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19/10/2022 | FRANCE | N°455499

France | France, Conseil d'État, 2ème chambre, 19 octobre 2022, 455499


Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 12 août 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... C... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 15 janvier 2015 rapportant le décret du 2 mars 2012 lui accordant la nationalité française ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l

e code civil ;

- le décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 ;

- le code de justice administrative ...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 12 août 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... C... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 15 janvier 2015 rapportant le décret du 2 mars 2012 lui accordant la nationalité française ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code civil ;

- le décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Yves Doutriaux, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Clément Malverti, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article 27-2 du code civil : " Les décrets portant acquisition, naturalisation ou réintégration peuvent être rapportés sur avis conforme du Conseil d'Etat dans le délai de deux ans à compter de leur publication au Journal officiel si le requérant ne satisfait pas aux conditions légales ; si la décision a été obtenue par mensonge ou fraude, ces décrets peuvent être rapportés dans le délai de deux ans à partir de la découverte de la fraude ".

2. Il ressort des pièces du dossier que M. C..., ressortissant comorien, a déposé une demande de réintégration dans la nationalité française le 20 janvier 2009, en indiquant être divorcé et sans enfant. Au vu de ses déclarations, il a été réintégré dans la nationalité française par décret du 2 mars 2012, publié au Journal officiel de la République française du 7 mars 2012. Toutefois, par bordereau du ministre des affaires étrangères reçu le 23 janvier 2013, le ministre de l'intérieur, ministre chargé des naturalisations, a été informé de ce que M. C... avait épousé, le 7 décembre 2007 à Bambao M'Tsanga (Comores), Mme B... D..., ressortissante comorienne. Par décret du 15 janvier 2015, publié au Journal officiel de la République française du 17 janvier 2015, le Premier ministre a rapporté le décret du 2 mars 2012 prononçant la réintégration de M. C... dans la nationalité française au motif qu'il avait été pris au vu d'informations mensongères délivrées par ce dernier quant à sa situation familiale. M. C... demande l'annulation pour excès de pouvoir de ce décret.

3. En premier lieu, il ressort des mentions de l'ampliation du décret attaqué, certifiée conforme par le secrétaire général du Gouvernement, que celui-ci a été signé par le Premier ministre et contresigné par le ministre de l'intérieur. Par suite, le moyen tiré de ce que le décret attaqué ne serait pas revêtu des signatures requises ne peut qu'être écarté.

4. En deuxième lieu, en vertu des dispositions combinées des articles 59 et 62 du décret du 30 décembre 1993 relatif aux déclarations de nationalité, aux décisions de naturalisation, de réintégration, de perte, de déchéance et de retrait de la nationalité française, dans sa version en vigueur à la date du décret attaqué, lorsque le Gouvernement a l'intention de retirer un décret de naturalisation, il " notifie à l'intéressé, en la forme administrative ou par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, les motifs de droit et de fait justifiant qu'il pourra être déclaré avoir perdu la qualité de Français ". Il ressort des pièces du dossier que le ministre chargé des naturalisations a notifié à M. C... les motifs justifiant le retrait du décret le réintégrant dans la nationalité française par une lettre du 21 février 2013, notifiée le 13 mars suivant à l'intéressé.

5. En troisième lieu, aucune disposition législative ou réglementaire ne prévoit la communication à l'intéressé de l'avis émis par le Conseil d'Etat sur le projet de décret rapportant le décret ayant procédé à la réintégration de l'intéressé dans la nationalité française.

6. En quatrième lieu, l'article 21-16 du code civil dispose que : " Nul ne peut être naturalisé s'il n'a en France sa résidence au moment de la signature du décret de naturalisation ". Il résulte de ces dispositions que la demande de naturalisation n'est pas recevable lorsque l'intéressé n'a pas fixé en France de manière durable le centre de ses intérêts. Pour apprécier si cette condition est remplie, l'autorité administrative peut notamment prendre en compte, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la situation personnelle et familiale en France de l'intéressé à la date du décret lui accordant la nationalité française.

