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10/02/2023 | FRANCE | N°470573

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, formation collégiale, 10 février 2023, 470573


Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 17 janvier 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Groupe d'information et de soutien des immigré-e-s (GISTI) l'association Ligue des droits de l'homme, l'association Utopia 56, l'association Avocats pour la défense des droits des étrangers et le Syndicat des avocats de France demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution de la circulaire du 17 novembre 2022 du ministr

e de l'intérieur et des outre-mer relative à l'exécution des obligation...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 17 janvier 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Groupe d'information et de soutien des immigré-e-s (GISTI) l'association Ligue des droits de l'homme, l'association Utopia 56, l'association Avocats pour la défense des droits des étrangers et le Syndicat des avocats de France demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution de la circulaire du 17 novembre 2022 du ministre de l'intérieur et des outre-mer relative à l'exécution des obligations de quitter le territoire français et au renforcement des capacités de rétention ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- leur requête est recevable dès lors que, d'une part, ils ont intérêt à agir et, d'autre part, la circulaire contestée, qui est impérative et a des effets notables sur les étrangers en situation irrégulière, fait grief ;

- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que la circulaire contestée, en ce qu'elle prévoit une privation systématique de liberté des personnes en situations irrégulières le temps nécessaire à leur éloignement, la suppression du délai de départ volontaire qui leur était accordé, leur inscription systématique dans les fichiers de police et leur signalement aux bailleurs sociaux et organismes sociaux, porte une atteinte grave et immédiate à leurs droits et rend impossible la poursuite des professions et activités leur assurant des moyens de subsistance ;

- il existe un doute sérieux quant à la légalité de la circulaire contestée ;

- elle est entachée d'incompétence et méconnaît les dispositions de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les stipulations des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en ce qu'elle demande aux préfets de prendre systématiquement une décision portant obligation de quitter le territoire français à l'encontre de toute personne ne disposant pas de droit au séjour ;

- elle est entachée d'incompétence et méconnaît les dispositions des articles L. 251-3 et L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en ce qu'elle demande aux préfets de refuser d'accorder un délai de départ volontaire en cas de demande de titre manifestement infondée ou frauduleuse, de menace pour l'ordre public, ou de risque de soustraction à l'exécution de la mesure ;

- elle est entachée d'incompétence et méconnaît les dispositions du décret n° 2010-569 du 28 mai 2010 relatif au fichier des personnes recherchées en ce qu'elle demande d'inscrire à ce fichier toutes les personnes faisant l'objet d'une obligation de quitter le territoire français, que celle-ci soit ou non assortie d'une interdiction de retour, que le délai de départ volontaire soit expiré ou non, et même quand l'étranger a quitté le territoire dans le délai prescrit ;

- elle est entachée d'incompétence et méconnaît les dispositions de l'article R. 231-6 du code de la sécurité intérieure en ce qu'elle demande aux préfets d'inscrire dans le système d'information Schengen (SIS) toutes les personnes faisant l'objet d'une obligation de quitter le territoire français ;

- elle est entachée d'incompétence et méconnaît les dispositions de l'article L. 731-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en ce qu'elle demande aux préfets d'assigner systématiquement à résidence les personnes faisant l'objet d'une obligation de quitter le territoire français qui ne sont pas placées en rétention ;

- elle est entachée d'incompétence et d'erreur manifeste d'appréciation en ce qu'elle demande aux préfets de vérifier que les droits et prestations sociales des personnes faisant l'objet d'une obligation de quitter le territoire français sont suspendus et de signaler ces personnes aux bailleurs sociaux.

Par un mémoire en défense, enregistré le 31 janvier 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite, et qu'aucun des moyens soulevés n'est de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de l'instruction contestée.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de la sécurité intérieure ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de la construction et de l'habitation ;

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le décret n° 2010-569 du 28 mai 2010 ;

- le décret n° 2020-872 du 15 juillet 2020 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, l'association Groupe d'information et de soutien des immigré-e-s, l'association Ligue des droits de l'homme, l'association Utopia 56, l'association Avocats pour la défense des droits des étrangers et le Syndicat des avocats de France, et d'autre part, le ministre de l'intérieur et des outre-mer ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 3 février 2023, à 10 heures :

- Me Mathonnet, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat des requérants ;

- les représentantes de l'association Groupe d'information et de soutien des immigré-e-s, de l'association Ligue des droits de l'homme, et du Syndicat des avocats de France ;

- les représentants du ministre de l'intérieur et des outre-mer ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

2. L'association Groupe d'information et de soutien des immigré-e-s (GISTI) l'association Ligue des droits de l'homme, l'association Utopia 56, l'association Avocats pour la défense des droits des étrangers et le Syndicat des avocats de France demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de la circulaire du 17 novembre 2022 du ministre de l'intérieur et des outre-mer relative à l'exécution des obligations de quitter le territoire français et au renforcement des capacités de rétention.

