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20/12/2022 | FRANCE | N°469304

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 20 décembre 2022, 469304


Vu la procédure suivante :

La Section française de l'Observatoire international des prisons (SFOIP) a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice, à titre principal, de fermer la cellule n° 625 du bâtiment A du centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan, à titre subsidiaire, de limiter à une seule personne détenue l'occupation de cette cellule et de programmer des travaux de rénovation à très bref délai pour re

médier aux dysfonctionnements constatés par l'autorité judiciaire, et ...

Vu la procédure suivante :

La Section française de l'Observatoire international des prisons (SFOIP) a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice, à titre principal, de fermer la cellule n° 625 du bâtiment A du centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan, à titre subsidiaire, de limiter à une seule personne détenue l'occupation de cette cellule et de programmer des travaux de rénovation à très bref délai pour remédier aux dysfonctionnements constatés par l'autorité judiciaire, et ce, dans un délai de quarante-huit heures à compter de l'ordonnance à intervenir, sous astreinte de 300 euros par jour de retard. Par une ordonnance n° 2205779 du 10 novembre 2022, le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 30 novembre 2022 et 14 décembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la SFOIP demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) d'ordonner sous astreinte au garde des sceaux, ministre de la justice, toute mesure de nature à sauvegarder les droits fondamentaux des personnes détenues dans la cellule n° 625 du bâtiment A du centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan, et notamment de :

- prononcer la fermeture immédiate de cette cellule ou prévoir qu'elle ne peut pas être occupée par plus d'une personne détenue dans l'attente d'une amélioration générale des conditions de détention dans l'établissement et d'un développement notable des activités proposées aux personnes incarcérées ;

- à défaut de fermeture immédiate de la cellule litigieuse, engager au plus vite divers travaux ou mesures permettant sa réhabilitation complète ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la condition d'urgence est satisfaite ;

- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit de ne pas subir de torture et de traitements inhumains ou dégradants ;

- la prise en compte des moyens dont dispose l'autorité administrative compétente dans l'appréciation de l'atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale est incompatible avec le caractère intangible des droits protégés par l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- les conditions d'une violation de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales sont, selon les critères dégagés par la Cour européenne des droits de l'homme dans son arrêt du 20 octobre 2016 de Grande chambre Mursic contre Croatie, réunies dès lors, d'une part, que la surface personnelle laissée à chaque occupant est sensiblement inférieure au minimum requis de 3 m² lorsque trois détenus y sont accueillis sans compensation adéquate et dès lors, d'autre part, que différents facteurs aggravants doivent être pris en compte lorsque l'espace personnel est compris entre 3 et 4 m² en cas d'occupation par deux détenus ;

- les conditions de vie offertes par la cellule litigieuse à trois occupants sont particulièrement dures dès lors que, d'une part, l'espace personnel réservé à chaque occupant de la cellule est très réduit et, d'autre part, que les conditions matérielles d'hébergement y sont notablement précaires compte tenu d'un défaut de cloisonnement intégral des toilettes, d'un défaut de luminosité en raison du mauvais état des baies vitrées, de la vétusté de l'installation électrique qui conduit à encombrer la cellule de rallonges, ainsi que du réseau d'eau qui prive les occupants d'eau chaude et du mobilier ;

- la fermeture de la cellule ou, à défaut, son occupation par une seule personne, doit être imposée, à bref délai, à l'administration pénitentiaire, dans l'attente d'une amélioration générale des conditions de détention dans l'établissement et d'un développement notable des activités proposées aux personnes incarcérées ;

- en tout état de cause, il y a lieu d'enjoindre à très bref délai des travaux portant notamment sur le cloisonnement intégral des toilettes, le remplacement des vitrages obscurcis, la sécurisation de l'installation électrique, l'accès à l'eau chaude dans la cellule et la rénovation du mobilier.

