Vu la procédure suivante :
1° Sous le n° 450085, par une requête et deux mémoires complémentaires, enregistrés les 23 février et 12 mars 2021 et 11 février 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. AE... O..., Mme B... AA..., M. K... H..., M. U... Y..., Mme P... V..., M. AD..., Mme AF... Z..., M. C... Z..., Mme AB..., M. AC..., M. L... X..., M. D... W..., M. M... R..., M. T... E..., Mme F... N..., M. I... S... et M. G... Q... demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'instruction n° 6245/SG du 25 janvier 2021 du Premier ministre relative aux mesures frontalières mises en œuvre dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, en tant qu'elle ne prévoit pas de dérogation pour les familles de ressortissants algériens " scientifiques chercheurs " ;
2°) d'enjoindre au Premier ministre de prendre des mesures réglementaires afin de permettre aux familles des ressortissants algériens " scientifiques chercheurs " de se voir délivrer des visas et d'être autorisées à entrer sur le territoire ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
2° Sous le n°450542, par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés le 10 mars 2021 et le 11 février 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. AE... O..., Mme B... AA..., M. K... H..., M. U... Y..., Mme P... V..., M. AD..., Mme AF... Z..., M. C... Z..., Mme AB..., M. AC..., M. L... X..., M. D... W..., M. M... R..., M. T... E..., Mme F... N..., M. I... S... et M. G... Q... demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'instruction n° 6248/SG du 22 février 2021 du Premier ministre ayant pour objet les mesures frontalières mises en œuvre dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire en tant qu'elle maintient l'exclusion des familles des ressortissants algériens " scientifiques chercheurs " du dispositif de dérogations d'entrée sur le territoire français ;
2°) d'enjoindre au Premier ministre de prendre des mesures réglementaires afin de permettre aux familles des ressortissants algériens " scientifiques chercheurs " de se voir délivrer des visas et d'être autorisées à entrer sur le territoire ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale des droits de l'enfant ;
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour des ressortissants algériens et de leurs familles ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 2020-856 du 9 juillet 2020 ;
- la loi n° 2021-160 du 15 février 2021 ;
- le décret n° 2020-1257 du 14 octobre 2020 ;
- le décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Dominique Agniau-Canel, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de Mme J... de Moustier, rapporteure publique ;
Considérant ce qui suit :
1. Eu égard aux moyens qu'ils invoquent, M. O... et autres doivent être regardés comme demandant l'annulation, d'une part, du point 2.1.2 de l'instruction du Premier ministre n° 6245/SG du 25 janvier 2021 ayant pour objet les mesures frontalières mises en œuvre dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire et, d'autre part, du point 2.1.2 de l'instruction n° 6248/SG du 22 février 2021 ayant le même objet, en tant que ces dispositions ne font pas figurer sur la liste des catégories de personnes autorisées à entrer sur le territoire métropolitain depuis un pays extérieur à l'espace européen les membres de la famille des ressortissants algériens résidant en France titulaires d'un certificat de résidence " scientifique ". Il y a lieu de joindre les deux requêtes pour statuer par une seule décision.
Sur les interventions au soutien de la requête n° 450085 :
2. L'Association des avocats pour la défense du droit des étrangers, l'association nationale d'assistance aux frontières pour les étrangers, le Groupe d'information et de soutien des immigré·e·s, la Ligue des Droits de l'Homme et le Syndicat des avocats de France justifient d'un intérêt suffisant au soutien de la requête. Leurs interventions sont donc recevables.
