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23/09/2022 | FRANCE | N°455412

France | France, Conseil d'État, 10ème chambre, 23 septembre 2022, 455412


Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 10 août 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Le Poirier-au-Loup et Mme B... C... demandent au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir les dispositions du III de l'article 2-3 du décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de la crise sanitaire, dans sa rédaction issue du décret n° 2021-1059 du 7 août 2021.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, et notamment son Préambule

;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamen...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 10 août 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Le Poirier-au-Loup et Mme B... C... demandent au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir les dispositions du III de l'article 2-3 du décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de la crise sanitaire, dans sa rédaction issue du décret n° 2021-1059 du 7 août 2021.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, et notamment son Préambule ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la loi n° 2021-689 du 31 mai 2021 ;

- la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 ;

- le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 ;

- le décret n° 2021-1059 du 7 août 2021 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Bruno Delsol, conseiller d'Etat,

- les conclusions de Mme A... de Moustier, rapporteure publique ;

Considérant ce qui suit :

1. A l'expiration, le 1er juin 2021, de l'état d'urgence sanitaire qui avait été déclenché en octobre 2020 pour faire face à une reprise de l'épidémie de covid-19, l'évolution de la situation sanitaire a conduit à une modification des mesures prises pour lutter contre l'épidémie. Aux termes des dispositions du II de l'article 1er de loi du 31 mai 2021 relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire, modifiée par la loi du 5 août 2021 adoptée alors que la situation sanitaire était à nouveau en nette dégradation, " A - A compter du 2 juin 2021 et jusqu'au 15 novembre 2021 inclus, le Premier ministre peut, par décret pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, dans l'intérêt de la santé publique et aux seules fins de lutter contre la propagation de l'épidémie de covid-19 : (...)/ 2° Subordonner à la présentation soit du résultat d'un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19, soit d'un justificatif de statut vaccinal concernant la covid-19, soit d'un certificat de rétablissement à la suite d'une contamination par la covid-19 l'accès à certains lieux, établissements, services ou évènements où sont exercées les activités suivantes : (...) b) Les activités de restauration commerciale ou de débit de boissons, à l'exception de la restauration collective, de la vente à emporter de plats préparés et de la restauration professionnelle routière et ferroviaire ; / (...°) B.-La présentation du résultat d'un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19, d'un justificatif de statut vaccinal concernant la covid-19 ou d'un certificat de rétablissement à la suite d'une contamination par la covid-19 dans les cas prévus au A du présent II peut se faire sous format papier ou numérique. (...). " . L'accès à certains lieux, établissements, services ou évènements était ainsi subordonné à la présentation d'un justificatif sanitaire, dit " passe sanitaire ", sous format papier ou numérique, contenant un " code-QR ". Le défaut de vérification du " passe sanitaire " exposait les exploitants de ces lieux, établissements, services et évènements, à des sanctions pénales instituées par le D du II de l'article 1er de la loi du 31 mai 2021.

2. Pris sur le fondement des dispositions précitées de la loi du 31 mai 2021, le III de l'article 2.3 du décret du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de la crise sanitaire, dans sa rédaction issue du décret du 7 août 2021, prévoit que " La lecture des justificatifs par les personnes et services mentionnés au II peut être réalisée au moyen d'une application mobile dénommée " TousAntiCovid Vérif ", mise en œuvre par le ministre chargé de la santé (direction générale de la santé), ou de tout autre dispositif de lecture répondant à des conditions fixées par un arrêté des ministres chargés de la santé et du numérique. Les personnes mentionnées aux 1° et 3° utilisant ces derniers dispositifs en informent le préfet de département. / (...). / Pour le contrôle des justificatifs requis en application du 2° du A du II de l'article 1er de la loi du 31 mai 2021 susvisée, les personnes et services habilités peuvent lire les noms, prénoms et date de naissance de la personne concernée par le justificatif, ainsi qu'un résultat positif ou négatif de détention d'un justificatif conforme, établi conformément aux dispositions de l'article 2-2. / Sur l'application " TousAntiCovid Vérif ", les données ne sont traitées qu'une seule fois, lors de la lecture du justificatif, et ne sont pas conservées. Sur les autres dispositifs de lecture mentionnés au premier alinéa du présent III, les données ne sont traitées que pour la durée d'un seul et même contrôle d'un déplacement ou d'un accès à un lieu, établissement ou service et seules les données mentionnées à l'alinéa précédent peuvent être conservées temporairement pour la durée du contrôle. Les données ne peuvent être conservées et réutilisées à d'autres fins. ".