Par un mémoire en défense, enregistré le 12 décembre 2022, le garde des sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code pénitentiaire ;

- le code de procédure pénale ;

- loi n° 2021-403 du 8 avril 2021 ;

- le décret n° 2021-1194 du 15 septembre 2021 ;

- le code de justice administrative ;

- l'arrêt de Grande chambre de la Cour européenne des droits de l'homme du 20 octobre 2016 Mursic contre Croatie (no 7334/13) ;

- l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme du 30 janvier 2020, J.M.B. et autres contre France (n°9671/15) ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la Section française de l'Observatoire international des prisons et, d'autre part, le garde des sceaux, ministre de la justice ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 15 décembre 2022 à 15 heures :

- Me Spinosi, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la Section française de l'Observatoire international des prisons ;

- les représentants de la Section française de l'Observatoire international des prisons ;

- les représentantes du garde des sceaux, ministre de la justice ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".

2. La Section française de l'Observatoire international des prisons (SFOIP) a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice, à titre principal, de fermer la cellule n° 625 du bâtiment A du centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan, à titre subsidiaire, de limiter à une seule personne détenue l'occupation de cette cellule et de programmer des travaux de rénovation à très bref délai pour remédier aux dysfonctionnements constatés par l'autorité judiciaire, et ce, dans un délai de quarante-huit heures à compter de l'ordonnance à intervenir, sous astreinte de 300 euros par jour de retard. Par une ordonnance n° 2205779 du 10 novembre 2022, le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa requête. La Section française de l'Observatoire international des prisons relève appel de cette ordonnance.

Sur le cadre juridique du litige :

3. D'une part, aux termes du premier alinéa de l'article L. 2 du code pénitentiaire : " Le service public pénitentiaire s'acquitte de ses missions dans le respect des droits et libertés garantis par la Constitution et les conventions internationales ratifiées par la France, notamment la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ". L'article L. 6 du même code dispose que : " L'administration pénitentiaire garantit à toute personne détenue le respect de sa dignité et de ses droits. L'exercice de ceux-ci ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles résultant des contraintes inhérentes à la détention, du maintien de la sécurité et du bon ordre des établissements, de la prévention de la commission de nouvelles infractions et de la protection de l'intérêt des victimes. Ces restrictions tiennent compte de l'âge, de l'état de santé, du handicap, de l'identité de genre et de la personnalité de chaque personne détenue ". Enfin, aux termes de l'article L. 7 de ce code : " L'administration pénitentiaire doit assurer à chaque personne détenue une protection effective de son intégrité physique en tous lieux collectifs et individuels ".

4. Eu égard à la vulnérabilité des détenus et à leur situation d'entière dépendance vis-à-vis de l'administration, il appartient à celle-ci, et notamment aux directeurs des établissements pénitentiaires, en leur qualité de chefs de service, de prendre les mesures propres à protéger leur vie ainsi qu'à leur éviter tout traitement inhumain ou dégradant afin de garantir le respect effectif des exigences découlant des principes rappelés notamment par les articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Le droit au respect de la vie ainsi que le droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains ou dégradants constituent des libertés fondamentales au sens des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative. Lorsque la carence de l'autorité publique crée un danger caractérisé et imminent pour la vie des personnes ou les expose à être soumises, de manière caractérisée, à un traitement inhumain ou dégradant, portant ainsi une atteinte grave et manifestement illégale à ces libertés fondamentales, et que la situation permet de prendre utilement des mesures de sauvegarde dans un délai de quarante-huit heures, le juge des référés peut, au titre de la procédure particulière prévue par l'article L. 521-2, prescrire toutes les mesures de nature à faire cesser la situation résultant de cette carence.

