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24/03/2023 | FRANCE | N°471970

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 24 mars 2023, 471970


Vu la procédure suivante :

La société Elior Services Propreté et Santé a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Versailles, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, de suspendre, dans l'attente de la décision du ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion sur son recours hiérarchique du 17 février 2023, l'exécution de la décision de l'inspecteur du travail du 25 janvier 2023 refusant le licenciement de M. B... A... en ce qu'elle a, par application des articles R. 2421-6 et R. 2421-14 du code du travail,

privé d'effet la mesure de mise à pied conservatoire notifiée à M....

Vu la procédure suivante :

La société Elior Services Propreté et Santé a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Versailles, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, de suspendre, dans l'attente de la décision du ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion sur son recours hiérarchique du 17 février 2023, l'exécution de la décision de l'inspecteur du travail du 25 janvier 2023 refusant le licenciement de M. B... A... en ce qu'elle a, par application des articles R. 2421-6 et R. 2421-14 du code du travail, privé d'effet la mesure de mise à pied conservatoire notifiée à M. A... par courrier du 23 novembre 2022. Par une ordonnance n° 2301474 du 25 février 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 8 et 16 mars 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Elior Services Propreté et Santé demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler l'ordonnance du 25 février 2023 du juge des référés du tribunal administratif de Versailles ;

2°) de suspendre, dans l'attente de la décision du ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion sur son recours hiérarchique, l'exécution de la décision de l'inspecteur du travail du 25 février 2023 refusant le licenciement de M. A... en ce qu'elle a, par application des articles R. 2421-6 et R. 2421-14 du code du travail, privé d'effet la mesure de mise à pied conservatoire notifiée à M. A... par courrier du 23 novembre 2022 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat et de M. A... la somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le Conseil d'Etat est compétent pour connaître de sa requête ;

- la condition d'urgence est satisfaite eu égard, d'une part, à la gravité et le caractère particulièrement dangereux du comportement du salarié en question à l'égard des autres employés et, d'autre part, à l'absence d'effet suspensif du recours hiérarchique exercé à l'encontre de la décision de l'inspecteur du travail du 25 février 2023 ;

- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit de ne pas être soumis au harcèlement ;

- elle était tenue, contrairement à ce qu'a relevé le juge des référés de première instance, de mettre fin à la mise à pied, prononcée à titre conservatoire, de l'intéressé pour faute grave dès lors que les dispositions du code du travail le lui imposent en l'absence d'autorisation de licenciement par le ministre ou l'inspection du travail ;

- la décision du 25 février 2023 de l'inspecteur du travail refusant le licenciement de l'intéressé est entachée d'irrégularité dès lors qu'elle a été signée sans indication de la qualité de son auteur ;

- elle est insuffisamment motivée, d'une part, faute d'avoir analysé l'ensemble des auditions et témoignages des salariés concernés et en se bornant, pour certains, à les rejeter comme irrecevables et, d'autre part, dès lors que les faits reprochés à l'intéressé et l'existence d'une situation de harcèlement moral sont établis et graves ;

- elle est insuffisamment fondée en se bornant à affirmer que les tensions entre l'intéressé et sa hiérarchie étaient liées à son mandat au sein du conseil social et économique (CSE), sans rechercher la réalité de cette assertion ;

- la procédure d'enquête menée par l'inspection du travail en vue de prendre la décision contestée est entachée d'irrégularité et d'un manque de sérieux dès lors que, d'une part, l'inspecteur du travail a écarté la plupart des témoignages produits et ne lui a pas permis de présenter ses propres observations, en méconnaissance du principe du contradictoire et, d'autre part, certaines pièces ont été égarées.

Par un mémoire en défense, enregistré le 16 mars 2023, le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion conclut au rejet de la requête. Il soutient que le juge des référés n'est pas compétent pour connaître de la requête de la société Elior, dès lors que le contrat qui lie M. A... et son employeur est un contrat de droit privé.

Par un mémoire en défense, enregistré le 16 mars 2023, M. A... conclut au rejet de la requête. Il soutient que le juge des référés n'est pas compétent pour connaître de la requête de la société Elior, que la condition d'urgence n'est pas satisfaite et qu'aucune atteinte grave et manifestement illégale n'est portée à une liberté fondamentale.

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la société Elior Services Propreté et Santé et, d'autre part, le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion et M. A... ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 20 mars 2023, à 15 heures 30 :

- Me Lyon-Caen, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la Société Elior Services Propreté et Santé ;

- les représentants de la société Elior ;

- Me de la Burgade, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. A... ;

- M. A... ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a prolongé l'instruction jusqu'au 22 mars 2023 à 12 heures ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".

