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13/01/2023 | FRANCE | N°469932

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 13 janvier 2023, 469932


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 22 décembre 2022 et le 10 janvier 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... B... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution de la décision de la formation restreinte du Conseil national de l'ordre des médecins du 18 octobre 2022 qui l'a suspendue du droit d'exercer la médecine pendant une durée d'un an et subordonné la reprise de son activité professionnel

le aux résultats d'une expertise médicale ;

2°) de mettre à la charge du C...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 22 décembre 2022 et le 10 janvier 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... B... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution de la décision de la formation restreinte du Conseil national de l'ordre des médecins du 18 octobre 2022 qui l'a suspendue du droit d'exercer la médecine pendant une durée d'un an et subordonné la reprise de son activité professionnelle aux résultats d'une expertise médicale ;

2°) de mettre à la charge du Conseil national de l'ordre des médecins la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que, d'une part, la décision litigieuse la prive de son unique emploi et d'une rémunération pendant une durée d'un an alors qu'elle doit s'acquitter de dépenses lourdes, et, d'autre part, elle préjudicie de manière grave à sa réputation ;

- il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée, celle-ci étant entachée d'erreur d'appréciation en ce qu'elle a retenu qu'elle présentait un état pathologique rendant dangereux l'exercice de la médecine.

Par un mémoire en défense et un nouveau mémoire, enregistrés les 6 et 11 janvier 2023, le Conseil national de l'ordre des médecins conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 4 000 euros soit mise à la charge de Mme B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas remplie et que le moyen soulevé n'est pas de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée.

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, Mme B... et, d'autre part, le Conseil national de l'ordre des médecins ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 10 janvier 2023, à 10 heures 30 :

- Me Pinatel, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de Mme B... ;

- Me Poupot, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat du Conseil national de l'ordre des médecins ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a différé la clôture de l'instruction au mercredi 11 janvier 2023 à 16 heures 30 ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

2. Il résulte des dispositions du I et du VI de l'article R. 4124-3 du code de la santé publique que le conseil régional ou interrégional de l'ordre des médecins compétent ou, si celui-ci ne s'est pas prononcé dans le délai de deux mois à compter de la réception de la demande dont il a été saisi, la formation restreinte du Conseil national de cet ordre peut, dans les conditions précisées aux II à V du même article, prononcer la suspension temporaire, pour une période déterminée, du droit d'exercer d'un médecin qui présente un état pathologique rendant dangereux l'exercice de la profession.

3. Sur le fondement des dispositions mentionnées au point 2, la formation restreinte du Conseil national de l'ordre des médecins a, par une décision du 18 octobre 2022, prononcé la suspension du droit de Mme B... d'exercer la médecine pour une durée d'un an. La requérante demande la suspension de l'exécution de cette décision sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative.

Sur l'existence d'un moyen propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée :

4. Il résulte de l'instruction qu'à la suite d'un différend professionnel survenu à la fin de l'année 2020, Mme B... a, en raison de son état de santé psychique, cessé d'exercer ses fonctions de médecin pneumologue pendant environ une année avant de faire l'objet d'une hospitalisation sans consentement entre février et avril 2022 pour " trouble affectif bipolaire " avec épisode de " dépression sévère ". Informé par l'intéressée, en avril 2022, de ses troubles et de l'hospitalisation qu'elle a subie, le conseil départemental de l'ordre des médecins des Pyrénées orientales, estimant la réalisation d'une expertise psychiatrique nécessaire en raison de doutes sérieux sur la compatibilité de l'état de santé de Mme B... avec l'exercice de la médecine, a saisi le conseil régional de l'ordre des médecins en juin 2022 dans le cadre des dispositions rappelées au point 2. Il ressort de l'expertise réalisée par trois médecins psychiatres dans ce cadre, d'une part, qu'aucun trouble psychiatrique n'a été décelé lors de l'entretien du 9 août 2022 avec l'intéressée, considérée par les experts comme " parfaitement stabilisée " et " asymptomatique ", d'autre part, que celle-ci fait l'objet d'un suivi médical régulier par un psychiatre et une infirmière et d'un traitement neuroleptique sans effets secondaires pénalisants, et, enfin, qu'elle a repris une activité professionnelle en tant que médecin pneumologue au sein de l'établissement Clinique du souffle La Solane, à Osséja, en juin 2022, à la satisfaction de son employeur. L'expertise en conclut à l'unanimité que l'état de Mme B... est compatible avec l'exercice de la médecine, tout en insistant sur la nécessité de maintenir un suivi médical sur le long terme en raison d'un " risque de décompensation " lié à différents facteurs de fragilité.

