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06/12/2022 | FRANCE | N°465221

France | France, Conseil d'État, 7ème chambre, 06 décembre 2022, 465221


Vu la procédure suivante :

Le centre hospitalier de Douai a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Lille, sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, de condamner la société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics (SMABTP) à lui verser la somme de 5 197 001,05 euros correspondant au montant des travaux de reprise nécessaires à la réparation des désordres affectant le réseau d'eau chaude sanitaire de ses bâtiments mis en service en juillet 2008, assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation de

s intérêts. Par une ordonnance n° 2101650 du 9 juillet 2021, le juge de...

Vu la procédure suivante :

Le centre hospitalier de Douai a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Lille, sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, de condamner la société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics (SMABTP) à lui verser la somme de 5 197 001,05 euros correspondant au montant des travaux de reprise nécessaires à la réparation des désordres affectant le réseau d'eau chaude sanitaire de ses bâtiments mis en service en juillet 2008, assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts. Par une ordonnance n° 2101650 du 9 juillet 2021, le juge des référés du tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Par une ordonnance n° 21DA01804 du 9 juin 2022, la juge des référés de la cour administrative d'appel de Douai a, sur appel du centre hospitalier de Douai, décidé que la SMABTP versera au centre hospitalier de Douai une provision de 997 087,60 euros, avec intérêts, et réformé l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Lille en ce qu'elle a de contraire à cette ordonnance.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 23 juin et 7 juillet 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la SMABTP demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé, de rejeter l'appel du centre hospitalier de Douai ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Douai la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code des assurances ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Frédéric Gueudar Delahaye, conseiller d'Etat,

- les conclusions de Mme Cécile Raquin, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Gadiou, Chevallier, avocat de la société SMABTP ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges des référés que dans le cadre de la construction d'un nouveau centre hospitalier, le centre hospitalier de Douai a souscrit, en sa qualité de maître d'ouvrage, le 30 mai 2006, un contrat d'assurance dommages-ouvrage auprès de la société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics (SMABTP). A la suite de la constatation de dysfonctionnements persistants dans la distribution d'eau chaude sanitaire de l'établissement, le centre hospitalier a sollicité une expertise auprès du juge des référés du tribunal administratif de Lille. Le rapport d'expertise a été déposé le 20 juin 2019. Le 11 septembre 2020, le centre hospitalier de Douai a demandé à son assureur le remboursement ou l'avance de divers frais. Par une ordonnance du 9 juillet 2021, le juge des référés du tribunal administratif de Lille a rejeté la demande du centre hospitalier tendant à la condamnation de la SMABTP au versement d'une provision d'un montant de 5 197 001,05 euros au titre du préfinancement des travaux en application de l'article L. 242-1 du code des assurances. Sur appel du centre hospitalier, la présidente de la 3ème chambre de la cour administrative d'appel de Douai a ordonné à la SMABTP de verser au centre hospitalier de Douai une provision de 997 087,60 euros TTC, avec intérêts au taux légal à compter du 5 mars 2021. La SMABTP se pourvoit en cassation contre cette ordonnance.

Sur la régularité de l'ordonnance :

2. Si la requérante soutient que la juge des référés de la cour administrative d'appel de Douai a rendu une décision irrégulière pour ne pas avoir analysé l'ensemble des moyens soulevés par les parties, le moyen n'est pas assorti des précisions suffisantes permettant d'en apprécier le bien-fondé.

Sur le bien-fondé de l'ordonnance :

En ce qui concerne l'absence de déclaration de sinistre avant la saisine du juge des référés expertise :

3. Aux termes de l'article L. 242-1 du code des assurances : " Toute personne physique ou morale qui, agissant en qualité de propriétaire de l'ouvrage (...) fait réaliser des travaux de construction, doit souscrire avant l'ouverture du chantier (...) une assurance garantissant, en dehors de toute recherche des responsabilités, le paiement de la totalité des travaux de réparation des dommages de la nature de ceux dont sont responsables les constructeurs au sens de l'article 1792-1, les fabricants et importateurs ou le contrôleur technique sur le fondement de l'article 1792 du code civil. / Toutefois, l'obligation prévue au premier alinéa ci-dessus ne s'applique ni aux personnes morales de droit public (...), lorsque ces personnes font réaliser pour leur compte des travaux de construction pour un usage autre que l'habitation. / L'assureur a un délai maximal de soixante jours, courant à compter de la réception de la déclaration du sinistre, pour notifier à l'assuré sa décision quant au principe de la mise en jeu des garanties prévues au contrat./ Lorsqu'il accepte la mise en jeu des garanties prévues au contrat, l'assureur présente, dans un délai maximal de quatre-vingt-dix jours, courant à compter de la réception de la déclaration du sinistre, une offre d'indemnité, (...) destinée au paiement des travaux de réparation des dommages. (...) / Lorsque l'assureur ne respecte pas l'un des délais prévus aux deux alinéas ci-dessus ou propose une offre d'indemnité manifestement insuffisante, l'assuré peut, après l'avoir notifié à l'assureur, engager les dépenses nécessaires à la réparation des dommages (...) ".

