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16/05/2023 | FRANCE | N°473812

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 16 mai 2023, 473812


Vu la procédure suivante :

M. B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Melun, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une part, de suspendre l'exécution de la décision du 29 mars 2023 par laquelle le président du conseil départemental de Seine-et-Marne a mis fin à sa prise en charge par l'aide sociale à l'enfance (ASE) et, d'autre part, d'enjoindre au conseil départemental de Seine-et-Marne de procéder au réexamen de sa demande de renouvellement de son contrat " jeune majeur " dans un délai de sept jours

et de lui procurer, dans un délai de quarante-huit heures, une solut...

Vu la procédure suivante :

M. B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Melun, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une part, de suspendre l'exécution de la décision du 29 mars 2023 par laquelle le président du conseil départemental de Seine-et-Marne a mis fin à sa prise en charge par l'aide sociale à l'enfance (ASE) et, d'autre part, d'enjoindre au conseil départemental de Seine-et-Marne de procéder au réexamen de sa demande de renouvellement de son contrat " jeune majeur " dans un délai de sept jours et de lui procurer, dans un délai de quarante-huit heures, une solution d'hébergement et une prise en charge alimentaire, sanitaire et médicale, sous astreinte de 200 euros par jour de retard. Par une ordonnance n° 2303343 du 18 avril 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Melun a, après avoir admis M. A... à l'aide juridictionnelle provisoire, d'une part, suspendu l'exécution de la décision du 29 mars 2023 du président du conseil départemental de Seine-et-Marne mettant fin, au 1er avril 2023, à la prise en charge de M. A..., d'autre part, enjoint au président du conseil départemental de Seine-et-Marne de poursuivre l'accompagnement de M. A... en qualité de " jeune majeur " au moins jusqu'à la fin de la présente année scolaire lui permettant l'obtention de son certificat de qualification professionnelle.

Par une requête et un nouveau mémoire, enregistrés les 3 et 9 mai 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le département de Seine-et-Marne demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler l'ordonnance du 18 avril 2023 du juge des référés du tribunal administratif de Melun ;

2°) de rejeter la demande de M. A... ;

3°) de confirmer la décision du président du conseil départemental de Seine-et-Marne portant refus de renouveler le contrat " jeune majeur " de M. A... ;

4°) de mettre à la charge de M. A... la somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la condition d'urgence n'est pas satisfaite dès lors que, d'une part, l'urgence invoquée par M. A... résulte de ses seuls agissements, et notamment de sa passivité pendant les quatre années de sa prise en charge par l'ASE et, d'autre part, le contrat de professionnalisation dont il est titulaire lui permet de bénéficier, depuis juin 2022 et jusque juin 2023, de ressources à hauteur de 800 euros par mois ;

- il n'est porté d'atteinte grave et manifestement illégale ni au droit à l'hébergement d'urgence, ni au droit à l'éducation ;

- M. A... ne fait état d'aucune difficulté d'insertion sociale, ni d'aucune détresse psychique, sociale ou médicale, et a été pris en charge diligemment par les services départementaux pendant près de quatre ans ;

- il ne saurait être regardé comme ne disposant pas de ressources suffisantes au sens de l'article L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles ;

- le refus de renouvellement de son contrat " jeune majeur " n'a pas d'impact sur son cursus scolaire et ne le contraint pas à ne plus assister aux cours.

Par un mémoire en défense, enregistré le 10 mai 2023, M. A... conclut, d'une part, à la confirmation de l'ordonnance du 18 avril 2023 du juge des référés du tribunal administratif de Melun et, d'autre part, à la mise à la charge du conseil départemental de Seine-et-Marne de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il soutient que la condition d'urgence est satisfaite et que des atteintes graves et manifestement illégales sont portées à des libertés fondamentales.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, le département de Seine-et-Marne et, d'autre part, M. A... ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 11 mai 2023, à 15 heures 30 :

- Me Rebeyrol, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat du conseil départemental de Seine-et-Marne ;

- les représentantes du conseil départemental de Seine-et-Marne ;

- Me Bouniol-Brochier, avocate au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocate de M. A... ;

- M. A... ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a reporté la clôture de l'instruction au lundi 15 mai 2023 à 12 heures, puis à 16 heures le même jour ;

Vu le mémoire, enregistré le 12 mai 2023, par lequel M. A... conclut au rejet de la requête ;

Vu le mémoire, enregistré le 15 mai 2023, par lequel le département de Seine-et-Marne maintient ses conclusions ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".

