Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 15 et 28 juin 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... C..., la société d'exercice libéral à responsabilité limitée (SELAS) " Cabinet 158 Croix Nivert " et la société de participation financière de profession libérale (SPFPL) Eurodonti France demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :
1°) de suspendre l'exécution de la décision implicite par laquelle le conseil départemental de Paris de l'ordre des chirurgiens-dentistes a refusé l'inscription de la SELAS " Cabinet 158 Croix Nivert " au tableau ;
2°) d'enjoindre au conseil départemental de Paris de l'ordre des chirurgiens-dentistes de procéder à l'inscription au tableau de la SELAS " Cabinet 158 Croix Nivert " ;
3°) de mettre à la charge du conseil départemental de Paris de l'ordre des chirurgiens-dentistes la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- la requête est recevable, les décisions prises sur les demandes d'inscription au tableau de l'ordre des chirurgiens-dentistes constituant des décisions de nature administrative ;
- le Conseil d'Etat est compétent en premier et dernier ressort ;
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que, d'une part, le refus opposé par le conseil départemental empêche la mise en œuvre du projet médical porté par les associés fondateurs, a des conséquences financières graves et fait obstacle au démarrage de l'activité de la société et, d'autre part, le refus opposé à l'inscription est sans cohérence avec les décisions successives prises antérieurement par ce même conseil et ne pouvait être anticipé par les associés fondateurs ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée ;
- elle est entachée d'un vice de forme dès lors qu'ils n'ont pas été conviés pour être entendus devant le conseil départemental avant l'intervention de la décision contrairement aux disposition de l'article R. 4113-7 du code de la santé publique ;
- les statuts de la société sont conformes aux dispositions législatives et réglementaires en vigueur et aucun des éléments auxquels il a été fait référence dans le courrier de l'ordre du 4 mars 2022 n'est de nature à justifier un tel refus d'inscription ;
- aucune disposition législative ou réglementaire ne dispose qu'une société de participation financière de profession libérale ne peut détenir plus de deux participations dans une société d'exercice libéral ;
- les principes déontologiques d'interdiction de la pratique de la chirurgie-dentaire comme un commerce ou de protection de l'indépendance des praticiens ne justifient pas une limitation à deux participations, en l'absence de texte.
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 juin 2022, le conseil départemental de Paris de l'ordre des chirurgiens-dentistes conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge des requérants au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il soutient qu'aucun des moyens soulevés ne justifie la suspension de la décision attaquée.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 ;
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. C..., la SELAS Cabinet 158 Croix Nivert et la SPFPL Eurodonti, et d'autre part, le conseil départemental de Paris de l'ordre des chirurgiens-dentistes ;
Ont été entendus lors de l'audience publique du 28 juin 2022, à 15 heures :
- Me Coudray, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. C... et autres ;
- les représentants de M. C... et autres ;
- M. C... ;
- Me Thiriez, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat du conseil départemental de Paris de l'ordre des chirurgiens-dentistes de Paris ;
à l'issue de laquelle le juge des référés a clôt l'instruction.
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".
2. Il résulte de l'instruction que le conseil départemental de l'ordre des chirurgiens-dentistes de Paris a implicitement refusé l'inscription au tableau de cet ordre de la société d'exercice libéral à responsabilité limitée (SELAS) " Cabinet 158 Croix Nivert " au motif qu'un de ses actionnaires, la société de participation financière de profession libérale (SPFPL) Eurodonti France, ne peut être autorisée à détenir des participations dans plus de deux sociétés d'exercice libéral constituées. Il résulte des éléments précisés lors de l'audience publique que le conseil départemental reconnaît qu'une société de participations financière de profession libérale ne fait pas partie des personnes physiques ou morales " figurant parmi celles mentionnées aux 1° et 5° de l'article 5 de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales ", pour lesquelles l'article R. 4113-11 du code de la santé publique pose une règle de limitation des participations à deux sociétés d'exercice libéral. Il estime cependant que la même règle doit s'appliquer aux sociétés de participation financière de profession libérale au regard, d'une part, du principe, fixé à l'article R. 4127-215 du code de la santé publique, selon lequel : " La profession dentaire ne doit pas être pratiquée comme un commerce ", et d'autre part du principe, fixé à l'article R. 4127- 5 du même code, selon lequel : " Le médecin ne peut aliéner son indépendance professionnelle sous quelque forme que ce soit ". Il considère en outre, à titre subsidiaire, que l'inscription de la SELAS " Cabinet 158 Croix Nivert " ne peut avoir lieu dès lors que la SPFPL Eurodonti France ne répond pas aux conditions posées par l'article 31-1 de la loi du 31 décembre 1990. La SELAS " Cabinet 158 Croix Nivert ", la SPFPL Eurodonti France et M. C..., associé de la SELAS, demandent la suspension de l'exécution de cette décision implicite de refus d'inscription.