5. D'autre part, si l'article L. 213-2 du code pénitentiaire a prévu que " Les personnes prévenues sont placées en cellule individuelle ", l'article L. 213-5 a fixé, à son premier alinéa, les cas où, s'agissant des personnes prévenues, il peut être dérogé à leur encellulement individuel et dispose, à son second alinéa, que " Lorsque les personnes prévenues sont placées en cellule collective, les cellules doivent être adaptées au nombre de personnes qui y sont hébergées. Les personnes détenues doivent être en mesure de cohabiter. Leur sécurité et leur dignité doivent être assurées ". L'article L. 213-6 du même code prévoit, s'agissant des personnes condamnées, les cas où il peut être dérogé à leur encellulement individuel. Enfin, l'article L. 213-4 dispose de manière générale que : " Il peut être dérogé au placement en cellule individuelle dans les maisons d'arrêt lorsque la distribution intérieure des locaux ou le nombre de personnes détenues présentes ne permet pas son application. / Cependant, la personne condamnée ou, sous réserve de l'accord du magistrat chargé du dossier de la procédure, la personne prévenue, peut demander son transfert dans la maison d'arrêt la plus proche permettant un placement en cellule individuelle ".

Sur les pouvoirs du juge administratif et de l'autorité judiciaire statuant les conditions de détention des personnes prévenues ou condamnées :

6. Il résulte de la combinaison des dispositions des articles L. 511-1, L. 521-2 et L. 521-4 du code de justice administrative qu'il appartient au juge des référés, lorsqu'il est saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 et qu'il constate une atteinte grave et manifestement illégale portée par une personne morale de droit public à une liberté fondamentale, de prendre les mesures qui sont de nature à faire disparaître les effets de cette atteinte. Ces mesures doivent en principe présenter un caractère provisoire, sauf lorsqu'aucune mesure de cette nature n'est susceptible de sauvegarder l'exercice effectif de la liberté fondamentale à laquelle il est porté atteinte. Le juge des référés peut, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, ordonner à l'autorité compétente de prendre, à titre provisoire, une mesure d'organisation des services placés sous son autorité lorsqu'une telle mesure est nécessaire à la sauvegarde d'une liberté fondamentale. Toutefois, le juge des référés ne peut, au titre de la procédure particulière prévue par l'article L. 521-2 précité, qu'ordonner les mesures d'urgence qui lui apparaissent de nature à sauvegarder, dans un délai de quarante-huit heures, la liberté fondamentale à laquelle il est porté une atteinte grave et manifestement illégale. Eu égard à son office, il peut également, le cas échéant, décider de déterminer dans une décision ultérieure prise à brève échéance les mesures complémentaires qui s'imposent et qui peuvent également être très rapidement mises en œuvre. Dans tous les cas, l'intervention du juge des référés dans les conditions d'urgence particulière prévues par l'article L. 521-2 précité est subordonnée au constat que la situation litigieuse permette de prendre utilement et à très bref délai les mesures de sauvegarde nécessaires. Compte tenu du cadre temporel dans lequel se prononce le juge des référés saisi sur le fondement de l'article L. 521-2, les mesures qu'il peut ordonner doivent s'apprécier en tenant compte des moyens dont dispose l'autorité administrative compétente et des mesures qu'elle a déjà prises.

7. En outre, s'il n'appartient pas au juge des référés de prononcer, de son propre mouvement, des mesures destinées à assurer l'exécution de celles qu'il a déjà ordonnées, il peut, d'office, en vertu de l'article L. 911-3 du code de justice administrative, assortir les injonctions qu'il prescrit d'une astreinte. Il incombe dans tous les cas aux différentes autorités administratives de prendre, dans les domaines de leurs compétences respectives, les mesures qu'implique le respect des décisions juridictionnelles. L'exécution d'une ordonnance prise par le juge des référés, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, peut être recherchée dans les conditions définies par le livre IX du même code, et en particulier les articles L. 911-4 et L. 911-5. La personne intéressée peut également demander au juge des référés, sur le fondement de l'article L. 521-4 du même code, d'assurer l'exécution des mesures ordonnées demeurées sans effet par de nouvelles injonctions et une astreinte.

