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13/04/2023 | FRANCE | N°468416

France | France, Conseil d'État, 1ère chambre, 13 avril 2023, 468416


Vu la procédure suivante :

La société civile immobilière Hera a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Marseille de suspendre, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, l'exécution de l'arrêté du 6 septembre 2022 par lequel le maire de Manosque a retiré la décision tacite de non-opposition à déclaration préalable qu'elle avait obtenue afin de créer des appartements au sein d'un bâtiment existant et d'en modifier les façades. Par une ordonnance n° 2208072 du 7 octobre 2022, le juge des référés du tribunal administra

tif de Marseille a rejeté cette demande.

Par un pourvoi sommaire, un mémoir...

Vu la procédure suivante :

La société civile immobilière Hera a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Marseille de suspendre, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, l'exécution de l'arrêté du 6 septembre 2022 par lequel le maire de Manosque a retiré la décision tacite de non-opposition à déclaration préalable qu'elle avait obtenue afin de créer des appartements au sein d'un bâtiment existant et d'en modifier les façades. Par une ordonnance n° 2208072 du 7 octobre 2022, le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a rejeté cette demande.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 24 octobre et 7 novembre 2022 et le 25 janvier 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Hera demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé, de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Manosque la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code des postes et communications électroniques ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Guillaume Larrivé, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Mathieu Le Coq, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Spinosi, avocat de la société Hera, et à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de la commune de Manosque ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision. ".

2. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif que la société Hera a déposé auprès de la commune de Manosque une déclaration préalable ayant fait naître, le 12 juin 2022, une décision tacite de non-opposition. Un courrier en date du 16 août 2022 a été adressé par le maire de Manosque à la société Hera, par un pli recommandé avec avis de réception, qui lui laissait un délai de quinze jours, prévu par l'article R. 1.1.6 du code des postes et des communications électroniques, pour le retirer. Dans cette lettre, le maire de Manosque informait la société Hera qu'il envisageait de retirer la décision tacite de non-opposition et lui impartissait un délai de quinze jours, à compter de la réception de cette lettre, pour présenter ses observations. Cette lettre a été reçue le 30 août 2022 par la société Hera. L'arrêté contesté, par lequel le maire de Manosque a retiré sa décision de non-opposition, a été pris le 6 septembre 2022. Par une ordonnance du 7 octobre 2022, le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a rejeté la demande de suspension de l'exécution de cet arrêté, présentée par la société Hera.

3. Aux termes de l'article L. 424-5 du code de l'urbanisme : " La décision de non-opposition à une déclaration préalable ou le permis de construire ou d'aménager ou de démolir, tacite ou explicite, ne peuvent être retirés que s'ils sont illégaux et dans le délai de trois mois suivant la date de ces décisions. Passé ce délai, la décision de non-opposition et le permis ne peuvent être retirés que sur demande expresse de leur bénéficiaire. (...) " L'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration dispose que : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2, ainsi que les décisions qui, bien que non mentionnées à cet article, sont prises en considération de la personne, sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable. " Aux termes de l'article L. 121-2 du même code : " Les dispositions de l'article L. 121-1 ne sont pas applicables : / 1° En cas d'urgence ou de circonstances exceptionnelles ; / 2° Lorsque leur mise en œuvre serait de nature à compromettre l'ordre public ou la conduite des relations internationale ; / 3° Aux décisions pour lesquelles des dispositions législatives ont instauré une procédure contradictoire particulière (...) ". En vertu de l'article L. 122-1 du même code : " Les décisions mentionnées à l'article L. 211-2 n'interviennent qu'après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales. Cette personne peut se faire assister par un conseil ou représenter par un mandataire de son choix. / L'administration n'est pas tenue de satisfaire les demandes d'audition abusives, notamment par leur nombre ou leur caractère répétitif ou systématique. " La décision portant retrait d'une décision de non-opposition à déclaration préalable est au nombre de celles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration. Elle doit, par suite, être précédée d'une procédure contradictoire.

4. Le respect du caractère contradictoire de la procédure prévue par les articles L. 121-1 et suivants du code des relations entre le public et l'administration constitue une garantie pour le titulaire de la décision de non-opposition à déclaration préalable que l'autorité administrative entend retirer. Eu égard à la nature et aux effets d'un tel retrait, le délai de trois mois prévu par l'article L. 424-5 du code de l'urbanisme oblige l'autorité administrative à mettre en œuvre cette décision de manière à éviter que le bénéficiaire de la décision de non-opposition à déclaration préalable ne soit privé de cette garantie.

