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06/02/2023 | FRANCE | N°470618

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 06 février 2023, 470618


Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 18 et 30 janvier 2023 et 2 février 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution du décret du 19 décembre 2022 par lequel le Président de la République l'a suspendu de ses fonctions sur le fondement de l'article L. 124-10 du code des juridictions financières ;

2°) d'enjoin

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Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 18 et 30 janvier 2023 et 2 février 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution du décret du 19 décembre 2022 par lequel le Président de la République l'a suspendu de ses fonctions sur le fondement de l'article L. 124-10 du code des juridictions financières ;

2°) d'enjoindre au premier président de la Cour des comptes de le rétablir dans ses fonctions, le temps que le Conseil d'Etat statue sur le fond de son recours ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que le décret contesté porte une atteinte grave et immédiate à sa situation ;

- il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée ;

- la décision contestée, qui constitue la troisième mesure de suspension à son encontre, procède d'un détournement de procédure et constitue une sanction disciplinaire déguisée qui aurait dû être précédée d'une procédure contradictoire préalable ;

- ce décret méconnaît l'article L. 124-12 du code des juridictions financières en ce qu'il ne fixe aucun terme à la suspension qu'il prononce ;

- la mesure de suspension contestée méconnaît les articles L. 124-10 et L. 124813 du même code dès lors qu'elle renouvelle, de façon indéfinie, la suspension dont M. B... faisait déjà l'objet depuis le mois de juillet 2022 ;

- la suspension litigieuse est contraire aux dispositions de l'article L. 124-10 du même code dès lors, d'une part, qu'elle ne repose pas sur des faits vraisemblables et, d'autre part, que ni l'intérêt du service ni l'urgence ne commandent le renouvellement de sa suspension alors que près de deux ans séparent la nouvelle décision de suspension des faits qui lui sont reprochés et qu'il avait repris normalement ses fonctions en septembre 2021, à l'issue de la première mesure de suspension intervenue le 4 mai 2021 ;

- le décret contesté confère une autorité de la chose jugée à la décision du 6 juillet 2022 du tribunal correctionnel de Paris par laquelle ce dernier l'a condamné alors que cette décision, frappée d'appel, n'est pas définitive.

Par un mémoire en défense et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 27 et 31 janvier 2023 et 2 février 2023, le premier président de la Cour des comptes conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 4 500 euros soit mise à la charge de M. B... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite, et qu'aucun des moyens soulevés n'est de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité du décret contesté.

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. B..., d'autre part, le premier président de la Cour des comptes et le secrétaire général du gouvernement ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 31 janvier 2023, à 10 heures 30 :

- Me Bouniol-Brochier, avocate au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocate de M. B..., ainsi que ce dernier ;

- Me Gatineau, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la Cour des comptes ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a décidé de différer la clôture de l'instruction au 2 février 2023 à 12 heures puis au 3 février 2023 à 10 heures ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code des juridictions financières ;

- le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

2. En vertu de l'article L. 124-10 du code des juridictions financières, le Président de la République peut suspendre immédiatement de ses fonctions un magistrat de la Cour des comptes auquel est imputée une faute grave rendant impossible, eu égard à l'intérêt du service, son maintien en fonctions, si l'urgence le commande. L'article L. 124-12 de ce code prévoit que la situation du magistrat suspendu doit être définitivement réglée dans le délai de quatre mois à compter de sa suspension. Toutefois, selon l'article L. 124-13 du même code, " si, à l'expiration de ce délai, aucune décision n'a été prise par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire, l'intéressé, sauf s'il est l'objet de poursuites pénales, est rétabli dans ses fonctions. / S'il fait l'objet de poursuites pénales et que les mesures décidées par l'autorité judiciaire ou l'intérêt du service n'y font pas obstacle, l'intéressé est également rétabli dans ses fonctions à l'expiration du même délai. Lorsque, sur décision motivée, il n'est pas rétabli dans ses fonctions, il peut être affecté provisoirement par l'autorité investie du pouvoir de nomination, sous réserve de l'intérêt du service, dans un emploi compatible avec les obligations du contrôle judiciaire auquel il est, le cas échéant, soumis. A défaut, il peut être détaché d'office à titre provisoire, dans un autre corps ou cadre d'emplois pour occuper un emploi compatible avec de telles obligations (...) ".

3. Il résulte de l'instruction que M. B..., conseiller référendaire à la Cour des comptes, a fait l'objet d'une suspension, par un décret du Président de la République du 4 mai 2021 pris sur le fondement de l'article L. 124-10 du code des juridictions financières, en raison d'une faute grave qu'il aurait commise dans l'exercice de ses fonctions. Il a été rétabli dans ses fonctions à l'issue de la période de suspension de quatre mois, en septembre 2021. A la suite de sa condamnation par le tribunal correctionnel de Paris pour les mêmes faits, par un jugement du 6 juillet 2022, le Président de la République a, par un décret du 18 juillet 2022, de nouveau suspendu l'intéressé sur le fondement des mêmes dispositions. Ce dernier a ensuite été placé en congé de maladie du 25 août au 11 décembre 2022. Par un décret du 19 décembre 2022, le Président de la République l'a, une nouvelle fois, suspendu de ses fonctions en application des mêmes dispositions. M. B... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de ce dernier décret, et à ce qu'il soit enjoint à la Cour des comptes de le rétablir dans ses fonctions.

