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14/06/2022 | FRANCE | N°464441

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 14 juin 2022, 464441


Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire enregistrés les 27 mai, 9 et 10 juin 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... A... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution de la délibération n° 2022-137 du 19 avril 2022 par laquelle la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) a rendu un avis d'incompatibilité à propos de l'exercice des fonctions de directeur d'ac

tivités au sein de la société Alliaserv ESNA avec les fonctions publiques exe...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire enregistrés les 27 mai, 9 et 10 juin 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... A... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution de la délibération n° 2022-137 du 19 avril 2022 par laquelle la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) a rendu un avis d'incompatibilité à propos de l'exercice des fonctions de directeur d'activités au sein de la société Alliaserv ESNA avec les fonctions publiques exercées au cours des trois dernières années dans les services de la commune de Cenon ;

2°) de mettre à la charge de la HATVP la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- sa requête est recevable ;

- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que la délibération contestée qui l'empêche d'exercer les fonctions de directeur d'activité au sein de la société Alliaserv ESNA le prive de travail et de revenu, ce qui a pour effet de le placer concrètement dans une situation financière particulièrement difficile ;

- il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée ;

- elle a été prise au terme d'une procédure irrégulière dès lors, d'une part, que le dossier transmis par la commune ne lui ayant pas été communiqué, il ne peut être regardé comme ayant été mis à même de présenter utilement des observations et, d'autre part, que les éléments qu'il a produits n'ont pas été examinés ou pris en compte par la HATVP ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation en ce qu'il ne disposait, dans le cadre de ses fonctions, d'aucune délégation de signature en matière de contrats et n'avait pas à formuler d'avis sur l'attribution des deux marchés en cause pour lesquels la société Alliaserv ESNA a, selon le cas, la qualité de titulaire ou de co-traitante et d'inexactitude matérielle en ce qu'il n'a pas participé à la rédaction des rapports d'analyse des offres à destination de la commission d'appel d'offres ou du jury à laquelle il siégeait d'ailleurs sans voix délibérative.

Par deux mémoires en défense, enregistrés les 7 et 10 juin 2022, la HATVP conclut au rejet de la requête. Elle soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite et que les moyens invoqués ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée à la commune de Cénon qui n'a pas produit d'observations.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code général de la fonction publique ;

- le code pénal ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- le décret n° 2020-69 du 30 janvier 2020 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. A..., et, d'autre part, la HATVP et la commune de Cénon ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 10 juin 2022, à 10 heures :

- Me Lesourd, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. A... ;

- la représentante de M. A... ;

- M. A... ;

- les représentants de la HATVP ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a reporté la clôture de l'instruction au vendredi 10 juin 2022 à 21 heures ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

2. D'une part, en vertu de l'article L. 124-10 du code de la fonction publique, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique est chargée d'émettre un avis sur le projet d'activité privée lucrative présenté par un agent public qui souhaite cesser temporairement ou définitivement ses fonctions, en application des articles L. 124-4 et L. 124-5. Selon l'article L. 124-4, il appartient au fonctionnaire cessant définitivement ou temporairement ses fonctions de saisir à titre préalable l'autorité hiérarchique dont il relève afin d'apprécier la compatibilité de toute activité lucrative, salariée ou non, dans une entreprise privée ou un organisme de droit privé ou de toute activité libérale avec les fonctions qu'il a exercées au cours des trois années précédant le début de cette activité et que, dans l'hypothèse où, ayant un doute sérieux, elle a saisi le référent déontologue et que l'avis de celui-ci ne permet pas de lever le doute, l'autorité hiérarchique saisit la Haute Autorité. En vertu des dispositions combinées des articles L. 124-14 et L. 124-15 du même code, les avis notamment d'incompatibilité que la Haute Autorité rend lorsqu'elle est saisie en application de l'article L. 124-10 et qui sont notifiés à l'administration, à l'agent et à l'entreprise ou à l'organisme de droit privé d'accueil de l'agent, lient l'administration et s'imposent à l'agent public.

