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30/05/2023 | FRANCE | N°474050

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 30 mai 2023, 474050


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrée les 11 et 23 mai 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association One Voice demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution de l'arrêté du 4 mai 2023 du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire et de la ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires relatif à la mise en place de mesures d'effarouchement de l'our

s brun dans les Pyrénées pour prévenir les dommages aux troupeaux, à l'excep...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrée les 11 et 23 mai 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association One Voice demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution de l'arrêté du 4 mai 2023 du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire et de la ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires relatif à la mise en place de mesures d'effarouchement de l'ours brun dans les Pyrénées pour prévenir les dommages aux troupeaux, à l'exception de son article 7 abrogeant l'arrêté du 20 juin 2022 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle justifie d'un intérêt à agir ;

- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que l'arrêté contesté, qui permet aux préfets de délivrer des autorisations de mise en œuvre de mesures d'effarouchement des ours bruns dans les zones d'estive, conduit à les repousser d'espaces essentiels pour leur alimentation, et expose les oursons au risque d'être séparés de leur mère et les femelles gestantes à un risque d'avortement ;

- il existe un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté contesté ;

- cet arrêté a été pris à l'issue d'une procédure de consultation du public irrégulière dès lors que le texte succinct figurant sur la page du site internet du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, qui fait office de note de présentation au sens de l'article L. 123-19-1 du code de l'environnement, comporte d'importantes lacunes et des approximations qui ne permettent pas au public d'apprécier de manière objective, complète et précise les incidences du projet sur l'environnement ;

- l'arrêté contesté méconnaît les dispositions du 4° de l'article L. 411-2 du code de l'environnement, d'une part, en ce que les conditions qu'il fixe, qui sont imprécises en ce qui concerne les femelles suitées, et ne prennent pas en compte le cas des femelles gestantes, sont insuffisantes pour assurer que les dérogations à l'interdiction de perturbation intentionnelle des ours bruns ne porteront pas atteinte au maintien de la population de l'espèce dans le massif des Pyrénées et ne compromettront pas l'amélioration de son état, d'autre part, en ce que les autorités publiques n'ont pas sérieusement recherché de solutions alternatives pour prévenir les dommages aux troupeaux ni subordonné la délivrance des dérogations à la mise en œuvre de telles mesures, enfin, en ce que les seuils de déclenchement des opérations d'effarouchement qu'il définit ne suffisent pas à caractériser des dommages importants aux troupeaux.

Par un mémoire en défense, enregistré le 19 mai 2023, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite, et qu'il n'existe pas de moyens propres à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté contesté.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, et notamment son Préambule ;

- la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 ;

- le code de l'environnement ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, l'association One Voice et, d'autre part, le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire et le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 24 mai 2023, à 10 heures 30 :

- Me Lyon-Caen, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de l'association One Voice ;

- les représentantes de l'association One Voice ;

- les représentants du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a prononcé la clôture de l'instruction ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

Sur le cadre juridique du litige :

2. Aux termes de l'article 12 de la directive du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvage, dite directive " Habitats " : " 1. Les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour instaurer un système de protection stricte des espèces animales figurant à l'annexe IV point a), dans leur aire de répartition naturelle, interdisant : (...) b) la perturbation intentionnelle de ces espèces, notamment durant la période de reproduction et de dépendance (...) ". L'ours brun (Ursus arctos) est au nombre des espèces figurant au point a) de l'annexe IV de la directive. L'article 16 de la même directive énonce toutefois que : " 1. A condition qu'il n'existe pas une autre solution satisfaisante et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle, les Etats membres peuvent déroger aux dispositions des article 12, 13, 14 et de l'article 15 points a) et b) : (...) b) pour prévenir des dommages importants notamment aux cultures, à l'élevage, aux forêts, aux pêcheries, aux eaux et à d'autres formes de propriété ".

3. Aux termes du I de l'article L. 411-1 du code de l'environnement, pris pour la transposition de l'article 12 de la directive " Habitats " : " Lorsqu'un intérêt scientifique particulier, le rôle essentiel dans l'écosystème ou les nécessités de la préservation du patrimoine naturel justifient la conservation (...) d'espèces animales non domestiques (...) et de leurs habitats, sont interdits : 1° (...) la mutilation, la destruction, la capture ou l'enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation d'animaux de ces espèces (...) ". Aux termes du I de l'article L. 411 2 du même code, pris pour la transposition de l'article 16 de la même directive : " Un décret en Conseil d'Etat détermine les conditions dans lesquelles sont fixées : 1° La liste limitative des habitats naturels, des espèces animales non domestiques (...) ainsi protégés ; 2° La durée et les modalités de mise en œuvre des interdictions prises en application du I de l'article L. 411-1 ; 3° La partie du territoire sur laquelle elles s'appliquent (...) ; 4° La délivrance de dérogations aux interdictions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l'article L. 411-1, à condition qu'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante, pouvant être évaluée par une tierce expertise menée, à la demande de l'autorité compétente, par un organisme extérieur choisi en accord avec elle, aux frais du pétitionnaire, et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle : (...) b) Pour prévenir des dommages importants notamment aux cultures, à l'élevage (...) et à d'autres formes de propriété ".