5. Pour prononcer la suspension litigieuse, la formation restreinte du Conseil national de l'ordre des médecins s'est fondée, d'une part, sur ce que le rapport d'expertise fait état de la nécessité de la poursuite d'un suivi médical sur le long terme et, d'autre part, sur ce que Mme B... a indiqué, au cours de son audition par la formation restreinte, que son état s'était dégradé et avait nécessité l'ajout d'un nouveau traitement médicamenteux de type antidépresseur et thymorégulateur. Il ne résulte toutefois pas de l'instruction que le suivi médical dont faisait l'objet Mme B... à la date de la décision attaquée serait en lui-même incompatible avec l'exercice de la médecine, ni que le traitement qu'elle prenait à cette date aurait été susceptible d'altérer les conditions dans lesquelles l'intéressée Mme B... exerçait ses fonctions à cette même date. Celle-ci n'a, à cet égard, fait l'objet d'aucune plainte d'un patient ni d'aucun reproche de la part de son employeur tout au long de la période, d'environ quatre mois, pendant laquelle elle a exercé ses fonctions de médecin pneumologue tout en bénéficiant d'un traitement, y compris celui dont elle a fait état devant le Conseil national de l'ordre des médecins. Enfin, l'instruction ne fait pas ressortir de risque d'inobservance du traitement prescrit à la requérante, qui est par ailleurs consciente des troubles dont elle souffre. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que la formation restreinte a entaché sa décision d'une erreur d'appréciation en décidant de suspendre le droit de Mme B... d'exercer la médecine pendant une durée d'un an est, en l'état de l'instruction, propre à créer un doute sérieux quant à sa légalité.

Sur l'urgence :

6. L'urgence justifie que soit prononcée la suspension de l'exécution d'un acte administratif, en application des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, lorsque cette exécution porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications apportées par le requérant, si les effets de l'acte en litige sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement au fond, l'exécution de la décision soit suspendue.

7. Il résulte de l'instruction que la décision litigieuse a pour effet de priver Mme B... de l'emploi qu'elle occupait pour une durée d'un an et de la rémunération correspondante, et que les indemnités journalières qui lui sont versées par l'assurance-maladie jusqu'au terme de son arrêt de travail s'élèvent à un montant mensuel d'environ 1 500 euros, très inférieur à ses charges personnelles d'environ 3 000 euros par mois, hors dépenses courantes. Il est en outre constant qu'elle subvient aux besoins de son fils malade. La décision litigieuse porte ainsi une atteinte suffisamment grave et immédiate à la situation de la requérante.

8. Si le Conseil national de l'ordre des médecins fait valoir les risques que la reprise de son activité professionnelle pourrait présenter pour les patients, liés notamment au caractère cyclique des symptômes présentées par les personnes souffrant de troubles bipolaires et à la dégradation de son état dont Mme B... avait elle-même fait état devant la formation restreinte en octobre 2022, il ne résulte pas de l'instruction, compte tenu de ce qui a été dit précédemment, que l'intérêt s'attachant à la préservation de la santé des patients ferait obstacle, en l'espèce, à la suspension de l'exécution de la décision litigieuse. Il est en outre loisible au Conseil national de l'ordre des médecins, au vu d'éléments nouveaux, émanant le cas échéant de l'employeur de Mme B..., de saisir le juge des référés du Conseil d'Etat, dans le cadre de l'article L. 521-4 du code de justice administrative, afin qu'il mette fin à la mesure de suspension, en particulier si l'urgence devait justifier, compte tenu de l'évolution de l'état de santé de la requérante, que la suspension prononcée soit de nouveau mise à exécution.

9. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de suspendre l'exécution de la décision du 18 octobre 2022 suspendant le droit de Mme B... d'exercer la médecine pendant un an.

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la requérante, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du Conseil national de l'ordre des médecins la somme de 1 500 euros que demande Mme B... au même titre.

O R D O N N E :

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Article 1er : L'exécution de la décision du Conseil national de l'ordre des médecins du 18 octobre 2022 est suspendue.

Article 2 : Le Conseil national de l'ordre des médecins versera la somme de 1 500 euros à Mme B... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Les conclusions présentées par le Conseil national de l'ordre des médecins sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme A... B..., au Conseil national de l'ordre des médecins et au conseil régional de l'ordre des médecins.

Fait à Paris, le 13 janvier 2023

Signé : Alexandre Lallet


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 469932
Date de la décision : 13/01/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 13 jan. 2023, n° 469932
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP FABIANI, LUC-THALER, PINATEL ; SARL MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE

Origine de la décision
Date de l'import : 19/01/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:469932.20230113
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