2. Il résulte de l'instruction que M. B..., ressortissant ivoirien, né le 10 mars 2003 et entré en France en 2019, a été pris en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance du département de Seine-et-Marne depuis août 2019 jusqu'à sa majorité, puis au titre du contrat " jeune majeur ", du 1er juin 2021 au 1er avril 2023. Par une décision du 29 mars 2023, le président du conseil département de Seine-et-Marne lui a notifié la fin de sa prise en charge par l'aide sociale à l'enfance, à la date prévue par son contrat et, par une décision du 7 avril 2023, il a rejeté la demande de M. A... de continuer à être pris en charge par l'aide sociale à l'enfance. M. A... a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Melun, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une demande tendant à ce que l'exécution de la décision du président du conseil départemental de Seine-et-Marne mettant fin à sa prise en charge soit suspendue et à ce qu'il soit enjoint au département de poursuivre son accompagnement. Par une ordonnance du 18 avril 2023, dont le département de Seine-et-Marne relève appel, le juge des référés du tribunal administratif de Melun, après avoir admis l'intéressé à l'aide juridictionnelle provisoire, a, d'une part, suspendu l'exécution de la décision mettant fin à l'accompagnement de M. A..., d'autre part, enjoint au département de poursuivre cet accompagnement.

Sur le cadre juridique :

3. Aux termes de l'article L. 111-2 du code de l'action sociale et des familles : " Les personnes de nationalité étrangère bénéficient dans les conditions propres à chacune de ces prestations : 1° Des prestations d'aide sociale à l'enfance ; (...) / Elles bénéficient des autres formes d'aide sociale, à condition qu'elles justifient d'un titre exigé des personnes de nationalité étrangère pour séjourner régulièrement en France (...) ". Aux termes de l'article L. 222-5 du même code : " Sont pris en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance sur décision du président du conseil départemental : (...) 5° Les majeurs âgés de moins de vingt et un ans et les mineurs émancipés qui ne bénéficient pas de ressources ou d'un soutien familial suffisants, lorsqu'ils ont été confiés à l'aide sociale à l'enfance avant leur majorité, y compris lorsqu'ils ne bénéficient plus d'aucune prise en charge par l'aide sociale à l'enfance au moment de la décision mentionnée au premier alinéa du présent article. (...) ".

4. Il résulte des dispositions de l'article L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles que, depuis l'entrée en vigueur du I de l'article 10 de la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants, qui a modifié cet article sur ce point, les jeunes majeurs de moins de vingt et un ans ayant été pris en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance d'un département avant leur majorité bénéficie d'un droit à une nouvelle prise en charge par ce service, lorsqu'ils ne disposent pas de ressources ou d'un soutien familial suffisants.

5. Une carence caractérisée dans l'accomplissement par le président du conseil départemental des missions fixées par les dispositions rappelées aux points précédents, notamment dans les modalités de prise en charge des besoins du mineur ou du jeune majeur relevant de l'aide sociale à l'enfance, lorsqu'elle entraîne des conséquences graves pour l'intéressé, est de nature à porter une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.