5. Il résulte de qui a été dit ci-dessus qu'en jugeant que n'était pas, en l'état de l'instruction, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté contesté le moyen tiré de ce que le caractère contradictoire de la procédure avait été méconnu, alors que, dans des circonstances n'étant pas au nombre de celles mentionnées à l'article L. 121-2 du code des relations entre le public et l'administration, le maire de Manosque, qui n'était pas en situation de compétence liée contrairement à ce que soutient la commune, n'avait pas attendu l'expiration du délai, à compter de la réception de son courrier du 16 août 2022, qu'il avait lui-même imparti à la société Hera pour présenter ses observations, sans en outre que celle-ci l'ait encore fait, et que la société n'avait pas négligé de venir retirer cette lettre au cours du délai prévu par le code des postes et communications électroniques, le juge des référés du tribunal administratif a commis une erreur de droit.

6. Il suit de là que la société Hera est fondée à demander pour ce motif, par un moyen qui n'est pas nouveau en cassation et n'est ni inopérant ni irrecevable, l'annulation de l'ordonnance qu'elle attaque, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de statuer sur la demande de référé en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

Sur l'urgence :

8. Il résulte des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative que la condition d'urgence à laquelle est subordonné le prononcé d'une mesure de suspension doit être regardée comme satisfaite lorsque la décision contestée préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés, saisi de conclusions tendant à la suspension d'une décision de retrait d'une autorisation d'urbanisme tacite, d'apprécier l'urgence à la date à laquelle il se prononce, compte tenu de l'incidence immédiate d'une telle décision sur la situation concrète de l'intéressé.

9. Il ressort des pièces du dossier que le terrain d'assiette du projet a été acquis par la société Hera, le 9 mars 2022, sous la condition suspensive de l'obtention, auprès de la commune de Manosque, d'une décision de non-opposition à déclaration préalable de travaux permettant la création de sept appartements au sein du bâtiment faisant notamment l'objet de ce compromis de vente, à une échéance initialement fixée au 30 avril 2022 et dont la société Hera a obtenu un report au 7 septembre 2022, sans être assurée de pouvoir acquérir le bien en litige au-delà de cette date. En retirant la décision de non-opposition que le maire de Manosque avait tacitement accordée, l'arrêté litigieux compromet la réalisation de la vente ainsi envisagée et, dans les circonstances de l'espèce, porte atteinte de manière suffisamment grave et immédiate aux intérêts de la société requérante. La condition d'urgence prévue à l'article L. 521-1 du code de justice administrative doit, par suite, être regardée comme remplie.

Sur les moyens propres à créer un doute sérieux :

10. En l'état de l'instruction, le moyen tiré de ce que la décision de non-opposition à déclaration préalable a été retirée selon une procédure dont le caractère contradictoire a été méconnu apparaît, pour les motifs indiqués aux points 2, 3, 4 et 5, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté en litige.

11. En revanche, pour l'application des dispositions de l'article L. 600-4-1 du code de l'urbanisme, les moyens tirés de ce que l'arrêté contesté aurait été pris par une autorité incompétente, serait insuffisamment motivé, serait entaché d'inexistence juridique et ne pouvait retirer une décision de non-opposition préalable conforme aux dispositions, relatives à la surface de plancher, définies par l'article Aa du règlement du plan local d'urbanisme et aux dispositions de l'article R. 111-27 du code de l'urbanisme ne sont pas, en l'état de l'instruction, propres à créer un tel doute.

12. Il résulte de tout ce qui précède que la société requérante est fondée à demander la suspension de l'exécution de l'arrêté du 6 septembre 2022 du maire de Manosque.

13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Manosque une somme de 3 000 euros à verser à la société Hera au titre de l'article L. 761-1 du code justice administrative. Les mêmes dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Hera, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande, à ce titre, la commune de Manosque.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'ordonnance du 7 octobre 2022 du juge des référés du tribunal administratif de Marseille est annulée.

Article 2 : L'exécution de l'arrêté du 6 septembre 2022 du maire de Manosque est suspendue.

Article 3 : La commune de Manosque versera à la société Hera une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions présentées par la commune de Manosque au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société civile immobilière Hera et à la commune de Manosque.

Délibéré à l'issue de la séance du 30 mars 2023 où siégeaient : Mme Gaëlle Dumortier, présidente de chambre, présidant ; M. Jean-Luc Nevache, conseiller d'Etat et M. Guillaume Larrivé, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 13 avril 2023.

La présidente :

Signé : Mme Gaëlle Dumortier

Le rapporteur :

Signé : M. Guillaume Larrivé

Le secrétaire :

Signé : M. Mickaël Lemasson


Synthèse
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 468416
Date de la décision : 13/04/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 13 avr. 2023, n° 468416
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Guillaume Larrivé
Rapporteur public ?: M. Mathieu Le Coq
Avocat(s) : SCP WAQUET, FARGE, HAZAN ; SCP SPINOSI

Origine de la décision
Date de l'import : 20/04/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:468416.20230413
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