Sur le cadre juridique du litige :
3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 3131-12 du code de la santé publique : " L'état d'urgence sanitaire peut être déclaré sur tout ou partie du territoire métropolitain ainsi que du territoire des collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution et de la Nouvelle-Calédonie en cas de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population. ". Aux termes de l'article L. 3131-13 du même code : " L'état d'urgence sanitaire est déclaré par décret en conseil des ministres pris sur le rapport du ministre chargé de la santé (...). " Aux termes de l'article L. 3131-15, dans sa version issue de la loi du 9 juillet 2020 : " I.- Dans les circonscriptions territoriales où l'état d'urgence sanitaire est déclaré, le Premier ministre peut, par décret réglementaire pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, aux seules fins de garantir la santé publique : / (...) / 1° Réglementer ou interdire la circulation des personnes (...) 3° Ordonner des mesures ayant pour objet la mise en quarantaine, au sens de l'article 1er du règlement sanitaire international de 2005, des personnes susceptibles d'être affectées ; 4° Ordonner des mesures de placement et de maintien en isolement, au sens du même article 1er, à leur domicile ou tout autre lieu d'hébergement adapté, des personnes affectées ;(...) . / II.- Les mesures prévues aux 3° et 4° du I du présent article ayant pour objet la mise en quarantaine, le placement et le maintien en isolement ne peuvent viser que les personnes qui, ayant séjourné au cours du mois précédent dans une zone de circulation de l'infection, entrent sur le territoire hexagonal, arrivent en Corse ou dans l'une des collectivités mentionnées à l'article 72-3 de la Constitution. La liste des zones de circulation de l'infection est fixée par arrêté du ministre chargé de la santé. (...) /; III. Les mesures prescrites en application du présent article sont strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu'elles ne sont plus nécessaires ".
4. La situation épidémiologique au cours des mois de septembre et d'octobre 2020 caractérisée par une accélération du rythme de l'épidémie de COVID-19, a conduit le Président de la République à prendre le 14 octobre 2020, sur le fondement de l'article L. 3131-12 et L. 3131-13 du code de la santé publique, un décret déclarant l'état d'urgence sanitaire à compter du 17 octobre sur l'ensemble du territoire national. Le Premier ministre a pris, sur le fondement de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique, le décret du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'urgence sanitaire et le ministre chargé de la santé a pris, le 10 juillet 2020, en application de ces dispositions, un arrêté identifiant les zones de circulation de l'infection du virus SARS-CoV-2. L'état d'urgence sanitaire a été prorogé jusqu'au 16 février 2021 inclus, puis jusqu'au 1er juin 2021 inclus, respectivement par la loi du 14 novembre 2020 autorisant la prorogation de l'état d'urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire et la loi du 15 février 2021 prorogeant l'état d'urgence sanitaire.
5. Aux termes de l'article 56-5 du décret du 29 octobre 2020, dans sa version en vigueur à la date de l'instruction du 22 février 2021 : " I. - Sont interdits, sauf s'ils sont fondés sur un motif impérieux d'ordre personnel ou familial, un motif de santé relevant de l'urgence ou un motif professionnel ne pouvant être différé, les déplacements de personnes :1° Entre le territoire métropolitain et un pays étranger autre que ceux de l'Union européenne, Andorre, l'Islande, le Liechtenstein, Monaco, la Norvège, Saint-Marin, le Saint-Siège ou la Suisse ; (...) ".
6. Les dispositions précitées de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique ne font pas obstacle à ce que des mesures visant à prévenir ou contenir la crise sanitaire qui a justifié la déclaration de l'état d'urgence sanitaire, et qui ne relèvent pas des domaines listés au I de cet article, soient également adoptées par les autorités dotées du pouvoir réglementaire sur d'autres fondements. Le Premier ministre peut ainsi, en vertu de ses pouvoirs propres, édicter des mesures de police applicables à l'ensemble du territoire afin de lutter contre la propagation du virus, et notamment prévoir des restrictions à l'accès au territoire français lors de déplacements internationaux.
7. L'instruction du 25 janvier 2021, abrogeant celle du 29 décembre 2020, et celle du 22 février 2021 qui lui succède fixent, en leur point 2.1.2, les catégories de personnes qui peuvent être admises à entrer en France en provenance d'un pays extérieur à l'espace européen.