8. Enfin, il découle des obligations qui pèsent sur l'administration, qu'en parallèle de la procédure prévue à l'article L. 521-2 du code de justice administrative, qui permet d'ores et déjà de remédier aux atteintes les plus graves aux libertés fondamentales des personnes détenues, le juge de l'excès de pouvoir peut, lorsqu'il est saisi à cet effet, enjoindre à l'administration pénitentiaire de remédier à des atteintes structurelles aux droits fondamentaux des prisonniers en lui fixant, le cas échéant, des obligations de moyens ou de résultats. Il lui appartient alors de statuer dans des délais adaptés aux circonstances de l'espèce.

9. Par ailleurs, le législateur a introduit, par la loi du 8 avril 2021 tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention, l'article 803-8 du code de procédure pénale, - auquel renvoient également les dispositions de l'article L. 315-9 du code pénitentiaire -, qui dispose, à son premier alinéa, que : " Sans préjudice de sa possibilité de saisir le juge administratif en application des articles L. 521-1, L. 521-2 ou L. 521-3 du code de justice administrative, toute personne détenue dans un établissement pénitentiaire en application du [code de procédure pénale] qui considère que ses conditions de détention sont contraires à la dignité de la personne humaine peut saisir le juge des libertés et de la détention, si elle est en détention provisoire, ou le juge de l'application des peines, si elle est condamnée et incarcérée en exécution d'une peine privative de liberté, afin qu'il soit mis fin à ces conditions de détention indignes ". En vertu également de ces dispositions, le juge peut ordonner à l'administration de mettre fin, par tout moyen, à ces conditions de détention dans un délai maximum d'un mois. Passé ce délai, si ces conditions perdurent, le juge ordonne soit le transfèrement de la personne, soit sa mise en liberté immédiate, le cas échéant sous contrôle judiciaire ou assignation à résidence, soit une autre mesure prévue au paragraphe III de l'article 707. Les modalités d'application de cet article ont été précisées par le décret du 15 septembre 2021 relatif au recours prévu à l'article 803-8 du code de procédure pénale et visant à garantir le droit au respect de la dignité en détention, entré en vigueur le 1er octobre 2021, et dont les dispositions ont été codifiées aux articles R. 249-17 à R. 249-41 du code de procédure pénale. En vertu de l'article R. 249-19, le requérant indique en particulier dans la requête motivée qu'il présente à peine d'irrecevabilité, dans un écrit distinct, s'il a saisi la juridiction administrative d'une demande relative à ses conditions de détention ou informe sans délai, selon les cas, le juge des libertés et de la détention ou le juge de l'application des peines, de cette saisine si elle intervient en cours de procédure.

Sur la demande en référé :

En ce qui concerne les conditions de détention au centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan :

10. A la suite d'une visite du 30 mai au 10 juin 2022, la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) a constaté, dans ses recommandations en urgence dressées le 30 juin 2022 relatives au centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan (Gironde), publiées au Journal officiel du 13 juillet suivant, " un nombre important de dysfonctionnements entraînant des atteintes graves à la dignité et aux droits fondamentaux des personnes détenues, dont les conditions de vie sont particulièrement indignes ". La CGLPL estimant, tout d'abord, que ces atteintes tiennent à une surpopulation pénale " dramatiquement élevée ", rappelle que le centre pénitentiaire, avec une capacité totale de 434 places, accueillait au 1er juin 2022, 864 détenus, soit un taux global d'occupation de 199 %, ce taux pouvant atteindre 235 % dans l'ensemble des quartiers maison d'arrêt hommes des bâtiments A et B (avec 657 détenus pour 281 places) et précise qu'à cette même date, l'établissement comportait 145 " cellules triplées " avec un matelas au sol. Il a également été constaté que la séparation des prévenus et des condamnés, des jeunes majeurs et des adultes, des fumeurs et des non-fumeurs, n'était pas respectée. Les recommandations estiment aussi nécessaire une étroite et rapide collaboration de tous les acteurs de la chaîne pénale pour remédier à cette surpopulation et en prévenir la résurgence et réclament qu'il soit " mis fin prioritairement aux encellulements à trois et au recours à des matelas au sol ". Le rapport relève encore que des défaillances dans " le pilotage " de l'établissement ont eu pour effet d'aggraver les effets de la surpopulation et qu'en particulier, les temps de promenade se sont trouvés réduits à une heure par jour et l'offre d'activités limitée au regard de la population incarcérée. Les recommandations en urgence soulignent enfin la vétusté avancée de l'état du bâti en général, des cellules, des douches, des lieux de promenades et soulignent que l'opération de reconstruction totale d'un centre de 600 places, en deux tranches de travaux, engagée au cours de la période 2022-2027, ne permet pas de répondre en urgence aux besoins existants et que la future capacité d'accueil de 600 places est d'ores et déjà insuffisante au regard des besoins d'accueil.

