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28/04/2023 | FRANCE | N°460062

France | France, Conseil d'État, 6ème chambre, 28 avril 2023, 460062


Vu les procédures suivantes :

M. C... D..., M. et Mme B... E..., la société civile immobilière de Gorce, l'association Pressac Environnement et l'association Environnement Confolentais et Charlois ont demandé à la cour administrative d'appel de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 4 mars 2019 par lequel la préfète de la Charente a délivré à la société Energie Charente une autorisation unique pour la construction et l'exploitation d'un parc éolien composé de quatre aérogénérateurs et un poste de livraison sur le territoire de la commune d'Hiesse. Par un arrêt n° 19BX02855

du 2 novembre 2021, la cour administrative d'appel de Bordeaux a modifié l...

Vu les procédures suivantes :

M. C... D..., M. et Mme B... E..., la société civile immobilière de Gorce, l'association Pressac Environnement et l'association Environnement Confolentais et Charlois ont demandé à la cour administrative d'appel de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 4 mars 2019 par lequel la préfète de la Charente a délivré à la société Energie Charente une autorisation unique pour la construction et l'exploitation d'un parc éolien composé de quatre aérogénérateurs et un poste de livraison sur le territoire de la commune d'Hiesse. Par un arrêt n° 19BX02855 du 2 novembre 2021, la cour administrative d'appel de Bordeaux a modifié le montant des garanties à constituer par la société Energie Charente, annulé l'arrêté du 4 mars 2019 en tant seulement qu'il ne comporte pas la dérogation prévue à l'article L. 411-2 du code de l'environnement et suspendu l'exécution des parties non viciées de l'arrêté jusqu'à la délivrance éventuelle de cette dérogation.

I. Sous le n° 460062, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 3 janvier et 1er avril 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires demande au Conseil d'Etat d'annuler cet arrêt en tant, d'une part, qu'il a annulé l'arrêté du 4 mars 2019 en tant qu'il ne comporte pas la dérogation prévue à l'article L. 411-2 du code de l'environnement et, d'autre part, qu'il a suspendu l'exécution des parties non viciées du même arrêté jusqu'à la délivrance éventuelle de cette dérogation.

II. Sous le n° 460088, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 3 janvier et 4 avril 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Energie Charente demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt en tant, d'une part, qu'il a annulé l'arrêté du 4 mars 2019 en tant qu'il ne comporte pas la dérogation prévue à l'article L. 411-2 du code de l'environnement, d'autre part, qu'il a suspendu l'exécution des parties non viciées de cet arrêté jusqu'à la délivrance éventuelle de cette dérogation et, enfin, qu'il a mis à sa charge le versement de la somme de 1 000 euros à l'association Pressac Environnement au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

2°) de mettre à la charge de M. D... et autres la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 ;

- le code de l'environnement ;

- l'arrêté du 23 avril 2007 du ministre de l'agriculture et de la pêche et du ministre de l'écologie et du développement durable fixant la liste des mammifères terrestres protégés sur l'ensemble du territoire et les modalités de leur protection ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Juliette Mongin, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à Me Bardoul François-Eric, avocat de M. D... et autres et à la SARL cabinet Briard, avocat de la société Energie Charente ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces des dossiers soumis aux juges du fond que, par un arrêté du 4 mars 2019, la préfète de la Charente a délivré à la société Energie Charente une autorisation unique pour la construction et l'exploitation d'un parc éolien composé de quatre aérogénérateurs et un poste de livraison sur le territoire de la commune d'Hiesse. Par un arrêt en date du 2 novembre 2021, contre lequel le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et la société Energie Charente se pourvoient en cassation, la cour administrative d'appel de Bordeaux a annulé cet arrêté en tant qu'il ne comporte pas la dérogation prévue à l'article L. 411-2 du code de l'environnement et a suspendu l'exécution des parties non viciées de l'arrêté jusqu'à la délivrance éventuelle de cette dérogation.

