Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 1er juin et 18 juillet 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. D... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 27 décembre 2021 rapportant le décret du 7 février 2019 lui accordant la nationalité française ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Sébastien Gauthier, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Philippe Ranquet, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article 27-2 du code civil : " Les décrets portant acquisition, naturalisation ou réintégration peuvent être rapportés sur avis conforme du Conseil d'Etat dans le délai de deux ans à compter de leur publication au Journal officiel si le requérant ne satisfait pas aux conditions légales ; si la décision a été obtenue par mensonge ou fraude, ces décrets peuvent être rapportés dans le délai de deux ans à partir de la découverte de la fraude ".
2. Il ressort des pièces du dossier que M. C..., ressortissant algérien, a déposé une demande de naturalisation le 30 mars 2017 dans laquelle il a indiqué être divorcé et père d'une enfant mineure. Au vu de ses déclarations, il a été naturalisé par décret du 7 février 2019, publié au Journal officiel de la République française du 9 février 2019. Toutefois, par bordereau reçu le 14 janvier 2020, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères a informé le ministre chargé des naturalisations de ce que M. C... a épousé à Maadid (Algérie), le 29 juin 2017, Mme A... B..., ressortissante algérienne. Par décret du 27 décembre 2021, publié au Journal officiel de la République française du 29 décembre 2021, le Premier ministre a rapporté le décret de naturalisation de M. C... au motif qu'il avait été pris au vu d'informations mensongères délivrées par l'intéressé quant à sa situation maritale. M. C... demande l'annulation pour excès de pouvoir de ce décret.
3. En premier lieu, le décret attaqué comporte l'indication des éléments de droit et de fait sur lesquels il se fonde et est ainsi suffisamment motivé.
4. En deuxième lieu, il ressort du visa du décret attaqué que celui-ci a bien été pris après avis conforme du Conseil d'Etat. En outre, aucune disposition législative ou réglementaire ne prévoit la communication à l'intéressé de l'avis émis par le Conseil d'Etat sur le projet de décret rapportant le décret ayant conféré la nationalité française.
5. En troisième lieu, en vertu des dispositions combinées des articles 59 et 62 du décret du 30 décembre 1993 relatif aux déclarations de nationalité, aux décisions de naturalisation, de réintégration, de perte, de déchéance et de retrait de la nationalité française, lorsque le Gouvernement a l'intention de retirer un décret de naturalisation, il notifie, en la forme administrative ou par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, les motifs de droit et de fait motivant le retrait à l'intéressé, qui dispose d'un délai d'un mois à compter de la notification pour faire parvenir ses observations en défense.
6. Il ressort des pièces du dossier que le ministre de l'intérieur a indiqué à M. C... les motifs justifiant le retrait du décret ayant prononcé sa naturalisation par une lettre du 20 mai 2021. La lettre a été expédiée au nom et à l'adresse de l'intéressé avec demande d'avis de réception. Elle a été présentée à son domicile le 22 mai 2021 mais n'a pas été réclamée par l'intéressé aux services postaux, qui ont retourné le pli au ministre après l'expiration du délai de mise en instance postale. Cette notification doit être regardée, faute pour l'intéressé d'avoir pris toutes les dispositions utiles pour retirer le pli qui lui avait été régulièrement adressé, comme étant intervenue à la date de première présentation du pli par les services postaux, soit le 22 mai 2021. Par suite, le moyen tiré de ce que le décret attaqué aurait été pris au terme d'une procédure irrégulière en ce que le ministre n'a pas informé M. C... de son intention de rapporter son décret de naturalisation ne peut qu'être écarté.
7. En quatrième lieu, le délai de deux ans imparti par l'article 27-2 du code civil pour rapporter le décret de naturalisation a commencé à courir à compter de la date à laquelle la réalité de la situation familiale de l'intéressé a été portée à la connaissance du ministre chargé des naturalisations. Si le requérant soutient avoir informé différents services de l'évolution de sa situation familiale, sans au demeurant l'établir, il ressort des pièces du dossier que les services du ministre chargé des naturalisations n'ont été informés des éléments relatifs au mariage de l'intéressé, transmis par bordereau du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, que le 14 janvier 2020. Dans ces conditions, le décret attaqué, qui a été signé le 27 décembre 2021, a été pris avant l'expiration du délai de deux ans prévu par les dispositions de l'article 27-2 du code civil.
8. En cinquième lieu, l'article 21-16 du code civil dispose que : " Nul ne peut être naturalisé s'il n'a en France sa résidence au moment de la signature du décret de naturalisation ". Il résulte de ces dispositions que la demande de naturalisation n'est pas recevable lorsque l'intéressé n'a pas fixé en France de manière durable le centre de ses intérêts. Pour apprécier si cette condition est remplie, l'autorité administrative peut notamment prendre en compte, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la situation personnelle et familiale en France de l'intéressé à la date du décret lui accordant la nationalité française.
9. Il ressort des pièces du dossier que M. C... s'est marié le 29 juin 2017 avec une ressortissante algérienne résidant dans son pays d'origine. Ce mariage, intervenu au cours de l'instruction de sa demande de naturalisation, a constitué un changement de sa situation personnelle et familiale qu'il aurait dû porter à la connaissance de l'administration, comme il s'y était engagé lors du dépôt de cette demande. L'intéressé, qui maîtrise la langue française, ainsi qu'il ressort du compte rendu de l'entretien d'assimilation du 29 août 2018, ne pouvait se méprendre ni sur la teneur des indications devant être portées à la connaissance de l'administration chargée d'instruire sa demande, ni sur la portée de la déclaration sur l'honneur qu'il a signée. La circonstance qu'il s'est, postérieurement au décret attaqué, séparé de son épouse est sans incidence sur la légalité de ce décret. Dans ces conditions, M. C... doit être regardé comme ayant volontairement dissimulé sa situation familiale. Par suite, en rapportant sa naturalisation dans le délai de deux ans à compter de la découverte de la fraude, le Premier ministre n'a pas fait une inexacte application des dispositions de l'article 27-2 du code civil.
10. En dernier lieu, un décret qui rapporte un décret ayant conféré la nationalité française est, par lui-même, dépourvu d'effet sur la présence sur le territoire français de celui qu'il vise, comme sur ses liens avec les membres de sa famille, et n'affecte pas, dès lors, le droit au respect de sa vie familiale. En revanche, un tel décret affecte un élément constitutif de l'identité de la personne concernée et est ainsi susceptible de porter atteinte au droit au respect de sa vie privée. En l'espèce, toutefois, eu égard à la date à laquelle il est intervenu et aux motifs qui le fondent, le décret attaqué ne peut être regardé comme ayant porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée de M. C... garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
11. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée par le ministre, que M. C... n'est pas fondé à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 27 décembre 2021 par lequel le Premier ministre a rapporté le décret du 7 février 2019. Ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. D... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré à l'issue de la séance du 6 avril 2023 où siégeaient : M. Jean-Yves Ollier, assesseur, présidant ; Mme Anne Courrèges, conseillère d'Etat et M. Sébastien Gauthier, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.
Rendu le 26 avril 2023.
Le président :
Signé : M. Jean-Yves Ollier
Le rapporteur :
Signé : M. Sébastien Gauthier
La secrétaire :
Signé : Mme Eliane Evrard