11. A la suite de ces recommandations en urgence de la CGLPL, la SFOIP a saisi, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux pour qu'il ordonne la fermeture du centre pénitentiaire ou, à défaut, enjoigne un nombre important de mesures diverses destinées à remédier à la situation décrite dans ces recommandations. Par une ordonnance du 11 octobre 2022, confirmée en appel par une ordonnance du 10 novembre suivant, le juge des référés du tribunal administratif a rejeté de nombreuses mesures d'ordre structurel ou reposant sur des choix de politique publique et a partiellement fait droit à la demande en enjoignant à l'administration notamment des mesures relatives à l'aménagement et à l'hygiène des cellules situées dans différents bâtiments portant sur l'amélioration de leur luminosité, le remplacement des fenêtres défectueuses, ainsi que le remplacement des lits instables et des sommiers manquant de boulons, l'installation d'une échelle pour accéder à chaque lit superposé, ou encore la distribution gratuite aux détenus des produits d'hygiène et d'entretien des cellules.

En ce qui concerne la situation de la cellule 625 du bâtiment A du centre pénitentiaire, l'atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale résultant de son occupation et la condition d'urgence :

12. Par une ordonnance du 22 septembre 2022, la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Bordeaux, mettant en œuvre les critères définies par la Cour européenne des droits de l'homme quant aux conditions matérielles de détention, a confirmé la décision par laquelle le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Bordeaux a, le 8 septembre 2022, conclu au bien-fondé de la requête présentée sur le fondement de l'article 803-8 du code de procédure pénale par un troisième détenu occupant la cellule n° 625 du bâtiment A de l'établissement, demandant qu'il soit mis fin aux conditions indignes de cette détention et qui a conduit l'administration à proposer un transfèrement du prévenu dans un autre établissement pénitentiaire proche. Dans ce contexte, et dans l'attente de la reconstruction du bâtiment sur site, la cellule 625 a fait l'objet, début octobre et de manière prioritaire parmi les cellules situées au 6ème étage du bâtiment A, d'une rénovation partielle ayant consisté en un rafraîchissement complet des peintures et en un changement du mobilier. En revanche, les autres éléments relatifs aux conditions matérielles de détention dont la surface personnelle, hors emprise des sanitaires, n'ont pas été modifiés. La SFOIP a saisi, le 2 novembre 2022, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux pour qu'il enjoigne au garde des sceaux, ministre de la justice de fermer la cellule n° 625 du bâtiment A du centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan, ou de limiter à une seule personne détenue son occupation et de programmer des travaux de rénovation à très bref délai pour remédier aux dysfonctionnements qui y ont été constatés par l'autorité judiciaire. Ainsi qu'il a été dit au point 2, par l'ordonnance du 10 novembre 2022, dont la SFOIP relève appel, le juge des référés du tribunal a rejeté sa demande en relevant notamment que " s'il ressort des éléments au dossier que la protection de l'intimité des détenus dans la cellule n° 625 est perfectible, par la reconstruction de la partie affectée aux installations sanitaires, les conditions de détention dans cette pièce n'atteignent pas un degré de gravité tel qu'elles seraient constitutives d'un traitement inhumain et dégradant et porteraient dès lors une atteinte manifestement illégale à une liberté fondamentale justifiant que le juge des référés prescrive, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, une mesure de sauvegarde dans un délai de quarante-huit heures ".