Sur les énonciations de la circulaire relatives à l'inscription des étrangers faisant l'objet d'une obligation de quitter le territoire français dans le fichier des personnes recherchées et le système d'information Schengen :

3. Aux termes du décret du 28 mai 2010 relatif au fichier des personnes recherchées : " (...) IV. Peuvent également être inscrits dans le fichier à l'initiative des autorités administratives compétentes : / (...) 5° Les étrangers faisant l'objet d'une obligation de quitter le territoire français non exécutée, en application du I de l'article L. 511-1 ou de l'article L. 511-3-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; (...) ". Ces dispositions autorisent l'autorité administrative à inscrire au fichier des personnes recherchées (FPR) les étrangers faisant l'objet d'une obligation de quitter le territoire français (OQTF) exécutoire, que cette obligation soit ou non assortie d'un délai de départ volontaire, et que ce dernier soit expiré ou non, en cohérence avec la finalité du traitement, mentionnée à l'article 1er du décret, de " faciliter les recherches, les surveillances et les contrôles ". Ne peut par suite être considéré comme propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la circulaire, le moyen tiré de ce que le ministre ne pouvait sans violer ces dispositions inviter les préfets à procéder à l'inscription au FPR des étrangers faisant l'objet d'une obligation de quitter le territoire français.

4. Aux termes de l'article R. 231-6 du code de la sécurité intérieure : " Peuvent être enregistrées dans le traitement N-SIS II les données à caractère personnel relatives aux personnes suivantes : / (...) 2° Les personnes signalées aux fins de non-admission ou d'interdiction de séjour à la suite d'une décision administrative ou judiciaire ; (...). " Il en résulte que l'étranger obligé de quitter le territoire ne peut être inscrit au N-SIS II s'il ne fait en outre l'objet d'une interdiction de retour. Si le point 1 de la circulaire évoque la diffusion dans le SIS de l'ensemble des OQTF, le point 5 de l'annexe à la circulaire en cause dispose clairement que si les OQTF et les interdictions de retour doivent être inscrites au FPR, seules ces dernières doivent faire l'objet d'un versement au N-SIS II. Ne peut par suite être considéré comme propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la circulaire le moyen tiré de ce que le ministre aurait violé ces dispositions réglementaires en invitant les préfets à procéder à l'inscription au N-SIS II des étrangers faisant l'objet d'une obligation de quitter le territoire français mais pas d'une interdiction de retour.

Sur les énonciations de la circulaire relatives aux autres conséquences à tirer par le préfet de l'irrégularité du séjour d'un étranger :

5. Il résulte des dispositions citées au point 1 que le juge des référés peut ordonner la suspension de l'exécution d'un acte administratif à la condition, notamment, que l'exécution de cet acte porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies, si les effets de l'acte contesté sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue. S'agissant d'une circulaire relative à l'application de dispositions législatives ou réglementaires, l'urgence doit être appréciée compte tenu de ses effets propres.

6. Pour justifier de l'urgence à ordonner la suspension des dispositions qu'ils contestent, les requérants soutiennent qu'en ce qu'elle prescrit aux préfets de prendre systématiquement des OQTF à l'égard de tout étranger en situation irrégulière, de rejeter toute demande de délai de départ volontaire, de systématiquement assigner à résidence ceux des intéressés qui ne seraient pas déjà placés en rétention administrative et de veiller à ce que soient tirées les conséquences de l'irrégularité de leur séjour sur les droits sociaux et prestations dont ils bénéficient, la circulaire contestée aurait pour effet de porter une atteinte grave et illégale à la situation des personnes concernées, notamment en les privant de leur liberté d'aller et venir, en rendant impossible la poursuite de leur activité professionnelle et en les privant de moyens de subsistance.

7. Toutefois, à supposer même, ainsi qu'il est soutenu, que les prescriptions adressées aux préfets par la circulaire contestée pourraient les conduire, si elles étaient lues sans discernement, à prendre des mesures individuelles méconnaissant certaines dispositions du code de l'entrée, du séjour et du droit d'asile, une telle circonstance ne saurait être regardée comme caractérisant, par elle-même, une situation d'urgence, alors, d'une part, qu'il ne résulte pas de l'instruction - ce que les requérants ont confirmé à l'audience - qu'une modification significative de la pratique des services préfectoraux en matière de délivrance d'OQTF aurait pu être mise en évidence depuis la diffusion de cette circulaire et, d'autre part et en tout état de cause, que les atteintes alléguées à la situation des étrangers en situation irrégulière concernés ne procèdent pas directement des énonciations de la circulaire, mais des décisions individuelles qui sont susceptibles d'être prises pour son application et que les intéressés, s'ils s'y croient fondés, peuvent contester devant le juge de l'excès de pouvoir en assortissant, en cas d'urgence, leur demande d'annulation d'une demande de suspension de leur exécution adressée au juge des référés.

8. Il résulte de tout ce qui précède que la requête ne peut qu'être rejetée, y compris les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête n° 470573 est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à l'association Groupe d'information et de soutien des immigré-e-s, première dénommée pour l'ensemble des requérants, et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré à l'issue de la séance du 3 février 2023 où siégeaient : M. Pierre Collin, président de chambre, présidant ; Mme Nathalie Escaut et M. Thomas Andrieu, conseillers d'Etat, juges des référés.

Fait à Paris, le 10 février 2023

Signé : Pierre Collin


Synthèse
Formation : Juge des référés, formation collégiale
Numéro d'arrêt : 470573
Date de la décision : 10/02/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 10 fév. 2023, n° 470573
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. T Andrieu
Avocat(s) : SCP SEVAUX, MATHONNET

Origine de la décision
Date de l'import : 15/02/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:470573.20230210
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