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05/04/2023 | FRANCE | N°472509

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 05 avril 2023, 472509


Vu les procédures suivantes :

1° Par une requête, enregistrée le 28 mars 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat sous le n° 472509, la Ligue des droits de l'homme (LDH) et l'Association des chrétiens pour l'abolition de la torture (ACAT) demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'ordonner toutes mesures utiles afin de garantir effectivement le respect de la protection de l'intégrité physique, le droit de demander des comptes aux forces de l'ordre, le droit de

manifester et la liberté de la presse ;

2°) d'enjoindre au ministre de ...

Vu les procédures suivantes :

1° Par une requête, enregistrée le 28 mars 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat sous le n° 472509, la Ligue des droits de l'homme (LDH) et l'Association des chrétiens pour l'abolition de la torture (ACAT) demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'ordonner toutes mesures utiles afin de garantir effectivement le respect de la protection de l'intégrité physique, le droit de demander des comptes aux forces de l'ordre, le droit de manifester et la liberté de la presse ;

2°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de prendre toutes mesures utiles susceptibles de rendre effectif le port du numéro référentiel des identités et de l'organisation (RIO) par les membres des forces de l'ordre ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- elles justifient d'un intérêt à agir eu égard à leur objet statutaire ;

- la condition d'urgence est satisfaite, alors que se déroulent de nombreuses manifestations contre la réforme des retraites, que les conditions d'intervention des forces de l'ordre à l'occasion de ces manifestations font l'objet de vives critiques et que la contestation de l'action des agents mis en cause se heurte à des difficultés d'identification ;

- le non-respect récurrent de l'obligation du port du numéro RIO par les agents des forces de l'ordre lors de manifestations, en ce qu'il rend impossible leur identification, est de nature à porter une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de manifester, à la liberté de la presse, au droit à la vie et à la prohibition des tortures et traitements inhumains ;

- il porte de même une atteinte grave et manifestement illégale au droit pour chaque citoyen de demander des comptes aux forces de l'ordre, qui découle des articles 12 et 15 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

2° Par une requête, enregistrée le 28 mars 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat sous le n° 472516, le Syndicat de la magistrature et le Syndicat des avocats de France demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer d'adopter toute mesure qu'il estimera utile afin de garantir l'effectivité du port, par les agents des forces en charge du maintien de l'ordre, de leur numéro référentiel des identités et de l'organisation (RIO), notamment d'adopter à très bref délai une instruction rappelant que tout agent des forces en charge du maintien de l'ordre effectuant une mission doit, sans exception, porter de manière visible sur son uniforme son numéro RIO, que la dissimulation du visage au moyen d'une cagoule ou d'une écharpe relevée est strictement interdite et que tout manquement à l'obligation de port du numéro RIO ou à l'interdiction de dissimulation du visage donnera lieu à des poursuites disciplinaires et de mettre en place à très bref délai un dispositif visant à assurer l'effectivité de cette obligation ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- ils justifient d'un intérêt à agir en ce que les conditions d'exercice de la liberté syndicale sur la voie publique sont en cause ;

- la condition d'urgence est satisfaite, eu égard au contexte des manifestations contre la réforme des retraites ;

- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de manifester, à la liberté de réunion, au droit au respect de la vie, à la prohibition des tortures et traitements inhumains dégradants et au droit de chacun de pouvoir identifier ou de faire identifier les agents des autorités publiques dans l'exercice de leurs fonctions ;

- les agents des forces de l'ordre ne portent pas leur numéro RIO lors des manifestations, voire le dissimulent volontairement, ce qui entrave les enquêtes administratives ou judiciaires sur les situations de recours à la force injustifiée ou excessif, crée un climat d'impunité chez les forces de l'ordre et contribue à développer un sentiment d'insécurité chez les manifestants.

Par une intervention, enregistrée le 3 avril 2023, la Fédération syndicale unitaire et l'Union syndicale Solidaires demandent que le juge des référés du Conseil d'Etat fasse droit aux conclusions de la requête du Syndicat de la magistrature et autre. Elles soutiennent que leur intervention est recevable et que les moyens soulevés par la requête sont fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 31 mars 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet des deux requêtes. Il soutient que la requête du Syndicat de la magistrature et du Syndicat des avocats de France est irrecevable faute d'intérêt pour agir, que la condition d'urgence requise par l'article L. 521-2 du code de justice administrative n'est pas satisfaite et qu'il n'est pas porté d'atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.