2. Les pourvois du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et de la société Energie Charente étant dirigés contre le même arrêt, il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

3. En premier lieu, aux termes de l'article 12 de la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, dite directive " Habitats " : " 1. Les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour instaurer un système de protection stricte des espèces animales figurant à l'annexe IV point a), dans leur aire de répartition naturelle, interdisant : / a) toute forme de capture ou de mise à mort intentionnelle de spécimens de ces espèces dans la nature ; / b) la perturbation intentionnelle de ces espèces notamment durant la période de reproduction, de dépendance, d'hibernation et de migration ; / c) la destruction ou le ramassage intentionnels des œufs dans la nature ; / d) la détérioration ou la destruction des sites de reproduction ou des aires de repos ". Aux termes de l'article 16 de la même directive : " 1. A condition qu'il n'existe pas une autre solution satisfaisante et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle, les Etats membres peuvent déroger aux dispositions des articles 12, 13, 14 et de l'article 15 points a) et b) : / a) dans l'intérêt de la protection de la faune et de la flore sauvages et de la conservation des habitats naturels ; / b) pour prévenir des dommages importants notamment aux cultures, à l'élevage, aux forêts, aux pêcheries, aux eaux et à d'autres formes de propriété ; / c) dans l'intérêt de la santé et de la sécurité publiques, ou pour d'autres raisons impératives d'intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, et pour des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l'environnement ; / d) à des fins de recherche et d'éducation, de repeuplement et de réintroduction de ces espèces et pour des opérations de reproduction nécessaires à ces fins, y compris la propagation artificielle des plantes; / e) pour permettre, dans des conditions strictement contrôlées, d'une manière sélective et dans une mesure limitée, la prise ou la détention d'un nombre limité et spécifié par les autorités nationales compétentes de certains spécimens des espèces figurant à l'annexe IV (...) ".

4. Aux termes de l'article L. 411-1 du code de l'environnement : " I. - Lorsqu'un intérêt scientifique particulier, le rôle essentiel dans l'écosystème ou les nécessités de la préservation du patrimoine naturel justifient la conservation de sites d'intérêt géologique, d'habitats naturels, d'espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et de leurs habitats, sont interdits: / 1° La destruction ou l'enlèvement des œufs ou des nids, la mutilation, la destruction, la capture ou l'enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation d'animaux de ces espèces ou, qu'ils soient vivants ou morts, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur détention, leur mise en vente, leur vente ou leur achat ; (...) / 3° La destruction, l'altération ou la dégradation de ces habitats naturels ou de ces habitats d'espèces (...) ". Aux termes de l'article L. 411-2 du même code : " I. - Un décret en Conseil d'Etat détermine les conditions dans lesquelles sont fixées : (...) / 4° La délivrance de dérogations aux interdictions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l'article L. 411-1, à condition qu'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante, pouvant être évaluée par une tierce expertise menée, à la demande de l'autorité compétente, par un organisme extérieur choisi en accord avec elle, aux frais du pétitionnaire, et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle : a) Dans l'intérêt de la protection de la faune et de la flore sauvages et de la conservation des habitats naturels ; / b) Pour prévenir des dommages importants notamment aux cultures, à l'élevage, aux forêts, aux pêcheries, aux eaux et à d'autres formes de propriété ; / c) Dans l'intérêt de la santé et de la sécurité publiques ou pour d'autres raisons impératives d'intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, et pour des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l'environnement ; / d) A des fins de recherche et d'éducation, de repeuplement et de réintroduction de ces espèces et pour des opérations de reproduction nécessaires à ces fins, y compris la propagation artificielle des plantes ; / e) Pour permettre, dans des conditions strictement contrôlées, d'une manière sélective et dans une mesure limitée, la prise ou la détention d'un nombre limité et spécifié de certains spécimens (...) ". Aux termes de l'article R. 411-6 du même code : " Les dérogations définies au 4° de l'article L. 411-2 sont accordées par le préfet, sauf dans les cas prévus aux articles R. 411 7 et R. 411-8. / Le silence gardé pendant plus de quatre mois par l'autorité administrative sur une demande de dérogation vaut décision de rejet. / Toutefois, lorsque la dérogation est sollicitée pour un projet entrant dans le champ d'application de l'article L. 181-1, l'autorisation environnementale prévue par cet article tient lieu de la dérogation définie par le 4° de l'article L. 411-2. La demande est alors instruite et délivrée dans les conditions prévues par le chapitre unique du titre VIII du livre Ier pour l'autorisation environnementale et les dispositions de la présente sous-section ne sont pas applicables ". L'arrêté du 23 avril 2007 des ministres chargés de l'agriculture et de l'environnement fixe la liste des mammifères terrestres protégés sur l'ensemble du territoire et les modalités de leur protection.

