendre l'exécution de la décision du 3 avril 2023 par laquelle le chef de l'établissement pénitentiaire de Fresnes a institué un régime de fouilles intégrales systématiques de sa personne ainsi que, plus généralement, le régime de fouilles intégrales systématiques do

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Vu la procédure suivante :

Mme C... B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Melun, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, en premier lieu, de l'admettre à titre provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle, en deuxième lieu, de suspendre l'exécution de la décision du 3 avril 2023 par laquelle le chef de l'établissement pénitentiaire de Fresnes a institué un régime de fouilles intégrales systématiques de sa personne ainsi que, plus généralement, le régime de fouilles intégrales systématiques dont elle fait l'objet, de prendre toute mesure appropriée afin que ces fouilles ne soient pratiquées que dans les situations prévues par la loi, sur le fondement d'une décision motivée, lorsqu'elles sont nécessaires pour la sécurité des biens et des personnes et de façon proportionnée aux risques préalablement identifiés, de garantir la traçabilité des mesures de fouilles pratiquées sur les personnes détenues et de lui notifier une décision écrite lorsqu'elle est soumise à un régime exorbitant du droit commun, dans un délai de quarante-huit heures, sous astreinte de 3 000 euros par jour de retard, en troisième lieu, d'ordonner à l'Etat de lui assurer une visite médicale au moins deux fois par semaine ainsi qu'un suivi psychologique régulier, dans un délai de quarante-huit heures, sous astreinte de 3 000 euros par jour de retard et, en dernier lieu, d'ordonner à l'Etat d'assurer l'ameublement de sa cellule dans des conditions identiques à celle des cellules ordinaires ainsi que le remplacement régulier de ses draps, couvertures et oreiller jusqu'à la fin de la mesure d'isolement, dans un délai de quarante-huit heures, sous astreinte de 3 000 euros par jour de retard. Par une ordonnance n° 2304100 du 5 mai 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Melun a, d'une part, admis à titre provisoire Mme B... au bénéfice de l'aide juridictionnelle et, d'autre part, rejeté le surplus des conclusions de la demande.

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 12 et 22 mai 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de suspendre l'exécution de la décision du 3 avril 2023 du chef de détention du centre pénitentiaire de Fresnes instaurant un régime dérogatoire de fouilles intégrales ;

3°) de suspendre le régime de fouilles intégrales systématiques dont elle fait l'objet ;

4°) à titre subsidiaire, d'enjoindre à l'Etat de prendre toute mesure appropriée afin que les fouilles intégrales ne soient pratiquées que dans les situations prévues par la loi sur le fondement d'une décision motivée et seulement lorsqu'elles sont nécessaires pour la sécurité des biens et des personnes et de manière proportionnée aux risques préalablement identifiés ;

5°) à titre subsidiaire, d'enjoindre à l'Etat de garantir la traçabilité des mesures de fouilles pratiquées sur les personnes détenues et de lui notifier, lorsqu'elle est soumise à un régime exorbitant du droit commun, la décision écrite de lui appliquer un tel régime ;

6°) à titre subsidiaire, d'enjoindre à l'Etat de lui assurer une visite médicale à l'isolement à hauteur de deux fois par semaine minimum jusqu'à la fin de la mesure d'isolement ;

7°) à titre subsidiaire, d'enjoindre à l'Etat de lui assurer un suivi psychologique régulier dans le cadre de la mesure d'isolement administratif dont elle fait l'objet ;

8°) à titre subsidiaire, d'enjoindre à l'Etat d'équiper sa cellule d'un réfrigérateur dans des conditions identiques à celles des cellules de détention ordinaire jusqu'au terme de la mesure d'isolement dont elle fait l'objet ;

9°) à titre subsidiaire, d'assortir l'ensemble de ces mesures, dans un délai de quarante-huit heures, jusqu'au 21 juillet 2023, d'une astreinte de 3 000 euros par jour de retard ;

10°) à titre subsidiaire, d'ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde des libertés fondamentales en cause.

Elle soutient que :

- elle a été privée de son droit de présenter des observations orales au cours de l'audience devant le juge des référés de première instance, y compris par visioconférence ;

- la condition d'urgence est satisfaite eu égard à l'indignité de ses conditions de détention, en particulier aux mesures de fouilles corporelles dont elle est l'objet et qu'elle est susceptible de subir dans les prochaines quarante-huit heures ;

- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains ou dégradants et au droit à la dignité humaine ;

- elle est soumise de façon systématique à une fouille corporelle intégrale lors de chaque parloir ou déplacement depuis son arrivée au centre pénitentiaire de Fresnes en octobre 2022, qui n'est ni nécessaire eu égard à sa personnalité et à son comportement en détention ni proportionnée à l'objectif de sauvegarde de l'ordre public ;

- la décision du 3 avril 2023 actant un régime de fouille intégrale systématique la concernant est entachée d'incompétence dès lors qu'elle est revêtue d'une signature et d'un cachet " CSP chef de détention QMAF CP Fresnes " qui ne permet pas d'identifier son auteur et de vérifier si ce dernier a reçu délégation de signature ;