3. La SARL Le Poirier-au-Loup, qui exploite une activité de restauration, et Mme C..., sa gérante, demandent d'annuler pour excès de pouvoir les dispositions du III de l'article 2.3 du décret du 1er juin 2021 en ce qu'elles imposent aux restaurateurs, pour prouver l'exécution de leur obligation de contrôler la validité des " passes sanitaires " de leurs clients au travers de l'application gouvernementale dénommée " TousAntiCovid Vérif ", de disposer et d'utiliser un téléphone portable.

4. En premier lieu, si, contrairement à ce que soutient le ministre en défense, les dispositions du III de l'article 2-3 du décret attaqué du 1er juin 2021 impliquent nécessairement que les exploitants de lieux, établissements, services et évènements soumis à l'obligation de vérification du " passe sanitaire " disposent d'un téléphone susceptible de procéder au contrôle du " code-QR " présenté par leurs clients, cette seule obligation, eu égard au coût d'un tel appareil, ne saurait par elle-même porter une atteinte à la liberté du commerce et de l'industrie.

5. En deuxième lieu, l'article 6 de la Charte de l'environnement, à laquelle le Préambule de la Constitution fait référence en vertu de la loi constitutionnelle du 1er mars 2005, dispose que " Les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. A cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l'environnement, le développement économique et le progrès social ". Le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions résultant de l'obligation de disposer d'un téléphone mobile susceptible de procéder au contrôle des " codes-QR " des " passes sanitaires ", alors qu'il s'agit d'appareils légalement commercialisés, couramment utilisés par les professionnels et dont certains modèles répondent aux préoccupations éthiques et environnementales des requérantes, ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté.

6. En troisième lieu, si les dispositions attaquées, en ce qu'elles imposent aux personnes, tenues d'opérer la vérification des " passes sanitaires ", l'usage d'un téléphone mobile ou d'un autre dispositif présentant les mêmes fonctionnalités, sont susceptibles de porter atteinte à la liberté de conscience de celles de ces personnes qui ne souhaitent pas utiliser une technologie qu'elles désapprouvent, cette atteinte est néanmoins justifiée par la nécessité de contrôler les justificatifs dans des conditions garantissant à la fois la confidentialité des données médicales qu'ils contiennent et leur authenticité. Par suite, le moyen tiré de l'atteinte disproportionnée à la liberté de conscience ne peut qu'être écarté.

7. En quatrième lieu, en précisant les modalités de contrôle des justificatifs des " passes sanitaires " et en imposant leur lecture numérique, afin de garantir tant la confidentialité que l'authenticité des données en cause, le Premier ministre, qui s'est borné à faire application des mesures autorisées par les dispositions du II de l'article 1er de loi du 31 mai 2021, a pris une mesure de police à la fois nécessaire, adoptée et proportionnée qui ne saurait être regardée, en tout état de cause, comme portant atteinte à la liberté de choix des moyens pour mettre fin à un trouble à l'ordre public.

8. En dernier lieu, le moyen tiré de la méconnaissance du principe de nécessité des peines ainsi que de l'article 34 de la Constitution par les dispositions attaquées du décret en litige ne peut qu'être écarté dès lors que la sanction pénale applicable aux exploitants qui ne respectent pas leur obligation de contrôle des " passes sanitaires " a été instituée par les dispositions du D du II de l'article 1er de la loi du 31 mai 2021.

9. Il résulte de tout ce qui précède que la société Le Poirier-au-Loup et Mme C... ne sont pas fondées à demander l'annulation des dispositions qu'elles attaquent du décret du 1er juin 2021.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de la société Le Poirier-au-Loup et de Mme C... est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Le Poirier-au-Loup, première dénommée pour l'ensemble des requérantes et au ministre de la santé et de la prévention.

Copie en sera adressée à la Première ministre et au ministre de l'économie et des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré à l'issue de la séance du 12 septembre 2022 où siégeaient : Mme Nathalie Escaut, conseillère d'Etat, présidant ; M. Bruno Delsol, conseiller d'Etat-rapporteur et M. Alexandre Lallet, conseiller d'Etat.

Rendu le 23 septembre 2022.

La présidente :

Signé : Mme Nathalie Escaut

Le rapporteur :

Signé : M. Bruno Delsol

La secrétaire :

Signé : Mme Sylvie Leporcq


Synthèse
Formation : 10ème chambre
Numéro d'arrêt : 455412
Date de la décision : 23/09/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 23 sep. 2022, n° 455412
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Bruno Delsol
Rapporteur public ?: Mme Esther de Moustier

Origine de la décision
Date de l'import : 25/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:455412.20220923
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