4. Il résulte de ces dispositions, ainsi que l'a relevé à bon droit la juge des référés de la cour administrative d'appel de Douai, que le centre hospitalier n'était pas tenu de souscrire une assurance dommages-ouvrage pour la réalisation de l'ouvrage en litige, et qu'il n'était pas davantage soumis aux dispositions règlementaires du code des assurances imposant notamment la forme de la déclaration de sinistre préalable. Ces dispositions ne font, au surplus, pas obstacle à ce que l'assuré, dans le cadre d'un litige relatif à la responsabilité des constructeurs, saisisse le juge des référés sur le fondement de l'article R. 532-1 du code de justice administrative pour qu'il prescrive une expertise. Par suite, dès lors que la SMABTP ne pouvait utilement se prévaloir de ces dispositions et après avoir relevé, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, qu'elle n'invoquait par ailleurs la méconnaissance d'aucune stipulation du contrat lui-même relative au caractère préalable à toute demande d'expertise d'une telle déclaration, l'auteure de l'ordonnance attaquée a pu, sans commettre d'erreur de droit, écarter le moyen tiré de ce que l'obligation dont se prévaut le centre hospitalier présenterait un caractère sérieusement contestable, faute d'avoir fait l'objet d'une déclaration de sinistre antérieurement à la demande d'expertise.

En ce qui concerne la prescription biennale :

5. Aux termes de l'article L. 114-1 du code des assurances : " Toutes actions dérivant d'un contrat d'assurance sont prescrites par deux ans à compter de l'événement qui y donne naissance. (...) ".

6. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du référé que le centre hospitalier soutenait devant eux, sans être contesté sur ce point, que son courrier du 11 septembre 2020 devait être regardé comme la déclaration de sinistre. Par suite, la SMABTP n'est pas fondée à soutenir que la juge des référés de la cour administrative d'appel de Douai aurait méconnu le principe du contradictoire en soulevant d'office sans en avertir les parties un moyen tiré de ce qu'une déclaration de sinistre aurait été adressée à cette date.

7. En deuxième lieu, il ressort des énonciations de l'ordonnance attaquée que la juge des référés de la cour administrative d'appel de Douai s'est bornée, au point 5, à rappeler que le centre hospitalier de Douai n'était pas soumis, en l'espèce, à l'obligation prévue par l'article L. 242-1 du code des assurances et à en tirer les conséquences pour ce qui concerne les obligations réglementaires liées à la forme de la déclaration de sinistre et, au point 7, à rappeler les conditions dans lesquelles il convient d'apprécier, dans le cas particulier de l'assurance dommage-ouvrage, qu'elle soit obligatoire ou volontaire, l'application des dispositions de l'article L. 114-1 relative à la prescription biennale. Le moyen tiré de ce que l'ordonnance serait entachée d'une contradiction de motifs ne peut, par suite, qu'être écarté.

8. En troisième lieu, il résulte des dispositions de l'article L. 242-1 du code des assurances citées au point 3 qu'alors même que le maître d'ouvrage n'était pas tenu de souscrire une assurance dommages-ouvrage, l'assureur auprès duquel il a souscrit une telle assurance est tenu de répondre à toute déclaration de sinistre, en adressant à son assuré le courrier contenant sa décision quant au principe de la mise en jeu des garanties prévues au contrat dans le délai maximal de soixante jours suivant la réception de la déclaration de sinistre. A défaut, l'assureur ne peut plus opposer la prescription biennale prévue par l'article L. 114-1 du même code lorsqu'elle est déjà acquise à la date d'expiration de ce délai. La seule circonstance que l'assureur n'ait pas respecté ce délai ne fait pas obstacle à ce qu'il puisse ensuite opposer la prescription biennale dans le cas où l'action du maître de l'ouvrage n'a pas été engagée dans le délai de deux ans à compter de l'expiration du délai de soixante jours suivant la réception de la déclaration de sinistre. Il ressort des pièces du dossier soumis à la juge des référés que le centre hospitalier a saisi la SMABTP d'une déclaration de sinistre le 10 septembre 2020 puis, en l'absence de réponse de l'assureur, a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Lille le 5 mars 2021, soit moins de deux ans après l'expiration du délai de soixante jours suivant la réception de la déclaration de sinistre. Par suite, en jugeant que l'action du centre hospitalier de Douai n'était pas atteinte par la prescription prévue par l'article L. 114-1 du code des assurances, la juge des référés de la cour administrative d'appel de Douai n'a pas commis d'erreur de droit ni dénaturé les pièces du dossier.