La Défenseure des droits, en application des dispositions de l'article 33 de la loi organique du 29 mars 2001 relative au Défenseur des droits, a présenté des observations, enregistrées le 31 mars 2023.

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de la sécurité intérieure ;

- la loi organique n°2011-333 du 29 mars 2011 ;

- l'arrêté du 7 avril 2011 relatif au respect de l'anonymat de certains fonctionnaires de police et militaires de la gendarmerie nationale ;

- l'arrêté du 24 décembre 2013 relatif aux conditions et modalités de port du numéro d'identification individuel par les fonctionnaires de la police nationale, les adjoints de sécurité et les réservistes de la police nationale ;

- l'arrêté du 30 mars 2018 relatif au numéro d'immatriculation administrative des agents de la police nationale et de la gendarmerie nationale ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la Ligue des droits de l'homme et l'Association des chrétiens pour l'abolition de la torture, le Syndicat de la magistrature et le Syndicat des avocats de France et, d'autre part, le ministre de l'intérieur et des outre-mer ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 3 avril 2023, à 10h30 heures :

- Me Spinosi, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la Ligue des droits de l'homme et autre ;

- la représentante de la Ligue des droits de l'homme ;

- Me Mathonnet, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat du Syndicat de la magistrature et autre ;

- le représentant du Syndicat de la magistrature ;

- les représentants du ministre de l'intérieur et des outre-mer ;

- les représentants de la Défenseure des droits ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;

Considérant ce qui suit :

1. La requête de la Ligue des droits de l'homme et de l'Association des chrétiens pour l'abolition de la torture et celle du Syndicat de la magistrature et du Syndicat des avocats de France soulèvent des questions semblables. Il y a lieu de les joindre pour statuer par la même ordonnance.

Sur l'intervention :

2. la Fédération syndicale unitaire et l'Union syndicale Solidaires justifient, eu égard à l'objet du litige, d'un intérêt suffisant pour intervenir au soutien de la requête du Syndicat de la magistrature et autre. Leur intervention est, par suite, recevable.

Sur les conclusions de référé :

3. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ". Si le juge des référés peut être saisi, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, de la carence de l'administration à faire respecter des obligations auxquelles ses agents sont soumis, il ne saurait ordonner à bref délai de prendre des mesures de sauvegarde en référé sur le fondement de cet article que dans le cas où la carence est caractérisée et conduit, par elle-même, à ce que soit portée une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.

4. A l'appui de leurs demandes en référé tendant à ce qu'il soit ordonné, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, au ministre de l'intérieur de prendre des mesures correctives, les associations et syndicats requérants font valoir que les agents des forces de police et de gendarmerie, de façon massive, ne respectent pas l'obligation qui leur est faite de porter sur leur uniforme leur numéro d'identification réglementaire, avec pour conséquence de rendre difficile ou impossible l'identification de ceux de ces agents qui auraient un comportement répréhensible ou feraient un usage disproportionné de la force dans le cadre d'opérations de maintien de l'ordre et de faire par suite échec aux enquêtes et poursuites susceptibles d'être diligentées à raison de tels actes.

5. Aux termes de l'article R. 434-15 du code de la sécurité intérieure : " Le policier ou le gendarme exerce ses fonctions en uniforme. Il peut être dérogé à ce principe selon les règles propres à chaque force. / Sauf exception justifiée par le service auquel il appartient ou la nature des missions qui lui sont confiées, il se conforme aux prescriptions relatives à son identification individuelle. " L'article 2 de l'arrêté du 24 décembre 2013 relatif aux conditions et modalités de port du numéro d'identification individuel par les fonctionnaires de la police nationale, les adjoints de sécurité et les réservistes de la police nationale précise que : " Les agents qui exercent leurs missions en tenue d'uniforme doivent être porteurs, au cours de l'exécution de celles-ci, de leur numéro d'identification individuel. / Toutefois, en raison de la nature de leurs missions, sont exemptés de cette obligation de port : / - les personnels chargés de la sécurité des sites de la direction générale de la sécurité intérieure ; / - les personnels chargés de la sécurité des bâtiments des représentations diplomatiques françaises à l'étranger ; / - les personnels appelés à revêtir leur tenue d'honneur lors de cérémonies ou commémorations. " Selon l'article 4 du même arrêté, les personnels qui exercent leurs missions en tenue civile et qui revêtent, au cours d'opérations de police, un effet d'identification tel le brassard police doivent, de même, porter leur numéro d'identification individuel. En vertu de l'arrêté du 30 mars 2018 relatif au numéro d'immatriculation administrative des agents de la police nationale et de la gendarmerie nationale, le numéro d'immatriculation administrative correspond, pour les agents de la police nationale à l'exception de ceux affectés à la direction générale de la sécurité intérieure, au numéro référentiel des identités et de l'organisation " RIO " et, pour les agents de la gendarmerie nationale, au numéro de matricule opérationnel.