4. En premier lieu, le décret contesté n'a ni pour objet, ni pour effet de suspendre M. B... pour une durée indéterminée, mais seulement de prononcer une suspension d'une durée de quatre mois, conformément aux dispositions de l'article L. 124-12 du code des juridictions financières, lesquelles s'appliquent de plein droit, sans que le décret ait à en faire état à peine d'illégalité. A l'issue de cette période de quatre mois, il appartient à l'autorité compétente de le rétablir dans ses fonctions, sauf à prendre une décision motivée s'opposant à un tel rétablissement, dans les conditions prévues à l'article L. 124-13 du même code. Par suite, les moyens tirés de ce que le décret attaqué serait illégal faute de préciser la durée de la suspension prononcée et en ce qu'il prononcerait une suspension à durée indéterminée ne sont pas de nature à créer un doute sérieux quant à sa légalité.

5. En deuxième lieu, dans le cas où une mesure de suspension intervient alors que l'agent se trouve en congé de maladie, cette suspension n'entre en vigueur qu'à compter de la date à laquelle ce congé prend fin, pour une durée décomptée à partir de la signature de la décision qui la prononce. En outre, le placement en congé de maladie ou de longue maladie d'un magistrat de la Cour des comptes postérieurement à la suspension prononcée sur le fondement de l'article L. 124-10 du code des juridictions financières met nécessairement fin à cette mesure de suspension, sans faire obstacle à ce que le Président de la République décide de le suspendre à nouveau, à l'issue de ce congé, si les conditions mises au prononcé d'une mesure de suspension sont alors remplies. En l'espèce, le placement en congé de maladie de M. B... à compter du 25 août 2022 a mis fin à la suspension prononcée par le décret du 18 juillet 2022, lequel a lui-même pris effet le 20 juillet, compte tenu du congé de maladie dont bénéficiait M. B... jusqu'au 19 juillet 2022. Le Président de la République a estimé, au terme du congé de maladie intervenu le 11 décembre 2022, qu'il y avait lieu de prononcer une nouvelle suspension sur le même fondement. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que le décret attaqué méconnaît les articles L. 124-10 et L. 124-13 du code des juridictions financières en ce que, d'une part, il renouvelle la suspension dont M. B... faisait déjà l'objet depuis le mois de juillet 2022, et, d'autre part, il intervient alors que la Cour des comptes ne s'est pas opposée par décision motivée au rétablissement de l'intéressé dans ses fonctions en novembre 2022, soit à l'expiration du délai de quatre mois à compter du décret du 18 juillet 2022, n'est pas, en l'état de l'instruction, de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité du décret attaqué.

6. En troisième lieu, la suspension dont M. B... a fait l'objet en mai 2021 et l'absence d'opposition de l'autorité compétente à son rétablissement dans ses fonctions à l'expiration du délai de quatre mois, en septembre 2021, sont fondées sur les seuls éléments alors rassemblés par le secrétaire général de la Cour des comptes concernant la vraisemblance des faits et la gravité de la faute qu'il aurait commise. La mesure de suspension litigieuse, comme celle qui a été prise en juillet 2022, fait suite, quant à elle, à sa condamnation par le tribunal correctionnel de Paris, lequel a estimé que les faits reprochés à l'intéressé étaient " parfaitement établi[s] malgré les dénégations du prévenu ", en s'appuyant sur les éléments issus de l'instruction pénale et sur certaines contradictions de sa défense, et qu'ils justifiaient une peine de trois mois d'emprisonnement avec sursis. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que les faits qui lui sont reprochés ne présenteraient pas un caractère suffisant de vraisemblance n'est pas de nature à justifier la suspension de l'exécution du décret attaqué. En outre, eu égard, d'une part, à la teneur des constatations du tribunal, à la nature des faits reprochés à l'intéressé et à la publicité d'un tel jugement, par ailleurs commenté dans la presse, et, d'autre part, à l'importance qui s'attache, tant pour le bon fonctionnement interne de l'institution que pour l'efficacité de son action à l'égard des organismes qu'elle contrôle et son image auprès du grand public, à ce que la dignité du comportement des magistrats de la Cour des comptes en fonctions, rappelée dans le serment prévu à l'article L. 120-3 du code des juridictions financières, ne soit pas mise en doute, et alors même, d'une part, que la condamnation ne revêt pas un caractère définitif en raison de l'appel que le requérant a introduit et, d'autre part, que le risque de commission d'un manquement de même nature que celui qui lui est reproché en cas de reprise des fonctions n'est pas avéré, le moyen tiré de ce que la faute grave qui lui est imputée et l'urgence n'exigeaient pas, dans l'intérêt du service, sa suspension immédiate n'apparaît pas, en l'état de l'instruction, propre à créer un doute sérieux sur la légalité du décret attaqué.

7. En quatrième et dernier lieu, aucun des autres moyens n'est de nature à justifier la suspension du décret litigieux.

8. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner si la condition d'urgence est remplie, la demande de suspension présentée par M. B... doit être rejetée, y compris ses conclusions à fins d'injonction et celles qu'il présente au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées à ce dernier titre par le premier président de la Cour des comptes.

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par le premier président de la Cour des comptes sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à M. A... B..., au premier président de la Cour des comptes et au secrétaire général du gouvernement.

Fait à Paris, le 6 février 2023

Signé : Alexandre Lallet


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 06 fév. 2023, n° 470618
Inédit au recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP THOMAS-RAQUIN, LE GUERER, BOUNIOL-BROCHIER ; SCP GATINEAU, FATTACCINI, REBEYROL

Origine de la décision
Formation : Juge des référés
Date de la décision : 06/02/2023
Date de l'import : 12/02/2023

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 470618
Numéro NOR : CETATEXT000047110700 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2023-02-06;470618 ?
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