En ce qui concerne le caractère décennal des désordres :

9. En relevant, par des constatations exemptes de dénaturation, que les désordres affectant le réseau de distribution d'eau chaude sanitaire de l'hôpital étaient de nature à engendrer un risque grave et patent de présence de légionnelles et devaient être regardés, s'agissant d'un hôpital, comme rendant l'ouvrage impropre à sa destination alors même que, en l'espèce, des mesures de désinfection palliatives avaient permis transitoirement à l'établissement de fonctionner sans que cette présence ne soit effectivement détectée, et en en déduisant que ces désordres étaient de nature à engager la responsabilité décennale des constructeurs, l'auteure de l'ordonnance attaquée a suffisamment motivé son ordonnance et n'a pas commis d'erreur de droit.

En ce qui concerne l'évaluation du montant de la provision :

10. Aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie ". Il résulte de ces dispositions que, pour regarder une obligation comme non sérieusement contestable, il appartient au juge des référés de s'assurer que les éléments qui lui sont soumis par les parties sont de nature à en établir l'existence avec un degré suffisant de certitude. Dans ce cas, le montant de la provision que peut allouer le juge des référés n'a d'autre limite que celle résultant du caractère non sérieusement contestable de l'obligation dont les parties font état. Dans l'hypothèse où l'évaluation du montant de la provision résultant de cette obligation est incertaine, le juge des référés ne doit allouer de provision, le cas échéant assortie d'une garantie, que pour la fraction de ce montant qui lui paraît revêtir un caractère de certitude suffisant. La qualification juridique opérée par le juge des référés lorsqu'il se prononce sur le caractère non sérieusement contestable de l'obligation invoquée devant lui peut être contestée devant le juge de cassation tandis que l'évaluation du montant de la provision correspondant à cette obligation relève, en l'absence de dénaturation, de son appréciation souveraine.

11. La SMABTP soutient que la nature et le coût des travaux à engager pour remédier aux désordres présentent un caractère incertain et que le coût des prestations de maîtrise d'œuvre et d'OPC retenu comme base de calcul du montant de la provision est excessif. Il ressort toutefois des énonciations de l'ordonnance attaquée et des pièces du dossier qui lui était soumis que la juge des référés de la cour administrative d'appel de Douai s'est fondée, pour évaluer le montant de la provision accordée, sur le seul coût de prestations justifiées par l'expert pour remédier aux désordres et effectivement engagées par le centre hospitalier. En retenant ce montant comme présentant un caractère suffisamment certain pour justifier l'octroi d'une provision, elle s'est livrée à une appréciation souveraine exempte tant de dénaturation que d'erreur de droit.

12. Il résulte de tout ce qui précède que la SMABTP n'est pas fondée à demander l'annulation de l'ordonnance qu'elle attaque.

Sur les conclusions présentées par la SMABTP au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge du centre hospitalier de Douai qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le pourvoi de la SMABTP est rejeté.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société SMABTP et au centre hospitalier de Douai.

Délibéré à l'issue de la séance du 17 novembre 2022 où siégeaient : M. Olivier Japiot, président de chambre, présidant ; M. Gilles Pellissier, conseiller d'Etat et M. Frédéric Gueudar Delahaye, conseiller d'Etat-rapporteur.

Rendu le 6 décembre 2022.

Le président :

Signé : M. Olivier Japiot

Le rapporteur :

Signé : M. Frédéric Gueudar Delahaye

Le secrétaire :

Signé : M. François Saucède


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 06 déc. 2022, n° 465221
Inédit au recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Frédéric Gueudar Delahaye
Rapporteur public ?: Mme Cécile Raquin
Avocat(s) : SCP GADIOU, CHEVALLIER

Origine de la décision
Formation : 7ème chambre
Date de la décision : 06/12/2022
Date de l'import : 11/12/2022

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 465221
Numéro NOR : CETATEXT000046694333 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2022-12-06;465221 ?
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