8. En second lieu, aux termes de l'article 7 de l'accord bilatéral franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié, qui régit d'une manière complète les conditions dans lesquelles les ressortissants algériens peuvent être admis à séjourner en France, la nature des titres de séjour qui peuvent leur être délivrés, ainsi que les conditions dans lesquelles leurs conjoints et leurs enfants mineurs peuvent s'installer en France : " f) Les ressortissants algériens qui viennent en France pour mener des travaux de recherche ou dispenser un enseignement du niveau universitaire reçoivent, sous réserve d'une entrée régulière, un certificat de résidence valable un an portant la mention "scientifique" ; ". Selon l'article 6 du même accord : " Les dispositions du présent article, ainsi que celles des deux articles suivants, fixent les conditions de délivrance et de renouvellement du certificat de résidence aux ressortissants algériens établis en France ainsi qu'à ceux qui s'y établissent, sous réserve que leur situation matrimoniale soit conforme à la législation française. / Le certificat de résidence d'un an portant la mention vie privée et familiale" " est délivré de plein droit : / (...) 3. Au ressortissant algérien marié à un ressortissant étranger titulaire d'un titre de séjour d'un an portant la mention "scientifique" ", à condition que son entrée sur le territoire français ait été régulière ; ". Enfin, l'article 4 du même accord prévoit que : " Les membres de famille qui s'établissent en France sont mis en possession d'un certificat de résidence de même durée de validité que celui de la personne qu'ils rejoignent. / Sans préjudice des dispositions de l'article 9, l'admission sur le territoire français en vue de l'établissement des membres de famille d'un ressortissant algérien titulaire d'un certificat de résidence d'une durée de validité d'au moins un an, présent en France depuis au moins un an sauf cas de force majeure, et l'octroi du certificat de résidence sont subordonnés à la délivrance de l'autorisation de regroupement familial par l'autorité française compétente. (...) ". Il résulte de ces stipulations que le conjoint, de nationalité algérienne, et les enfants mineurs d'un ressortissant étranger, quelle que soit sa nationalité, titulaire d'un certificat de résidence portant la mention " scientifique ", en particulier un ressortissant algérien bénéficiaire du certificat " scientifique " prévu au 3 de l'article 7, peuvent, sous réserve que leur entrée sur le territoire français ait été régulière, se voir délivrer un certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale ", sans préjudice de la possibilité qui leur reste ouverte de bénéficier du regroupement familial organisé par l'article 4 de l'accord.
Sur les conclusions dirigées contre l'instruction du 25 janvier 2021 :
En ce qui concerne la fin de non-recevoir opposé par le ministre de l'intérieur :
9. Il ressort des pièces du dossier que cette instruction a reçu application avant son abrogation par celle du 22 février 2021. Par suite, le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir que la requête introduite postérieurement à l'intervention de la seconde instruction serait irrecevable.
En ce qui concerne la légalité de l'instruction :
10. En premier lieu, ainsi qu'il a été dit au point 6, le Premier ministre tirait de son pouvoir de police générale la compétence pour édicter cette instruction, sans qu'il soit besoin, contrairement à ce qui est soutenu, d'un fondement législatif.
11. En deuxième lieu, la circonstance que l'instruction litigieuse n'aurait pas été régulièrement publiée est sans incidence sur sa légalité.
12. En troisième lieu, le point 2.1.2 de cette instruction permet aux ressortissants algériens titulaires du certificat de résident portant la mention " scientifique " de faire venir en France leur conjoint et leurs enfants mineurs dans le cadre de la procédure de regroupement familial organisée par l'article 4 de l'accord franco-algérien et, à ce titre, de bénéficier de l'une des dérogations prévues par l'instruction litigieuse. Ni le droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant du 20 novembre 1989, qui prévoit que l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale dans toutes les décisions qui le concernent, n'imposent que les scientifiques étrangers bénéficient d'une procédure dérogatoire permettant aux membres de leur famille A... les rejoindre sans satisfaire aux conditions du regroupement familial, notamment au regard de la durée du séjour du regroupant. Dans ces conditions, et alors, d'une part, que les restrictions apportées par l'instruction du 25 janvier 2021 présentent un caractère temporaire et, d'autre part, que le même point 2.1.2 de l'instruction prévoit par ailleurs la possibilité, pour les personnes qui n'entrent pas dans la liste des catégories autorisées de plein droit à entrer sur le territoire métropolitain, de bénéficier d'un laissez-passer afin de venir en France s'ils justifient d'un motif impérieux, notamment d'ordre familial, le moyen tiré de ce que cette instruction méconnaîtrait ces stipulations, en tant qu'elle ne permet pas aux membres de la famille des ressortissants algériens titulaires d'un certificat de résidence " scientifique ", d'entrer de plein droit en France depuis un pays extérieur à l'espace européen, doit être écarté.
