Vu la procédure suivante :
Par un mémoire enregistré le 15 juin 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme H... W..., épouse K..., demande au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de la requête présentée par elle-même et par Mme B... N..., Mme F... Q..., M. S... L..., Mme M... D..., Mme X... Y..., M. C... U..., M. E... P..., M. R... A..., M. V... J..., Mme I... O... et Mme T... G... tendant à l'annulation pour excès de pouvoir des articles 47-1, 49-1 et 49-2 du décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire et de l'article 1er du décret n° 2021-1059 du 7 août 2021 modifiant celui-ci, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions des articles 12 et 14 de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- la décision du Conseil constitutionnel n° 2015-458 QPC du 20 mars 2015 ;
- la décision du Conseil constitutionnel n° 2021-824 DC du 5 août 2021 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Dominique Agniau-Canel, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.
2. L'article 1er de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire a notamment pour objet d'étendre le champ d'application du dispositif, dit du " passe sanitaire ", en vertu duquel le Premier ministre peut subordonner l'accès à certains lieux, établissements, services ou évènements à la présentation soit du résultat d'un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19, soit d'un justificatif de statut vaccinal, soit d'un certificat de rétablissement à la suite d'une contamination. Les articles 12 à 19 de la même loi instituent et organisent une obligation de vaccination contre la covid-19 pour les personnes qui exercent certaines activités, dont les professionnels de santé.
3. La requête de Mme W..., épouse K... et autres doit être regardée comme tendant à l'annulation des articles 47-1, 49-1 et 49-2 du décret du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire, et de ses autres dispositions concernant le " passe sanitaire " et l'obligation vaccinale, dans leur rédaction issue de l'article 1er du décret du 7 août 2021. A l'appui de cette requête, Mme W..., épouse K... demande au Conseil d'Etat de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions des articles 12 et 14 de la loi 5 août 2021.
Sur l'article 12 de la loi du 5 août 2021 :
3. Le I de l'article 12 de la loi du 5 août 2021 soumet à l'obligation de vaccination contre la covid-19, sauf contre-indication médicale reconnue, les personnes exerçant leur activité dans les établissements de santé et dans certains établissements, services ou lieux à vocation sanitaire, sociale ou médicosociale ou destinés à l'habitat des personnes âgées ou handicapées. Il soumet à la même obligation, dans les mêmes conditions, " 2° Les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du code de la santé publique, lorsqu'ils ne relèvent pas du 1° du présent I ; / 3° Les personnes, lorsqu'elles ne relèvent pas des 1° ou 2° du présent I, faisant usage : / a) Du titre de psychologue (...) ; / b) Du titre d'ostéopathe ou de chiropracteur (...) ; / c) Du titre de psychothérapeute (...) ; / 4° Les étudiants ou élèves des établissements préparant à l'exercice des professions mentionnées aux 2° et 3° du présent I ainsi que les personnes travaillant dans les mêmes locaux que les professionnels mentionnés au 2° ou que les personnes mentionnées au 3° ", ainsi que les salariés des particuliers employeurs intervenant au domicile des personnes attributaires de l'allocation personnalisée d'autonomie ou de la prestation de compensation du handicap, les sapeurs-pompiers et certaines autres personnes intervenant dans des missions de sécurité civile, les professionnels du transport sanitaire ou du transport conventionné avec l'assurance maladie, les prestataires de service et les distributeurs de matériels destinés à favoriser le retour à domicile et l'autonomie des personnes malades ou présentant une incapacité ou un handicap. Le II renvoie à un décret pour certaines modalités concernant les conditions de vaccination, le certificat de statut vaccinal et le certificat de rétablissement. Le III précise que le I ne s'applique pas aux personnes chargées de l'exécution d'une tâche ponctuelle dans certains locaux. Le IV dispose : " un décret, pris après avis de la Haute Autorité de santé, peut, compte tenu de l'évolution de la situation épidémiologique et des connaissances médicales et scientifiques, suspendre, pour tout ou partie des catégories de personnes mentionnées au I, l'obligation prévue au même I ".
En ce qui concerne la liberté individuelle, le droit au respect de la vie privée, la sauvegarde de la dignité de la personne humaine, le droit au respect de l'intégrité physique et du corps humain, la liberté d'entreprendre et la liberté du commerce et de l'industrie:
4. Ainsi que l'a jugé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2015-458 QPC du 20 mars 2015, il est loisible au législateur de définir une politique de vaccination afin de protéger la santé individuelle et collective, ainsi que de modifier les dispositions relatives à cette politique de vaccination pour tenir compte de l'évolution des données scientifiques, médicales et épidémiologiques. Le droit à la protection de la santé garanti par le Préambule de la Constitution de 1946 n'impose pas de rechercher si l'objectif de protection de la santé que s'est assigné le législateur aurait pu être atteint par d'autres voies, dès lors que les modalités retenues par la loi ne sont pas manifestement inappropriées à l'objectif visé.