2. La décision par laquelle l'inspecteur du travail refuse d'autoriser le licenciement d'un salarié protégé, qui lui est demandé à raison de faits de harcèlement moral sur ses subordonnés, peut, par ses conséquences, porter atteinte à une liberté fondamentale. Pour la mise en œuvre des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, le degré de gravité que peut revêtir une mesure affectant la liberté d'entreprendre ou la liberté du travail, doit prendre en compte les limitations de portée générale apportées à ces libertés qui ont été introduites par la législation pour permettre certaines interventions jugées nécessaires de la puissance publique, notamment dans les relations du travail. Figure au nombre de ces limitations la protection dont bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, les délégués du personnel, dont le licenciement ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail.

3. M. B... A..., salarié de la société Elior Services Propreté et Santé depuis 2006, a été élu en 2019 membre titulaire de la délégation du personnel du comité social et économique au titre du collège " agent de maîtrise cadres " sur l'établissement IDF Multi Segments. A la suite d'un courrier du 23 novembre 2022 de cinq salariés faisant part de leur intention d'exercer leur droit de retrait en l'absence de mesures prises afin de faire cesser les faits de harcèlement moral qu'aurait commis M. A... à l'égard de salariés de la société, ce dernier, par un courrier du 23 novembre 2022, a été convoqué à un entretien préalable à son licenciement et informé de sa mise à pied à titre conservatoire à effet immédiat. Lors de sa séance extraordinaire du 13 décembre 2022, le comité social et économique a émis un avis défavorable au licenciement de M. A.... La société Elior Services Propreté et Santé a adressé, le 20 décembre 2022, à la direction départementale de l'emploi, du travail et des solidarités de l'Essonne une demande d'autorisation de licenciement pour faute de M. A.... Par une décision du 25 janvier 2023, l'inspecteur du travail a rejeté cette demande. Par un courrier du 2 février 2023, la société Elior Services Propreté et Santé a informé M. A... de cette décision et de l'exécution à l'avenir de son contrat de travail et de son mandat de représentant du personnel à distance et lui a demandé de ne plus être physiquement présent dans les locaux de l'entreprise, dans l'attente de l'issue du recours hiérarchique formé le 17 février 2023 par la société Elior Services Propreté et Santé contre la décision de l'inspecteur du travail auprès du ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.

4. D'une part, aux termes du dernier alinéa de l'article R. 2124-14 du code du travail " La mesure de mise à pied est privée d'effet lorsque le licenciement est refusé par

l'inspecteur du travail ou, en cas de recours hiérarchique, par le ministre ". Il résulte de ces dispositions que lorsque l'inspecteur du travail refuse d'autoriser le licenciement d'un salarié protégé, la mise à pied conservatoire est privée d'effet, même lorsque ce refus fait l'objet d'un recours hiérarchique. Par suite, c'est à juste titre que la société requérante fait valoir que la décision de l'inspecteur du travail refusant d'autoriser le licenciement de M. A... prive d'effet la mesure de mise à pied qu'elle avait prise à titre conservatoire.

5. D'autre part, il résulte de l'instruction que le licenciement de M. A..., qui a fait l'objet d'un avis défavorable rendu à l'unanimité par le comité social et économique, a été refusé par l'inspecteur du travail au motif que la matérialité des faits reprochés n'était pas établi et qu'il ne pouvait être exclu un lien avec le mandat, M. A... faisant valoir qu'il avait eu une altercation avec le directeur régional à l'occasion d'une réunion du comité social et économique, dont il produit le procès-verbal, le 17 novembre 2022 et soulignant qu'il n'avait jusqu'alors fait l'objet d'aucune poursuite disciplinaire. En outre, la direction de la société Elior, qui n'a pas apporté d'éléments nouveaux sur les faits reprochés à M. A..., a indiqué à l'intéressé que, en raison des graves accusations portées contre lui par plusieurs salariés, il lui était demandé, sa mise à pied ayant pris fin, d'exercer ses fonctions à distance en s'abstenant de se rendre sur le site de l'entreprise. Il résulte notamment des précisions fournies lors de l'audience publique que M. A... ne conteste pas la mesure de travail à distance le concernant ni la possibilité d'exercer effectivement ses fonctions dans ces conditions.

6. Il résulte de ce qui précède que le fait pour l'autorité administrative de refuser l'autorisation de licencier M. A..., membre titulaire de la délégation du personnel du comité social et économique, nonobstant les accusations de harcèlement moral dont il est l'objet, ne peut être regardé, dans les circonstances de l'espèce, comme constituant une atteinte manifestement illégale à aucune des libertés fondamentales invoquées tant par son employeur que par certains salariés. Par suite, la société requérante n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif ait refusé de faire droit à sa demande.

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête de la société Elior Services Propreté et Santé est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Elior Services Propreté et Santé, au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion ainsi qu'à M. B... A....

Fait à Paris, le 24 mars 2023

Signé : Fabien Raynaud


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 471970
Date de la décision : 24/03/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 24 mar. 2023, n° 471970
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP LYON-CAEN, THIRIEZ ; SCP MARLANGE, DE LA BURGADE

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:471970.20230324
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