13. En quatrième lieu, la recommandation (UE) 2020/912 du 30 juin 2020 concernant la restriction temporaire des déplacements non essentiels vers l'Union européenne et la possible levée de cette restriction étant dépourvue de portée contraignante, le moyen tiré de la méconnaissance de cette recommandation par l'instruction contestée ne peut qu'être écarté.
14. En cinquième et dernier lieu, le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un comme dans l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier.
15. Aux termes de l'article L. 313-20 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en vigueur à la date de cette instruction : " La carte de séjour pluriannuelle portant la mention " passeport talent ", d'une durée maximale de quatre ans, est délivrée, dès sa première admission au séjour : (...) / 4° A l'étranger titulaire d'un diplôme équivalent au grade de master qui mène des travaux de recherche ou dispense un enseignement de niveau universitaire, dans le cadre d'une convention d'accueil signée avec un organisme public ou privé ayant une mission de recherche ou d'enseignement supérieur préalablement agréé. Cette carte porte la mention " chercheur ". (...) ". Selon l'article L. 313-21 du même code en vigueur à la même date : " La carte de séjour pluriannuelle portant la mention " passeport talent (famille) " est délivrée de plein droit, s'il est âgé d'au moins dix-huit ans, au conjoint de l'étranger mentionné à l'article L. 313-20 ainsi qu'à ses enfants entrés mineurs en France, dans l'année qui suit leur dix-huitième anniversaire ou lorsqu'ils entrent dans les prévisions de l'article L. 311-3, sous réserve du respect de la condition prévue à l'article L. 313-2. La durée de cette carte est égale à la période de validité restant à courir de la carte de séjour de leur conjoint ou parent. (...) ".
16. Le point 2.1.2 de l'instruction du 25 janvier 2021 prévoit que sont autorisés à entrer sur le territoire métropolitain depuis un pays situé en-dehors de l'espace européen et en zone de circulation de l'infection du virus les ressortissants de pays tiers disposant d'un visa de long séjour " passeport talent " ainsi que leur conjoint et leurs enfants. Il en résulte que les titulaires d'une carte de séjour pluriannuelle " passeport talent " portant la mention " chercheur " résidant en France étaient autorisés à faire entrer en France les membres de leur famille afin qu'ils puissent y séjourner sous couvert de la carte " passeport talent (famille) ".
17. Les ressortissants algériens titulaires du certificat de résidence " scientifique " prévu au f) de l'article 7 de l'accord franco-algérien de 1968, qui résident en France pour mener des travaux de recherche ou dispenser un enseignement du niveau universitaire sont, dès lors qu'ils sont titulaires d'un diplôme équivalent au grade de master et exercent leurs fonctions dans un organisme public ou privé bénéficiant de l'agrément prévu à l'article L. 313-20 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, placés dans la même situation que les titulaires de la carte de séjour " passeport talent " portant la mention " chercheur " au regard de l'objet du point 2.1.2 de l'instruction, qui vise notamment à ne pas dissuader les scientifiques étrangers de venir en France afin d'y mener des activités de recherche et d'enseignement ou, pour ceux qui résident déjà en France, à éviter qu'ils ne cessent leurs activités de recherche et d'enseignement pour une durée indéterminée voire définitivement afin de rejoindre leur famille dans leur pays d'origine, faute pour cette dernière d'être autorisée à venir en France. Il ne ressort pas des pièces du dossier, et n'est pas soutenu par l'administration, que des considérations d'intérêt général justifieraient d'exclure les scientifiques algériens mentionnés ci-dessus du bénéfice de ce régime. La différence de traitement instituée par le point 2.1.2 de l'instruction est donc contraire au principe d'égalité. Par suite, il y a lieu de l'annuler en tant qu'il n'inclut pas le conjoint et les enfants mineurs des ressortissants algériens titulaires du certificat de résidence " scientifique " remplissant les conditions mentionnées ci-dessus dans la liste des catégories de personnes autorisées à entrer en France depuis un pays situé en-dehors de l'espace européen et en zone de circulation de l'infection du virus.