5. D'une part, en fixant une obligation vaccinale pour l'ensemble des personnes mentionnées à l'article 12, notamment les professionnels de santé, le législateur a entendu, dans un contexte de progression rapide de l'épidémie de Covid-19 accompagné de l'émergence de nouveaux variants et compte tenu d'un niveau encore incomplet de la couverture vaccinale de certains professionnels de santé, garantir la continuité des soins et de certains services grâce à la protection offerte par les vaccins disponibles et protéger, par l'effet de la moindre transmission du virus par les personnes vaccinées, la santé des personnes les plus vulnérables, notamment des personnes malades. Cette obligation vaccinale ne s'impose pas, en vertu de l'article 13, aux personnes qui présentent un certificat médical de contre-indication ainsi que, pendant la durée de sa validité, aux personnes disposant d'un certificat de rétablissement. Par ailleurs l'article contesté donne compétence au pouvoir réglementaire, dans les conditions citées au point 3, pour suspendre cette obligation. Enfin, la vaccination contre la Covid-19, dont l'efficacité au regard des objectifs rappelés au point précédent, est établie en l'état des connaissances scientifiques, n'est susceptible de provoquer, sauf dans des cas très rares, que des effets indésirables mineurs et temporaires.
6. D'autre part, si Mme W..., épouse K... fait grief à l'article 12 de ne pas tenir compte " de la nature des activités réalisées par les professionnels libéraux ", elle se borne à soutenir à l'appui de sa question prioritaire de constitutionnalité que ceux-ci peuvent réaliser des prestations sans aucun contact avec des personnes vulnérables, notamment par la téléconsultation. Il n'en ressort pas qu'il pourrait être fait usage de cette faculté de manière systématique et durable. En outre, une telle dérogation ne serait pas compatible avec la nécessité d'un contrôle effectif.
7. Dans ces conditions, la requérante n'est pas fondée à soutenir que les dispositions contestées, qui sont justifiées par une exigence de santé publique et ne sont pas manifestement inappropriées à l'objectif qu'elles poursuivent, portent atteinte aux principes constitutionnels invoqués.
En ce qui concerne la méconnaissance du principe d'égalité :
8. Le principe constitutionnel d'égalité n'oblige pas le législateur à traiter différemment des personnes se trouvant dans des situations différentes. Par suite, le moyen tiré de ce que le législateur aurait méconnu ce principe en n'opérant pas de distinction entre les différentes catégories de médecins ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté.
9. Il résulte de ce qui précède qu'en ce qui concerne les dispositions de l'article 12, la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux.
Sur l'article 14 de la loi du 5 août 2021 :
10. Le I de l'article 14 de la loi du 5 août 2021 prévoit que les personnes mentionnées au I de l'article 12 qui ne satisfont pas à leurs obligations ne peuvent plus exercer leur activité. Les II et III du même article 14 en tirent les conséquences pour les salariés et pour les agents publics. Le IV dispose que les agences régionales de santé vérifient que certaines personnes faisant l'objet de l'interdiction d'exercer ne méconnaissent pas celle-ci. En vertu du V, lorsque l'employeur ou l'agence régionale de santé constate qu'un professionnel de santé ne peut plus exercer son activité depuis plus de trente jours, il en informe, le cas échéant, le conseil national de l'ordre dont il relève.
11. D'une part, l'article 47-1 est relatif aux établissements, lieux, services et évènements dont l'accès est subordonné à la présentation du passe sanitaire. Il n'existe ainsi aucun lien entre l'article 14 de la loi du 5 août 2021 et cet article ou les autres articles attaqués relatifs au " passe sanitaire ".
12. D'autre part, l'article 49-1 du décret du 1er juin 2021 et ses autres dispositions en litige précisent les modalités selon lesquelles les personnes mentionnées à l'article 12 de la loi du 5 août 2021 satisfont à leurs obligations et en justifient. L'article 49-2 du même décret précise la définition des locaux mentionnés au 4° du I du même article 12, cité au point 3 de la présente décision, en vertu duquel les personnes travaillant dans les mêmes locaux que certains professionnels soumis à l'obligation vaccinale sont soumises à la même obligation. Si Mme W..., épouse K... soutient que les dispositions de l'article 14 de la loi du 5 août 2021 portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, cette circonstance est sans incidence sur la légalité des obligations dont ces dispositions ont pour objet de tirer les conséquences.
13. Par suite, l'article 14 de la loi du 5 août 2021 ne peut être regardé comme applicable au litige, au sens et pour l'application de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958.
14. Au surplus, le A du paragraphe I de l'article 14 a été reconnu conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel par sa décision n° 2021-824 DC du 5 août 2021.
15. Il résulte de tout ce qui précède qu'il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par Mme W..., épouse K....
D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par Mme W... épouse K....
Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme H... W..., épouse K....
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel, à la Première ministre et au ministre de la santé et de la prévention.
Délibéré à l'issue de la séance du 7 juillet 2022 où siégeaient : M. Bertrand Dacosta, président de chambre, présidant ; M. Alexandre Lallet, conseiller d'Etat et Mme Dominique Agniau-Canel, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.
Rendu le 22 juillet 2022.
Le président :
Signé : M. Bertrand Dacosta
La rapporteure :
Signé : Mme Dominique Agniau-Canel
La secrétaire :
Signé : Mme Sylvie Leporcq