- cette décision du 3 avril 2023 ne lui a jamais été notifiée de sorte qu'elle ne peut être exécutée ;

- elle est placée à l'isolement depuis son arrivée au centre pénitentiaire de Fresnes en octobre 2022 mais n'est visitée par un médecin qu'une fois par semaine, sans examen médical complet, en méconnaissance de l'article R. 213-19 du code pénitentiaire qui impose au moins deux examens par semaine ;

- sa demande de suivi psychologique est restée sans réponse de la part de l'administration alors qu'elle est particulièrement traumatisée par les trois années qu'elle a passées dans un camp de rétention en Syrie ;

- il ne lui est pas permis de disposer d'un réfrigérateur, ce qui l'empêche de cuisiner, et sa cellule ne comporte ni placard ni miroir, en méconnaissance de l'article R. 213-20 du code pénitentiaire selon lequel les cellules du quartier d'isolement ont un ameublement identique à celui des cellules de détention ordinaire.

Par un mémoire en défense, enregistré le 19 mai 2023, le garde des sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite et qu'il n'est pas porté d'atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.

Par une intervention, enregistrée le 22 mai 2023, M. A... B... demande que le juge des référés du Conseil d'Etat fasse droit aux conclusions présentées par Mme B... à titre principal, enjoigne à l'Etat, d'une part, d'assurer provisoirement la maintenance électrique de la cellule de détention de Mme B... et, d'autre part, de fournir à celle-ci trois repas par jour dans l'attente de la réfection du réseau électrique de sa cellule, et ordonne toutes autres mesures nécessaires à la sauvegarde des libertés fondamentales en cause. Il soutient que son intervention est recevable, que la condition d'urgence est satisfaite et qu'il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, et notamment son Préambule ;

- la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code pénitentiaire ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, Mme et M. B... et, d'autre part, le garde des sceaux, ministre de la justice ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 23 mai 2023, à 15 heures :

- Me Rebeyrol, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de Mme B... ;

- les représentantes du garde des sceaux, ministre de la justice ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction.

Vu la note en délibéré, enregistrée le 26 mai 2023, présentée par M. B... ;

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., frère de la requérante, justifie, au regard de l'objet du litige qui a notamment pour objet la suspension des fouilles intégrales dont sa sœur fait l'objet à chaque retour de parloir, d'un intérêt suffisant pour intervenir au soutien de la requête. Son intervention est admise.

2. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".

3. Mme C... B... est détenue au centre pénitentiaire de Fresnes depuis le 24 octobre 2022, à la suite de son placement en détention provisoire par une ordonnance de la juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris du même jour. Elle a fait l'objet d'une décision de placement à l'isolement renouvelée en dernier lieu le 19 avril 2023. Par une décision du 3 avril 2023, le chef de l'établissement pénitentiaire de Fresnes a décidé qu'elle ferait l'objet d'une fouille intégrale au retour de chaque parloir, lors de toute sortie de l'établissement et lors de la fouille de sa cellule. Mme B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Melun, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une part, de suspendre la décision du 3 avril 2023 et d'enjoindre à l'Etat de ne procéder à de telles fouilles que lorsqu'elles sont strictement nécessaires et après lui avoir notifié une décision écrite, d'autre part, d'enjoindre à l'Etat de prendre un certain nombre de mesures relatives à ses conditions de détention. Mme B... interjette appel de l'ordonnance du 5 mai 2023 par laquelle la juge des référés du tribunal administratif de Melun a rejeté ses demandes.

Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :

4. Dans le dernier état de ses écritures, Mme B... ne fait valoir à l'appui de la contestation de la régularité de l'ordonnance attaquée qu'un moyen tiré de ce qu'elle aurait été rendue en méconnaissance du principe du caractère contradictoire de l'instruction, faute d'avoir pu être présente à l'audience comme elle l'avait demandé. Il résulte toutefois de l'instruction que Mme B... a été représentée à l'audience tenue par le juge des référés du tribunal administratif par son conseil qui a pu faire valoir tous les arguments au soutien de ses demandes. Dans ces conditions, Mme B... n'est pas fondée à soutenir que l'ordonnance attaquée aurait été rendue au terme d'une procédure irrégulière.

Sur les demandes relatives aux fouilles intégrales :

5. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes de l'article L. 225-1 du code pénitentiaire : " Hors les cas où les personnes détenues accèdent à l'établissement pénitentiaire sans être restées sous la surveillance constante de l'administration pénitentiaire ou des forces de police ou de gendarmerie, les fouilles intégrales des personnes détenues doivent être justifiées par la présomption d'une infraction ou par les risques que leur comportement fait courir à la sécurité des personnes et au maintien du bon ordre dans l'établissement. / Leur nature et leur fréquence sont strictement adaptées à ces nécessités et à la personnalité des personnes détenues. / Elles peuvent être réalisées de façon systématique lorsque les nécessités de l'ordre public et les contraintes du service public pénitentiaire l'imposent. Dans ce cas, le chef de l'établissement pénitentiaire doit prendre une décision pour une durée maximale de trois mois renouvelable après un nouvel examen de la situation de la personne détenue ". Aux termes de l'article L. 225-3 du même code : " Les fouilles intégrales ne sont possibles que si les fouilles par palpation ou l'utilisation des moyens de détection électronique sont insuffisantes. (...) ".