18. En revanche, le conjoint et les enfants mineurs des autres ressortissants algériens titulaires du certificat de résidence " scientifique " ne sont pas placés dans la même situation que les membres de la famille des titulaires du " passeport talent " portant la mention " chercheur ". La différence de traitement qui en résulte, qui est en rapport avec l'objet de la norme tendant à limiter l'entrée des ressortissants étrangers en France en accordant la priorité, notamment, aux personnes dont la contribution à l'activité scientifique du pays est la plus éminente, n'est pas manifestement disproportionnée au regard de cette différence de situation. Par suite, le principe d'égalité ne faisait pas obligation au Premier ministre d'inclure ceux-ci dans la liste fixée au point 2.1.2 de l'instruction. Le moyen tiré de ce que l'instruction instaurerait à cet égard une discrimination contraire au droit de l'Union européenne et à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit, pour les mêmes motifs, être écarté.
Sur les conclusions relatives à l'instruction du 22 février 2021 :
19. En premier lieu, si le point 2.1.2 de l'instruction du 22 février 2021 maintient la dérogation à l'interdiction d'entrée sur le territoire métropolitain au profit des ressortissants de pays tiers disposant d'un visa de long séjour " passeport talent " venant d'un pays extérieur à l'espace européen, elle ne permet plus à son conjoint ou ses enfants d'en bénéficier de plein droit, contrairement à ce que prévoyait l'instruction du 25 janvier 2021 qu'elle remplace. Il en va de même des professionnels de santé ou de recherche étrangers concourant à la lutte contre la Covid-19 ou des chercheurs s'installant en France à l'invitation d'un laboratoire de recherche pour y mener des activités de recherche nécessitant impérativement une présence physique. Les membres de la famille de tels ressortissants étrangers ne sont ainsi autorisés à venir en France que s'ils sont titulaires d'un visa de long séjour délivré au titre du regroupement familial ou de la réunification familiale des bénéficiaires d'une protection internationale, en vertu d'une autre dérogation prévue par le point 2.1.2. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que cette instruction établirait une différence de traitement entre les scientifiques algériens et les autres scientifiques étrangers menant des activités de recherche ou d'enseignement en France, pour ce qui concerne le droit des membres de leur famille d'entrer en France depuis un pays situé en-dehors de l'espace européen.
20. En deuxième lieu, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, le point 2.1.2 de l'instruction du 22 février 2021, comme celui de l'instruction du 25 janvier 2021, permet aux ressortissants algériens titulaires du certificat de résident portant la mention " scientifique " de faire venir en France leur conjoint et leurs enfants mineurs dans le cadre de la procédure de regroupement familial organisée par l'article 4 de l'accord franco-algérien et, à ce titre, de bénéficier de l'une des dérogations prévues par l'instruction litigieuse. Pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 12, les moyens tirés de la violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant du 20 novembre 1989, en tant que l'instruction ne permet pas aux membres de la famille des ressortissants algériens titulaires d'un certificat de résidence " scientifique " d'entrer de plein droit en France depuis un pays extérieur à l'espace européen, doit être écarté.