13. Il résulte de l'instruction qu'au 5 décembre 2022, le centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan, dont la capacité théorique était alors évaluée à 352 places, continuait d'enregistrer, en dépit des efforts notamment d'information menés vis-à-vis des autorités judiciaires, mensuellement, un nombre toujours élevé de mises sous écrou, faisant obstacle à la baisse significative de la sur-occupation, le taux d'occupation s'élevant à cette date, pour l'ensemble du centre pénitentiaire, à 190,91 % et à 206,56 % au quartier hommes de la maison d'arrêt, dans le bâtiment A, où se situe la cellule n° 625 objet du litige.

14. Il résulte, d'une part, de l'instruction que cette cellule collective qui comporte deux lits superposés, a une surface totale au sol de 8,63 m² et d'environ 7,90 m², hors emprise des sanitaires. Si, à la date de l'audience, elle était effectivement occupée par deux personnes récemment condamnées à de courtes peines et présentant un profil pénal comparable, l'administration a indiqué à l'audience que, compte tenu du nombre toujours élevé de mises sous écrou, cette cellule qui avait été récemment occupée par un troisième détenu ne disposant que d'un matelas au sol, pourra l'être encore, à l'avenir, dans les mêmes conditions, en fonction des besoins. Dès lors, selon le nombre de personnes qui y sont placées, l'espace personnel passe de 3,95 m² en cas d'occupation à deux personnes à 2,63 m² en cas d'occupation à trois.

15. D'autre part, s'agissant de l'aménagement intérieur de la cellule n° 625, il résulte des clichés produits par l'administration et analysés lors de l'audience, en premier lieu, que les toilettes, situées à l'entrée de la cellule, sont, sur deux côtés, cloisonnées jusqu'au plafond et, sur les deux autres côtés, fermées par une cloison de contreplaqué d'environ deux mètres et par une double porte battante de la même hauteur, qui laissent un vide par rapport au plafond. Toutefois, eu égard aux dimensions de cette cloison et de cette porte, l'intimité doit être regardée, en l'état de l'instruction, comme respectée. En deuxième lieu, il ne ressort pas des éléments produits que le niveau d'éclairage naturel et artificiel serait insuffisant, les occultations partielles étant le fait des détenus eux-mêmes. En troisième lieu, le mobilier qui a été changé n'apparaît pas vétuste ou obsolète, en particulier en ce qui concerne les deux lits superposés. En quatrième lieu, si compte tenu de l'ancienneté de l'installation électrique, les détenus utilisent des rallonges qui courent en travers de la cellule, pour leur permettre de raccorder les différents appareils électriques dont l'usage s'est multiplié depuis la construction du bâtiment qui a plus de cinquante ans, il ne résulte pas de l'instruction que cette installation de fortune les mettrait en danger. En cinquième lieu, il n'est pas contesté que le réseau d'eau n'offre qu'une alimentation en eau froide du lavabo, qui sert aussi d'évier, dont la pression peut se révéler insuffisante.

16. Enfin, s'agissant des autres conditions de détention, il résulte de l'instruction, en premier lieu, que l'installation provisoire d'un troisième occupant conduit nécessairement à l'installation d'un matelas au sol. En deuxième lieu, l'état général du bâtiment A est particulièrement vétuste notamment en ce qui concerne les douches auxquelles l'accès est, par ailleurs, restreint. En troisième lieu, il résulte également de l'instruction que les temps de sortie de la cellule sont généralement réduits à une à deux heures par jour, et que les activités proposées ne permettent pas, dans tous les cas, d'assurer aux détenus placés en cellule collective des temps d'occupation hors de la cellule significativement longs.