7. Il ressort des pièces du dossier que M. C... a contracté mariage, le 7 décembre 2007, à Bambao M'Tsanga (Comores), avec Mme B... D..., ressortissante comorienne. Cette union, intervenue avant sa demande de réintégration, aurait dû être portée à la connaissance des autorités chargées de l'instruction de sa demande, comme il s'y était engagé lors de son dépôt. M. C... soutient qu'il a, de bonne foi, pensé que cette union religieuse ne pouvait être regardée comme un mariage par les autorités françaises, faute d'acte d'état civil ayant force probante. Toutefois, la circonstance que cette union ne pourrait être qualifiée de mariage en vertu de la loi qui lui est applicable, n'interdit pas à l'autorité compétente de prendre en compte son existence pour apprécier si la condition de résidence posée par l'article 21 16 du code civil est remplie. Il en résulte qu'alors même qu'il remplirait les autres conditions requises pour la réintégration dans la nationalité française, la circonstance que l'intéressé ait conclu une union religieuse à l'étranger avec une ressortissante comorienne, avant l'instruction de sa demande de réintégration, était de nature à modifier l'appréciation qui a été portée par l'autorité administrative sur la fixation du centre de ses intérêts. L'intéressé, qui maîtrise la langue française ainsi qu'il ressort du procès-verbal d'assimilation du 20 janvier 2009, ne pouvait se méprendre ni sur la teneur des indications devant être portées à la connaissance de l'administration chargée d'instruire sa demande, ni sur la portée de la déclaration sur l'honneur qu'il a signée. Dans ces conditions, M. C... doit être regardé comme ayant sciemment dissimulé sa situation familiale. Par ailleurs, les circonstances qu'il était séparé de fait avec Mme D... lors de l'instruction de sa demande et qu'il s'est uni avec cette dernière devant les autorités françaises, postérieurement à sa réintégration, n'est pas de nature à remettre en cause l'appréciation du caractère frauduleux de ses déclarations au vu desquelles il a été réintégré dans la nationalité française. Par suite, en rapportant sa naturalisation dans le délai de deux ans à compter de la découverte de la fraude, le Premier ministre n'a pas fait une inexacte application des dispositions de l'article 27-2 du code civil.

8. En dernier lieu, un décret qui rapporte un décret ayant conféré la nationalité française est, par lui-même, dépourvu d'effet sur la présence sur le territoire français de celui qu'il vise, comme sur ses liens avec les membres de sa famille, et n'affecte pas, dès lors, le droit au respect de sa vie familiale. En revanche, un tel décret affecte un élément constitutif de l'identité de la personne concernée et est ainsi susceptible de porter atteinte au droit au respect de sa vie privée. En l'espèce, toutefois, eu égard à la date à laquelle il est intervenu et aux motifs qui le fondent, le décret attaqué ne peut être regardé comme ayant porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée de M. C... garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

9. Il résulte de ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 15 janvier 2015 par lequel le Premier ministre a rapporté le décret du 2 mars 2012. Ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A... C... et au ministre de l'intérieur et des Outre-mer.

Délibéré à l'issue de la séance du 15 septembre 2022 où siégeaient : M. Nicolas Boulouis, président de chambre, présidant ; M. Jean-Yves Ollier, conseiller d'Etat et M. Yves Doutriaux, conseiller d'Etat-rapporteur.

Rendu le 19 octobre 2022.

Le président :

Signé : M. Nicolas Boulouis

Le rapporteur :

Signé : M. Yves Doutriaux

La secrétaire :

Signé : Mme Eliane Evrard


Synthèse
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 455499
Date de la décision : 19/10/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 19 oct. 2022, n° 455499
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Yves Doutriaux
Rapporteur public ?: M. Clément Malverti

Origine de la décision
Date de l'import : 23/10/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:455499.20221019
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