3. D'autre part, aux termes de l'article L. 124-12 : " Dans l'exercice de ses attributions mentionnées à l'article L. 124-10, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique examine si l'activité exercée par l'agent public risque (...) de placer l'intéressé en situation de commettre les infractions prévues aux articles 432-12 ou 432-13 du code pénal ". L'article 432-13 du code pénal dispose : " Est puni de trois ans d'emprisonnement et d'une amende de 200 000 €, dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l'infraction, le fait, par une personne ayant été chargée, en tant que (...), titulaire d'une fonction exécutive locale, fonctionnaire, (...) ou agent d'une administration publique, dans le cadre des fonctions qu'elle a effectivement exercées, (...), soit de conclure des contrats de toute nature avec une entreprise privée ou de formuler un avis sur de tels contrats, (...) avant l'expiration d'un délai de trois ans suivant la cessation de ces fonctions ". Pour apprécier ce risque, il appartient à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, non d'examiner si les éléments constitutifs de ces infractions sont effectivement réunis, mais d'apprécier le risque qu'ils puissent l'être et de se prononcer de telle sorte qu'il soit évité à l'intéressé comme à l'administration d'être mis en cause.

4. M. A..., fonctionnaire territorial titulaire du grade d'ingénieur principal, a été placé, à sa demande, en disponibilité pour convenances personnelles à compter du 1er septembre 2021 par arrêté du maire de Cenon du 10 août 2021. Le 1er septembre 2021, il a été recruté en tant que directeur d'activité par la société Alliaserv ESNA, sans avoir préalablement saisi le maire de Cenon conformément au III de l'article 25 octies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires dont les dispositions sont reprises à l'article L. 124-4 du code de la fonction publique et aux articles 18 et 24 du décret du 30 janvier 2020 relatif aux contrôles déontologiques dans la fonction publique qui organisent la saisine préalable de l'autorité hiérarchique avant la cessation de ses fonctions par l'agent qui projette d'exercer une activité privée. Après avoir invité l'intéressé à lui fournir les informations utiles pour apprécier la compatibilité de son activité privée avec ses précédentes fonctions et saisi son référent déontologue de la situation, la commune a transmis à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) une demande d'avis sur la reconversion professionnelle de son agent. Cette dernière, par une délibération du 19 avril 2022, a émis un avis d'incompatibilité. M. A... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de cette délibération.

5. En premier lieu, il résulte de l'instruction, d'une part, que M. A... qui a été mis à même de présenter ses observations auprès de la HATVP, n'a pas sollicité la communication du dossier que la commune avait transmis à cette dernière. Si, d'autre part, M. A... allègue que la HATVP n'a pas pris en compte les éléments qu'il lui avait communiqués à l'appui de son argumentation, cette affirmation, démentie à l'audience par le représentant de la HATVP, n'est pas corroborée par les pièces du dossier alors même que l'avis ne répondrait pas à tous les arguments dont l'intéressé avait fait état. Par suite, en l'état de l'instruction, le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure n'est pas de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée.

6. En second lieu, il résulte de l'instruction que le contrat de performance énergétique chauffage, ventilation, climatisation, d'une durée de 6 ans et 8 mois, attribué le 21 avril 2021 par la commune de Cenon au groupement dont la société Alliaserv ESNA est le mandataire ainsi que le marché global de performance pour la construction d'un centre aqualudique, d'une durée totale de 138 mois, confié par la commune le 1er mars 2021 à un groupement dont la société Baudin Chateauneuf est le mandataire et dont la société Alliaserv ESNA est l'un des co-traitants, ont fait l'objet de procédures de passation pilotées par la direction du patrimoine dont M. A... était à l'époque le directeur. S'il fait valoir qu'il ne disposait pas de délégation de signature pour conclure ces marchés, qu'il n'a pas participé avec voix délibérative au jury du concours, qu'aucun document écrit n'atteste qu'il a formalisé un avis à l'une quelconque des étapes du choix et que la commune bénéficiait dans les deux cas d'une assistance à maîtrise d'ouvrage, les fonctions qu'il exerçait l'ont effectivement conduit à participer à de nombreuses étapes du processus d'analyse, de négociation et de sélection dans chacun des deux marchés. Par suite, et alors même que la rédaction de la décision contestée comporte, ainsi que le représentant de la HATVP l'a admis à l'audience, une maladresse, à propos d'un des deux marchés, en retenant que M. A... avait participé à la rédaction des rapports d'analyse des offres, le moyen tiré de ce que la HATVP aurait inexactement appliqué les dispositions pénales en cause et commis une erreur dans l'appréciation du risque que les éléments constitutifs de l'infraction réprimée à l'article 432-13 du code pénal puissent être réunis, n'est pas, en l'état de l'instruction, de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée.

7. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner la condition d'urgence, que la requête de M. A... doit être rejetée, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. B... A... et à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.

Copie en sera adressée à la commune de Cenon.

Fait à Paris, le 14 juin 2022

Signé : Olivier Yeznikian


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 464441
Date de la décision : 14/06/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 14 jui. 2022, n° 464441
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP LESOURD

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:464441.20220614
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