17. Il résulte de l'ensemble de ces constats, tout d'abord, qu'en dépit des travaux de rénovation de la cellule qui ont mis fin au très mauvais état de celle-ci constatée notamment par l'autorité judiciaire, ceux-ci n'ont pas remédié à des insuffisances structurelles concernant l'alimentation en eau et l'installation électrique au sein de la cellule. Par ailleurs, les détenus continuent d'être placés jusqu'à la fin de la reconstruction dans un bâtiment de l'établissement n'offrant pas, de manière générale, des conditions de détention décentes. Enfin, ni la liberté de circulation hors de la cellule, ni les activités hors cellule adéquates sont assurées, en règle générale, de manière satisfaisante. Ces éléments sont, par suite, de nature à constituer des circonstances aggravantes des conditions de détention qu'il y a lieu de prendre en considération.

18. Il s'ensuit que, d'une part, lorsque la cellule n° 625 est occupée par trois détenus, même si cette sur-occupation est occasionnelle et de courte durée, la restriction de l'espace personnel de chaque occupant en-deçà de 3 m² qui en résulte n'est pas mineure sans que des compensations adéquates viennent systématiquement atténuer cette situation. D'autre part, lorsqu'elle est occupée par deux détenus mais que la surface personnelle reste inférieure à 4 m², les facteurs aggravants des conditions de détention décrits aux points 16 et 17 doivent aussi être pris en considération. En conséquence, et sans qu'il y ait lieu à ce stade de tenir compte des moyens dont l'administration dispose, lesquels interviennent seulement au stade de la définition des mesures de sauvegarde susceptibles d'être ordonnées par le juge du référé-liberté pour mettre fin aux atteintes constatées, la SFOIP, dont la requête vérifie, eu égard à l'ensemble des circonstances de l'espèce, la condition d'urgence, est fondée à soutenir que l'occupation de la cellule n° 625 par trois ou même deux détenus conduit à exposer, de manière caractérisée, ces derniers à un traitement inhumain ou dégradant, portant ainsi une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale que constitue le droit de ne pas être soumis à de tels traitements tel qu'il est notamment protégé par l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

En ce qui concerne les demandes d'injonction :

S'agissant de la fermeture de la cellule n° 625 ou de la limitation de son occupation à un seul détenu :

19. Il résulte de ce qui a été dit au point 15 que, compte tenu notamment des travaux de rénovation partielle dont elle a fait l'objet, la cellule n° 625 ne présente pas, en l'état de l'instruction, un état tel que les détenus qui y sont affectés seraient, du seul fait d'aménagements intérieurs vétustes ou dangereux ou d'un mauvais niveau d'entretien, exposés à un danger caractérisé ou soumis de manière caractérisée à des conditions indignes de détention. Le constat d'une violation des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, formulé au point 18, tient, ainsi qu'il a été dit, soit à une sur-occupation par trois détenus compte tenu de la réduction significative de l'espace personnelle sans compensation adéquate, soit, en cas d'occupation par deux détenus, à l'existence de certains facteurs aggravants distincts. L'administration pénitentiaire étant tenue d'accueillir, quel que soit l'espace dont elle dispose, la totalité des personnes mises sous écrou en mettant en œuvre les dérogations au principe de l'encellulement individuel prévues par les dispositions du code pénitentiaire citées au point 5, il lui appartient, dans les deux hypothèses précitées et en fonction des moyens dont elle dispose, de favoriser les circulations et les activités hors de la cellule de manière adéquate pour atténuer les inconvénients inhérents aux conditions de détention au sein de la cellule. De telles mesures de compensation reposant toutefois sur la prise en compte de nombreux facteurs, ne sont pas au nombre de celles que le juge du référé-liberté peut déterminer de manière générale et à bref délai. La SFOIP n'est, dès lors, pas fondée à demander que la cellule n° 625 soit fermée ou qu'elle ne soit occupée que par un seul détenu, étant sauve la possibilité pour tout détenu qui estimerait subir des conditions indignes de détention de saisir, le cas échéant, l'autorité judiciaire sur le fondement de l'article 803-8 du code de procédure pénale mentionné au point 9.