3. D'une part, l'urgence justifie la suspension de l'exécution d'un acte administratif lorsque celui-ci porte atteinte de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte contesté sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue. L'urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire.
4. D'autre part, il résulte des dispositions des articles L. 4112-4, R. 4112-5 et R. 4112-5-1 du code de la santé publique qu'un refus d'inscription au tableau de l'ordre des chirurgiens-dentistes décidé par un conseil départemental de cet ordre doit, préalablement à l'exercice d'un recours contentieux, faire l'objet d'un recours administratif devant le conseil régional puis, au besoin, devant le conseil national et qu'un recours pour excès de pouvoir contre la décision du conseil national relève de la compétence de premier et dernier ressort du Conseil d'Etat. Dès lors, le Conseil d'Etat peut être saisi, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, d'une demande tendant à ce que l'exécution du refus d'inscription soit suspendue, alors même qu'il n'aurait pas encore été statué sur le recours administratif, sous réserve que le conseil régional soit saisi d'un tel recours, ou, s'il a statué, que sa décision ait été contestée devant le Conseil national.
5. Pour justifier de l'urgence à suspendre la décision qu'ils attaquent, les requérants font valoir que le projet médical porté par la SELAS " Cabinet 158 Croix Nivert ", dont l'ambition est de rassembler une large équipe pluridisciplinaire sur un plateau médical neuf s'étendant sur 360 m2 avec une capacité totale de onze unités de soins, permettant d'intégrer jusqu'à seize praticiens, a mobilisé pendant neuf mois un grand nombre d'acteurs et a fait l'objet de lourds investissements. Ils précisent, à ce dernier titre, qu'ils ont signé un bail commercial d'un montant de 170 000 euros par mois, que l'aménagement du plateau a fait l'objet d'un investissement de 1 110 066,49 euros et que le montant de trésorerie consolidé de 1 449 060,34 euros sera rapidement amputé compte tenu de cet investissement. Ils indiquent également que M. C... s'est retiré en tant qu'associé d'une autre société d'exercice libéral dans l'optique de sa nouvelle participation et qu'une promesse d'intégration a été adressée à un futur associé professionnel, M. A..., qui se trouve dans l'attente d'un transfert.
6. S'il est vrai que le refus attaqué a pour effet de reporter le démarrage d'exercice au sein de la société de M. C... et de M. A..., ces derniers ne se trouvent cependant pas, à la date de la présente ordonnance, dans l'impossibilité d'exercer leur activité par ailleurs. S'il est vrai également que le report du lancement de l'exploitation du cabinet, qui était prévu en juin 2022, entraîne pour la société et ses actionnaires des conséquences organisationnelles et financières significatives, cette société ne pouvait toutefois ignorer que, ainsi que le prévoit l'article R. 4113-4 du code de la santé publique, elle était constituée sous la condition suspensive de son inscription au tableau de l'ordre, et que par conséquent elle prenait un risque en engageant toutes les dépenses sans attendre son inscription - le fait que, selon elle, le refus du conseil départemental n'était pas prévisible étant sans incidence. En outre, il résulte des éléments recueillis à l'audience que le conseil régional, appelé à statuer sur le bien-fondé de la décision attaquée dans le cadre du recours préalable obligatoire prévu par l'article R. 4112-5 du code de la santé publique, dont la décision se substituera à la décision attaquée, a été saisi dès début juin et a convoqué les parties au litige le 7 juillet prochain. Il statuera donc sur le recours dans de brefs délais. Au regard de l'ensemble de ces circonstances, la condition d'urgence requise par l'article L. 521-1 du code de justice administrative ne peut, en l'espèce, être regardée comme constituée.
7. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre condition posée par l'article L. 521-1 du code de justice administrative, que doivent être rejetées les conclusions des requérants, y compris celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées à ce dernier titre par le conseil départemental de Paris de l'ordre des chirurgiens-dentistes de Paris.
O R D O N N E :
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Article 1er : La requête de M. C... et autres est rejetée.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête du conseil départemental de Paris de l'ordre des chirurgiens-dentistes de Paris est rejeté.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à M. B... C..., premier dénommé pour l'ensemble des requérants, et au conseil départemental de Paris de l'ordre des chirurgiens-dentistes de Paris.
Fait à Paris, le 5 juillet 2022
Signé : Damien Botteghi