6. Il résulte de l'instruction que Mme B..., qui avait rejoint les rangs de l'Etat islamique en Syrie en 2014 et a été successivement mariée à deux hommes impliqués dans des actes terroristes, n'est rentrée en France que récemment, le 20 octobre 2022, où elle a été mise en examen pour participation à une entente ou à un groupement formé en vue de la préparation d'un ou plusieurs attentats terroristes et incarcérée. Le ministre de la justice fait valoir que le régime de fouilles intégrales dont elle fait l'objet depuis son incarcération est nécessaire afin de l'empêcher de se procurer, lors de ses contacts avec des personnes extérieures à l'établissement pénitentiaire, des objets qu'elle pourrait utiliser pour commettre des actes violents à l'encontre du personnel pénitentiaire. Si les évaluations et suivis dont elle fait l'objet laissent penser que le risque qu'elle adopte un comportement violent en lien avec ses convictions passées s'amenuise, la décision de maintenir, pendant une durée limitée, jusqu'à la fin du mois de juin, un régime de fouilles intégrales qui a donné lieu à une dizaine de fouilles depuis le début du mois d'avril, la plupart au retour de parloirs, n'apparaît pas, compte tenu de son comportement dans un passé encore récent et à condition, comme l'a relevé l'auteur de l'ordonnance attaquée, que le rythme des fouilles de sa cellule demeure mesuré, comme portant une atteinte grave et manifestement illégale au droit de Mme B... de ne pas subir de traitements inhumains et dégradants. Pour les mêmes motifs, il n'y a pas lieu de faire droit aux autres demandes de Mme B... relatives au régime de fouilles intégrales qui lui est appliqué.

Sur les demandes relatives aux conditions de détention :

7. Eu égard à la vulnérabilité des détenus et à leur situation d'entière dépendance vis à vis de l'administration, il appartient à celle-ci, et notamment aux directeurs des établissements pénitentiaires, en leur qualité de chefs de service, de prendre les mesures propres à leur éviter tout traitement inhumain ou dégradant afin de garantir le respect effectif des exigences découlant des principes rappelés notamment par l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Le droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains ou dégradants constitue une liberté fondamentale au sens des dispositions de l'article L. 521 2 du code de justice administrative. Lorsque la carence de l'autorité publique expose les personnes détenues à être soumises, de manière caractérisée, à un traitement inhumain ou dégradant, portant ainsi une atteinte grave et manifestement illégale à ces libertés fondamentales, et lorsque la situation permet de prendre utilement des mesures de sauvegarde dans un délai de quarante-huit heures, le juge des référés peut, au titre de la procédure particulière prévue par l'article L. 521-2 précité, prescrire toutes les mesures de nature à faire cesser la situation résultant de cette carence.

8. Dans le dernier état de ses écritures, Mme B..., qui reconnaît qu'un certain nombre de ses demandes présentées en première instance ont été satisfaites par l'administration pénitentiaire, ne demande plus au juge des référés du Conseil d'Etat que d'enjoindre à l'Etat d'assurer une visite médicale au moins deux fois par semaine, un suivi psychologique régulier et l'équipement de sa cellule d'un réfrigérateur " dans des conditions identiques à celles des cellules de détention ordinaire ". Toutefois il résulte de l'instruction, d'une part, que Mme B... bénéficie comme tous les détenus des visites régulières d'un médecin dans sa cellule et la possibilité d'accéder, si elle le demande, à une consultation à l'unité sanitaire et a pu s'entretenir à plusieurs reprises avec un psychologue. Elle n'établit pas que son état de santé physique ou mentale nécessiterait d'autres mesures. D'autre part, il est constant que si elle ne dispose pas d'un réfrigérateur dans sa cellule, elle ne manque pas de nourriture, l'administration pénitentiaire lui fournissant, comme à tout détenu, trois repas quotidiens. Dans ces conditions, elle n'est pas fondée à soutenir que les conditions dans lesquelles elle est détenue porteraient une atteinte grave et manifestement illégale à son droit à ne pas être soumise à des traitements inhumains et dégradants.

9. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande. Sa requête ne peut, dès lors, qu'être rejetée.

O R D O N N E :

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Article 1er : L'intervention de M. B... est admise.

Article 2 : La requête de Mme B... est rejetée.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme C... B..., à M. A... B... ainsi qu'au garde des sceaux, ministre de la justice.

Fait à Paris, le 30 mai 2023

Signé : Gilles Pellissier


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 474090
Date de la décision : 30/05/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 30 mai. 2023, n° 474090
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP GATINEAU, FATTACCINI, REBEYROL

Origine de la décision
Date de l'import : 04/06/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:474090.20230530
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