Sur la demande en référé :

Sur l'existence d'une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale :

6. Il résulte de l'instruction que M. A..., âgé de vingt ans, perçoit, au titre du contrat de professionnalisation qu'il a conclu en juin 2022 et qui prend fin le 30 juin 2023, une rémunération mensuelle brute de 801,62 euros. Toutefois, il résulte également de l'instruction, d'une part, que M. A... ne bénéficie d'aucun soutien familial, d'autre part, qu'il bénéficie, au titre de la prise en charge par l'aide sociale à l'enfance, d'un hébergement assuré par l'association Empreintes, d'une allocation mensuelle de 140 euros, de tickets services à hauteur de 7 euros par jour et d'un accompagnement social ayant notamment pour objet de l'aider dans les démarches administratives relatives à la régularisation de son séjour en France. Il résulte enfin de l'instruction, qui s'est poursuivie après l'audience, d'une part, que M. A... exprime des besoins qui portent plus spécifiquement sur la poursuite de son hébergement dans le centre d'accueil dans lequel il vit actuellement et sur un accompagnement dans les démarches administratives, notamment pour la régularisation de son séjour en France, d'autre part, que le département de Seine-et-Marne maintient son refus de toute prise en charge de M. A... en le renvoyant vers les dispositifs de droit commun. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède qu'en l'état de l'instruction, M. A..., qui, ainsi qu'il a été dit, a été pris en charge au titre de l'aide sociale à l'enfance par le département de Seine-et-Marne jusqu'à sa majorité et a moins de vingt et un ans, ne bénéficie pas de ressources ou d'un soutien familial suffisants au sens des dispositions du 5° de l'article L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles. Par suite, au regard des besoins exprimés par M. A..., la fin de sa prise en charge par le département de Seine-et-Marne porte, dans les circonstances de l'espèce, une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.

Sur la condition d'urgence :

7. Eu égard aux besoins de M. A... et aux conséquences de la fin de son accompagnement par l'aide sociale à l'enfance, la condition d'urgence doit également être regardée, dans les circonstances de l'espèce, comme remplie.

Sur les conclusions à fins d'injonction :

8. Le juge des référés du tribunal administratif de Melun a, par l'ordonnance attaquée, enjoint au président du conseil départemental de Seine-et-Marne de poursuivre l'accompagnement de M. A... en qualité de " jeune majeur ". Ainsi qu'il a été dit au point 6, il résulte de l'instruction que M. A... continue à relever de la prise en charge de l'aide sociale à l'enfance par le département de Seine-et-Marne au titre du 5° de l'article L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles. Toutefois, eu égard à la rémunération qu'il perçoit au titre de son contrat de professionnalisation et des besoins qui sont les siens et qu'il a exprimés, notamment dans le cadre de la présente instruction, il appartient au département de Seine-et-Marne de lui proposer un accompagnement adapté et qui peut être différent de celui dont il bénéficiait antérieurement. Par suite, il est enjoint au département de Seine -et-Marne de proposer à M. A... un " contrat jeune majeur " adapté à ses besoins en matière d'hébergement et d'accompagnement administratif et tenant compte des ressources qu'il perçoit au titre de son contrat de professionnalisation.

9. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu de réformer dans la seule mesure précisée au point 8 l'ordonnance du 18 avril 2023 du juge des référés du tribunal administratif de Melun, de rejeter le surplus des conclusions de la requête du département de Seine-et-Marne et de mettre à sa charge la somme de 1 500 euros à verser à M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

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Article 1er : Il est enjoint au département de Seine-et-Marne de proposer à M. A... un " contrat jeune majeur " adapté à ses besoins en matière d'hébergement et d'accompagnement administratif.

Article 2 : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Melun du 18 avril 2023 est réformée dans la mesure précisée à l'article 1er.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête du département de Seine-et-Marne est rejeté.

Article 4 : Le département de Seine-et-Marne versera une somme de 1 500 euros à M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée au département de Seine-et-Marne et à M. B....

Fait à Paris, le 16 mai 2023

Signé : Jérôme Marchand-Arvier


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 473812
Date de la décision : 16/05/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 16 mai. 2023, n° 473812
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP THOMAS-RAQUIN, LE GUERER, BOUNIOL-BROCHIER ; SCP GATINEAU, FATTACCINI, REBEYROL

Origine de la décision
Date de l'import : 18/06/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:473812.20230516
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