4. Pour l'application de ces dispositions, l'article R. 411-1 du code de l'environnement prévoit que la liste des espèces animales non domestiques faisant l'objet des interdictions définies à l'article L. 411-1 est établie par arrêté conjoint du ministre chargé de la protection de la nature et du ministre chargé de l'agriculture. L'article R. 411-6 du même code précise que : " Les dérogations définies au 4° de l'article L. 411-2 sont accordées par le préfet, sauf dans les cas prévus aux articles R. 411-7 et R. 411-8. / (...) ". Son article R. 411-13 prévoit que les ministres chargés de la protection de la nature et de l'agriculture fixent par arrêté conjoint pris après avis du Conseil national de la protection de la nature " (...) / 2° Si nécessaire, pour certaines espèces dont l'aire de répartition excède le territoire d'un département, les conditions et limites dans lesquelles les dérogations sont accordées afin de garantir le respect des dispositions du 4° de l'article L. 411-2 du code de l'environnement ".

Sur le litige :

5. Faisant suite à trois arrêtés pris à titre expérimental en 2019, 2020 et 2021, l'arrêté du 20 juin 2022, pris sur le fondement des dispositions citées au point précédent, a défini, d'une part, les conditions et les limites dans lesquelles des dérogations à l'interdiction de perturbation intentionnelle des ours bruns pouvaient être accordées à un éleveur, à un groupement pastoral ou à un gestionnaire d'estive par les préfets en vue de la protection des troupeaux domestiques, pour la mise en œuvre de deux types de mesures, l'effarouchement simple, par des moyens sonores, olfactifs ou lumineux, et l'effarouchement renforcé, au moyen de tirs non létaux, en fixant des conditions tenant notamment à la mise en œuvre de moyens de protection du troupeau et au nombre ou à la fréquence des attaques survenues au cours des saisons d'estive précédentes, d'autre part, les modalités de mise en œuvre de ces mesures et les conditions dans lesquelles il en est rendu compte.

6. L'arrêté du 4 mai 2023 abroge l'arrêté du 20 juin 2022 pour rétablir des dispositions pour l'essentiel identiques à celles de cet arrêté, sous réserve de précisions concernant les conditions de mise en œuvre de l'effarouchement renforcé. Les mots " tirs non létaux " sont remplacés par les mots " tirs à effet sonore ". Ces tirs ne peuvent plus être mis en œuvre que par un agent de l'Office français de la biodiversité, et non plus par l'éleveur, par le berger, par un lieutenant de louveterie ou par un chasseur. Si l'ours en cause est une femelle suitée, le tir ne peut intervenir que lorsque les conséquences dommageables pour le troupeau résultant du comportement du prédateur apparaissent certaines. L'association One Voice demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution des dispositions de cet arrêté, à l'exception de son article 7 abrogeant l'arrêté du 20 juin 2022.

Sur la condition d'urgence :

7. Il résulte des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative que le prononcé de la suspension d'un acte administratif est subordonné notamment à une condition d'urgence. L'urgence justifie la suspension de l'exécution d'un acte administratif lorsque celui-ci porte atteinte de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte contesté sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue. L'urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire.

8. L'arrêté contesté, qui fixe les conditions d'octroi des dérogations à l'interdiction de perturbation intentionnelle des ours bruns et les modalités de leur mise en œuvre, n'ayant ni pour objet ni pour effet, par lui-même, d'autoriser les mesures d'effarouchement des ours, une telle autorisation ne pouvant résulter que de la décision prise par le préfet en application des dispositions de l'article R. 411-6 du code de l'environnement citées au point 4, la condition d'urgence ne saurait être satisfaite à son égard.

9. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner la condition tenant à l'existence d'un doute sérieux sur la légalité de l'arrêté attaqué, la requête de l'association One Voice doit être rejetée, y compris, par voie de conséquence, ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête de l'association One Voice est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à l'association One Voice, au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Fait à Paris, le 30 mai 2023

Signé : Jean-Yves Ollier


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 474050
Date de la décision : 30/05/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 30 mai. 2023, n° 474050
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP LYON-CAEN, THIRIEZ

Origine de la décision
Date de l'import : 04/06/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:474050.20230530
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