S'agissant des travaux de cloisonnement des toilettes et de remplacement des fenêtres :

20. Aux termes de l'article R. 321-3 du code pénitentiaire : " Dans tout local où les personnes détenues séjournent, les fenêtres doivent être suffisamment grandes pour que celles-ci puissent lire et travailler à la lumière naturelle. L'agencement de ces fenêtres doit permettre l'entrée d'air frais. La lumière artificielle doit être suffisante pour permettre aux personnes détenues de lire ou de travailler sans altérer leur vue. / Les installations sanitaires doivent être propres et décentes. Elles doivent être réparties d'une façon convenable et leur nombre proportionné à l'effectif des personnes détenues. / Lorsqu'une cellule est occupée par plus d'une personne, un aménagement approprié de l'espace sanitaire est réalisé en vue d'assurer la protection de l'intimité des personnes détenues ".

21. En premier lieu, il résulte de l'instruction, ainsi qu'il a été dit au point 15, que ni l'état d'entretien des fenêtres, ni la luminosité de la cellule n'appellent à bref délai des mesures destinées à remédier à des défauts caractérisés.

22. En second lieu, si la SFOIP soutient qu'en l'absence de cloisonnement intégral des toilettes jusqu'au plafond sur l'ensemble des côtés, le respect de l'intimité des détenus n'est pas assuré, il ne résulte pas de l'instruction, ainsi qu'il a été dit au point 15, que le cloisonnement mis en place porterait une atteinte caractérisée à l'intimité des détenus. En outre, il résulte des échanges à l'audience qu'une telle demande revient à contester non seulement le cloisonnement mis en place dans la cellule n° 625 mais plus généralement un choix d'" aménagement approprié ", tel que prévu à l'article R. 321-3 du code pénitentiaire, adopté plus généralement par le ministère de la justice dans le cadre de son plan de rénovation des cellules. Une telle mesure présente, en réalité, un caractère d'ordre structurel et n'est, dès lors pas, en tout état de cause, au nombre de celle que le juge du référé-liberté peut prononcer à bref délai. En revanche, ainsi qu'il a été rappelé au point 8, le juge de l'excès de pouvoir peut, lorsqu'il est saisi à cet effet, enjoindre, le cas échéant, à l'administration pénitentiaire de remédier à des atteintes structurelles aux droits fondamentaux des prisonniers en lui fixant, le cas échéant, des obligations de moyens ou de résultats.

S'agissant des travaux de sécurisation des installations électriques et d'accès à l'eau chaude dans la cellule :

23. Ainsi qu'il a été dit au point 15, il ne résulte pas de l'instruction que l'installation électrique existante ferait courir un risque à la sécurité des occupants de la cellule 625. En outre, il résulte de l'instruction que les travaux relatifs à la modernisation de l'installation électrique et à l'accès à l'eau chaude au sein de cette cellule présentent un caractère structurel. Par suite, les mesures destinées à remédier aux insuffisances de l'installation ou du réseau existants ne sont pas au nombre de celles que le juge du référé-liberté peut prononcer à bref délai.

S'agissant du remplacement du mobilier :

24. Il ne résulte pas de l'instruction que le mobilier de la cellule devrait être changé.

25. Il résulte de tout ce qui précède que la SFOIP n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande. Par suite, sa requête doit être rejetée, y compris les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête de la SFOIP est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la Section française de l'Observatoire international des prisons et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Fait à Paris, le 20 décembre 2022

Signé : Olivier Yeznikian


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 469304
Date de la décision : 20/12/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 20 déc. 2022, n° 469304
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP SPINOSI

Origine de la décision
Date de l'import : 29/01/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:469304.20221220
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