5. Il résulte de ces dispositions que la destruction ou la perturbation des espèces animales concernées, ainsi que la destruction ou la dégradation de leurs habitats, sont interdites. Toutefois, l'autorité administrative peut déroger à ces interdictions dès lors que sont remplies trois conditions distinctes et cumulatives tenant, d'une part, à l'absence de solution alternative satisfaisante, d'autre part, à la condition de ne pas nuire au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle et, enfin, à la justification de la dérogation par l'un des cinq motifs limitativement énumérés et parmi lesquels figure le fait que le projet réponde, par sa nature et compte tenu des intérêts économiques et sociaux en jeu, à une raison impérative d'intérêt public majeur.

6. Le système de protection des espèces résultant des dispositions citées ci-dessus, qui concerne les espèces de mammifères terrestres et d'oiseaux figurant sur les listes fixées par les arrêtés du 23 avril 2007 et du 29 octobre 2009, impose d'examiner si l'obtention d'une dérogation est nécessaire dès lors que des spécimens de l'espèce concernée sont présents dans la zone du projet, sans que l'applicabilité du régime de protection dépende, à ce stade, ni du nombre de ces spécimens, ni de l'état de conservation des espèces protégées présentes.

7. Le pétitionnaire doit obtenir une dérogation " espèces protégées " si le risque que le projet comporte pour les espèces protégées est suffisamment caractérisé. A ce titre, les mesures d'évitement et de réduction des atteintes portées aux espèces protégées proposées par le pétitionnaire doivent être prises en compte. Dans l'hypothèse où les mesures d'évitement et de réduction proposées présentent, sous le contrôle de l'administration, des garanties d'effectivité telles qu'elles permettent de diminuer le risque pour les espèces au point qu'il apparaisse comme n'étant pas suffisamment caractérisé, il n'est pas nécessaire de solliciter une dérogation " espèces protégées ".

8. Pour déterminer si une dérogation " espèces protégées " était nécessaire, la cour a tenu compte des mesures d'évitement prévues par le pétitionnaire, mais a estimé qu'il ne pouvait être tenu compte des mesures de réduction telles que le système de bridage prévu. En statuant ainsi, alors qu'il résulte de ce qui a été dit ci-dessus qu'il lui appartenait d'apprécier si, en prenant en compte les mesures d'évitement et de réduction des atteintes portées aux espèces protégées proposées par le pétitionnaire, le risque était suffisamment caractérisé, la cour a commis une erreur de droit.

9. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens des pourvois, que le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et la société Energie Charente sont fondés à demander l'annulation de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux qu'ils attaquent en tant qu'il a annulé l'arrêté du 4 mars 2019 de la préfète de la Charente en tant qu'il ne comporte pas la dérogation prévue à l'article L. 411-2 du code de l'environnement, qu'il a suspendu l'exécution des parties non viciées de l'arrêté jusqu'à la délivrance éventuelle de cette dérogation et qu'il a mis à leur charge le versement de la somme de 1 000 euros à l'association Pressac Environnement au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. D... et autres la somme de 3 000 euros à verser à la société Energie Charente, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les dispositions du même article font en revanche obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat et de la société Energie Charente, qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Les articles 2, 3 et 4 de l'arrêt du 2 novembre 2021 de la cour administrative d'appel de Bordeaux sont annulés.

Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Bordeaux.

Article 3 : M. D... et autres verseront à la société Energie Charente une somme de 3 000 euros, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions de M. D... et autres présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, à la société Energie Charente et à M. A... D..., premier dénommé pour l'ensemble des défendeurs.

Délibéré à l'issue de la séance du 30 mars 2023 où siégeaient : Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre, présidant ; M. Cyril Roger-Lacan, conseiller d'Etat et Mme Juliette Mongin, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 28 avril 2023.

La présidente :

Signé : Mme Isabelle de Silva

La rapporteure :

Signé : Mme Juliette Mongin

La secrétaire :

Signé : Mme Marie-Adeline Allain


Synthèse
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 460062
Date de la décision : 28/04/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 28 avr. 2023, n° 460062
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Juliette Mongin
Rapporteur public ?: M. Nicolas Agnoux
Avocat(s) : SARL CABINET BRIARD ; BARDOUL

Origine de la décision
Date de l'import : 07/05/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:460062.20230428
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