6. En vertu de ces dispositions, il incombe aux policiers et gendarmes, sauf dans les cas dûment prévus par les dispositions réglementaires en vigueur, de porter leur numéro d'identification de façon visible sur leur uniforme, lors de l'exercice de leurs missions. Il appartient tant aux autorités hiérarchiques qu'aux responsables d'unité de rappeler et de faire respecter cette obligation à laquelle les agents sont soumis sous peine, le cas échéant, d'une sanction disciplinaire.

7. Il résulte de l'instruction, en particulier de différentes pièces versées au dossier et des débats lors de l'audience de référé, que, ainsi que le montrent les associations et syndicats requérants en produisant des photos et vidéos, l'obligation de port du numéro d'identification n'a pas été respectée en différentes occasions par des agents de la police nationale pendant l'exécution de leurs missions, en particulier lors d'opérations de maintien de l'ordre, ce qui traduit des manquements aux dispositions réglementaires précédemment citées. Toutefois, il résulte également des éléments versés au dossier de référé que des instructions régulières sont données par l'autorité hiérarchique quant à l'obligation pour les agents de porter sur leur uniforme leur numéro d'identification, ainsi que l'a fait, notamment et en dernier lieu, la directrice centrale de la sécurité publique le 22 mars 2023 qui, par message diffusé à l'ensemble des directeurs départementaux de la sécurité publique par l'intermédiaire des directeurs zonaux et chefs d'état-major zonaux de la sécurité publique, a insisté pour que soit rappelée, à chaque briefing opérationnel, l'obligation pour tous les agents de la police nationale de porter le numéro " RIO ". Les indications données dans le cours de l'instruction de référé ne permettent pas de caractériser, pour l'ensemble des unités de police et de gendarmerie, l'ampleur des manquements qui peuvent subsister en dépit des instructions données. Par ailleurs, il résulte aussi de l'instruction, ainsi qu'il a été exposé lors de l'audience, que le port du numéro d'identification sur l'uniforme n'est pas le seul élément permettant d'identifier les agents de la police et de la gendarmerie intervenant dans le cadre d'opérations de maintien de l'ordre, les dispositifs visuels figurant très visiblement sur l'équipement des agents indiquant de façon suffisamment fine l'unité à laquelle ils appartiennent, de telle sorte que le défaut éventuel de port du numéro d'identification ne fait pas échec aux enquêtes et poursuites devant être engagées dans le cas de faits de nature à porter atteinte aux libertés fondamentales qui peuvent être invoquées par les requêtes.

8. Dans ces conditions, il n'apparaît pas, en l'état de l'instruction, que les manquements constatés au port du numéro d'identification traduiraient une carence suffisamment caractérisée à faire respecter l'obligation en cause, de nature à porter par elle-même une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, justifiant que le juge des référés du Conseil d'Etat fasse usage, en prononçant une injonction, des pouvoirs qu'il tient de l'article L. 521-2 du code de justice administrative.

9. Il en résulte que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre en défense non plus que sur la condition d'urgence, les requêtes doivent être rejetées, y compris leurs conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

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Article 1er : L'intervention de la Fédération syndicale unitaire et de l'Union syndicale Solidaires est admise.

Article 2 : Les requêtes de la Ligue des droits de l'homme et autre et du Syndicat de la magistrature et autre sont rejetées.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la Ligue des droits de l'homme et au Syndicat de la magistrature, premiers requérants désignés, ainsi qu'au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée à la Défenseure des droits et à la Fédération syndicale unitaire, premier intervenant désigné.

Fait à Paris, le 5 avril 2023

Signé : Jacques-Henri Stahl


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 472509
Date de la décision : 05/04/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 05 avr. 2023, n° 472509
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP SPINOSI

Origine de la décision
Date de l'import : 20/04/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:472509.20230405
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