21. En troisième lieu, eu égard, d'une part, à la situation sanitaire préoccupante prévalant en France à la date de l'instruction, marquée par le maintien d'une forte tension sur le système hospitalier et l'apparition de nouveaux variants plus contagieux du virus dans différentes zones géographiques, et, d'autre part, à la possibilité pour les membres de la famille d'entrer en France par la voie du regroupement familial ou au bénéfice d'un laissez-passer délivré pour motif impérieux, et alors même que le nombre de personnes qui bénéficieraient de la dérogation réclamée par les requérants serait modeste, le moyen tiré de ce que la restriction litigieuse porterait une atteinte disproportionnée aux droits et libertés des requérants doit également être écarté.
22. En quatrième et dernier lieu, la recommandation (UE) 2020/912 du 30 juin 2020 concernant la restriction temporaire des déplacements non essentiels vers l'Union européenne et la possible levée de cette restriction étant dépourvue de portée contraignante, le moyen tiré de la méconnaissance de cette recommandation par l'instruction contestée ne peut qu'être écarté.
23. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions dirigées contre le point 2.1.2 de l'instruction du 22 février 2021 doivent être rejetées.
Sur les conclusions à fins d'injonction :
24. D'une part, l'instruction du 25 janvier 2021 a été abrogée par celle du 22 février 2021, elle-même remplacée par une instruction n° 6268-SG du 19 mai 2021 qui prévoit que les catégories de ressortissants algériens équivalentes aux catégories de ressortissants de pays tiers autorisées à entrer en France sur le fondement de cette instruction, et dont les conditions de séjour sont régies de manière exclusive par l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968, sont autorisées à entrer sur le territoire national dans les mêmes conditions. Par suite, il n'y a pas lieu d'assortir l'annulation prononcée d'une injonction.
25. D'autre part, les conclusions à fins d'injonction dont sont assorties les conclusions à fins d'annulation de l'instruction du 22 février 2021, lesquelles sont rejetées par la présente décision, ne peuvent elles-mêmes qu'être rejetées.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
26. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre une somme de 3000 euros à la charge de l'Etat au profit de M. O... et autres au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : Les interventions de l'Association des avocats pour la défense du droit des étrangers, l'Association nationale d'assistance aux frontières pour les étrangers, le Groupe d'information et de soutien des immigré·e·s, la Ligue des Droits de l'Homme et le Syndicat des avocats de France présentées sous le n° 450085 sont admises.
Article 2 : L'instruction du Premier ministre n° 6245/SG du 25 janvier 2021 est annulée en tant qu'elle ne prévoit pas de dérogation pour permettre l'entrée en France des conjoints et enfants des ressortissants algériens titulaires d'un certificat de résidence portant la mention " scientifique " délivré en application du f) de l'article 7 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 titulaires d'un diplôme équivalent au grade de master et exerçant des activités de recherche ou d'enseignement dans un organisme public ou privé bénéficiant de l'agrément prévu à l'article L. 313-20 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Article 3 : L'Etat versera une somme globale de 3 000 euros aux requérants au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions présentées par M. O... et autres sous le n° 450085 et celles qu'ils présentent sous le n° 450542 sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. AE... O..., premier requérant dénommé, à l'Association des avocats pour la défense du droit des étrangers, à l'Association nationale d'assistance aux frontières pour les étrangers, au Groupe d'information et de soutien des immigré·e·s, à la Ligue des Droits de L'Homme, au Syndicat des avocats de France et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au ministre des solidarités et de la santé et au Premier ministre.
Délibéré à l'issue de la séance du 9 mai 2022 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, M. Frédéric Aladjidi présidents de chambre, Mme Nathalie Escaut, M. Alexandre Lallet, Mme Anne Egerszegi, M. Thomas Andrieu, M. Alain Seban, conseillers d'Etat, et Mme Dominique Agniau-Canel, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.
Rendu le 25 mai 2022.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
La rapporteure :
Signé : Mme Dominique Agniau-Canel
La secrétaire :
Signé : Mme Naouel Adouane