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19/05/2022 | FRANCE | N°448273

France | France, Conseil d'État, 3ème chambre, 19 mai 2022, 448273


Vu la procédure suivante :

M. A... B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nice, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, à titre principal, d'ordonner la suspension de l'exécution de la décision du ministre de la culture du 23 septembre 2020 lui infligeant une sanction d'exclusion temporaire de fonctions de deux ans assortie d'un sursis d'une année à compter du 1er octobre 2020, jusqu'à ce qu'il soit statué au fond sur la légalité de la décision et, à titre subsidiaire, de suspendre cette décisio

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Vu la procédure suivante :

M. A... B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nice, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, à titre principal, d'ordonner la suspension de l'exécution de la décision du ministre de la culture du 23 septembre 2020 lui infligeant une sanction d'exclusion temporaire de fonctions de deux ans assortie d'un sursis d'une année à compter du 1er octobre 2020, jusqu'à ce qu'il soit statué au fond sur la légalité de la décision et, à titre subsidiaire, de suspendre cette décision en tant qu'elle lui interdit de percevoir une rémunération et d'acquérir des droits à l'avancement, aux congés et à la retraite. Par une ordonnance n° 2004817 du 16 décembre 2020, le juge des référés du tribunal administratif de Nice a suspendu l'exécution de cette décision.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés le 31 décembre 2020 et le 11 janvier 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la ministre de la culture demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) réglant l'affaire au titre de la procédure de référé, de rejeter la requête de M. B... ;

3°) de mettre à la charge de M. B..., la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Cécile Isidoro, conseillère d'Etat,

- les conclusions de M. Laurent Cytermann, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, Sebagh, avocat du ministre de la culture et au cabinet Rousseau, Tapie, avocat de M. B... ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 21 avril 2022, présentée par la ministre de la culture ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que, par une décision du 23 septembre 2020, le ministre de la culture a prononcé à l'encontre de M. B..., professeur des écoles nationales supérieures d'art qui occupe un poste à l'école de la Villa Arson située à Nice, une sanction disciplinaire d'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de deux ans, assortie d'un sursis d'un an, à compter du 1er octobre 2020. Par une ordonnance du 16 décembre 2020, le juge des référés du tribunal administratif de Nice a fait droit à la demande présentée par M. B... tendant à la suspension de l'exécution de cette décision. Le ministre de la culture se pourvoit en cassation contre cette ordonnance.

2. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision. / (...) La suspension prend fin au plus tard lorsqu'il est statué sur la requête en annulation ou en réformation de la décision ".

3. Les pièces du dossier soumis au juge des référés, notamment le courrier de signalement d'une organisation syndicale d'enseignants, les témoignages de plusieurs étudiantes et le rapport d'enquête établi en janvier 2020 par les services de l'inspection générale des affaires culturelles, attestent de manière suffisamment précise et circonstanciée que M. B... a fait preuve d'un comportement brutal, humiliant et méprisant à l'égard d'élèves, notamment d'étudiants étrangers dont il moquait les difficultés d'expression et l'accent, et a eu envers plusieurs étudiantes, hors la présence de témoin, des paroles, allusions et gestes qui ne peuvent être justifiés par un quelconque objectif pédagogique. Par suite et dès lors que les témoignages de portée générale produits en faveur de M. B... ne sont pas de nature à remettre en cause les faits précisément reprochés, le ministre de la culture est fondé à soutenir que le juge des référés ne pouvait, sans dénaturer les pièces du dossier, estimer qu'était de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée le moyen tiré de ce que les faits retenus pour fonder la sanction n'étaient pas établis. Eu égard à la position d'autorité dont jouit M. B... en tant que professeur et artiste renommé, à la nature et à la gravité des faits reprochés notamment à l'égard de jeunes étudiantes ainsi qu'à leur retentissement au sein de l'institution, le ministre est également fondé à soutenir qu'en jugeant que le moyen tiré de " l'erreur d'appréciation dans la sanction infligée " était de nature à créer un doute sérieux, le juge des référés a dénaturé les faits de l'espèce.

4. Par suite et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, le ministre de la culture est fondé à demander l'annulation de l'ordonnance qu'il attaque.

5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

6. D'une part, la condition d'urgence à laquelle est subordonné le prononcé d'une mesure de suspension doit être regardée comme remplie lorsque la décision contestée préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à la situation du requérant et aux intérêts qu'il entend défendre. Il en va ainsi, alors même que cette décision n'aurait un objet ou des répercussions que purement financiers et que, en cas d'annulation, ses effets pourraient être effacés par une réparation pécuniaire. Il appartient au juge des référés, saisi d'une demande tendant à la suspension d'une telle décision, d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de celle-ci sur la situation de ce dernier ou, le cas échéant, des personnes concernées, sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue. Il lui appartient également, l'urgence s'appréciant objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de chaque espèce, de faire apparaître dans sa décision tous les éléments qui, eu égard notamment à l'argumentation des parties, l'ont conduit à considérer que la suspension demandée revêtait un caractère d'urgence.

7. Il résulte de l'instruction qu'eu égard à l'ampleur de la baisse des ressources qu'elle entraîne, la mesure d'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de deux ans, assortie d'un sursis d'un an, prononcée à l'encontre de M. B... est de nature à bouleverser les conditions d'existence de l'intéressé. Il n'est pas établi que son éventuelle réintégration à titre provisoire en cas de suspension prononcée par le juges des référés, dans l'attente du jugement de la requête au fond, porterait une atteinte grave au fonctionnement ou à l'image de l'institution de nature à exclure l'urgence à suspendre la décision attaquée. Par suite, la condition d'urgence exigée par les dispositions précédemment rappelées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doit être regardée comme remplie.

8. D'autre part, lorsqu'une enquête administrative a été diligentée sur le comportement d'un agent public ou porte sur des faits qui, s'ils sont établis, sont susceptibles de recevoir une qualification disciplinaire ou de justifier que soit prise une mesure en considération de la personne d'un tel agent, le rapport établi à l'issue de cette enquête, y compris lorsqu'elle a été confiée à des corps d'inspection, ainsi que, lorsqu'ils existent, les procès-verbaux des auditions des personnes entendues sur le comportement de l'agent faisant l'objet de l'enquête font partie des pièces dont ce dernier doit recevoir communication en application de l'article 19 de la loi du 13 juillet 1983, sauf si la communication de ces procès-verbaux serait de nature à porter gravement préjudice aux personnes qui ont témoigné.

9. Le moyen tiré de ce que M. B..., alors qu'il l'avait demandé, n'a pas reçu la totalité des procès-verbaux d'auditions des personnes entendues par l'inspection générale des affaires culturelles au cours de leur enquête visant les faits reprochés à l'intéressé est de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée.

10. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, M. B... est fondé à demander la suspension de l'exécution de la décision du ministre de la culture du 23 décembre 2020.

11. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de M. B... présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Nice du 16 décembre 2020 est annulée.

Article 2 : L'exécution de la décision du ministre de la culture du 23 septembre 2020 est suspendue.

Article 3 : Les conclusions présentées par M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la ministre de la culture et à M. A... B....

Délibéré à l'issue de la séance du 21 avril 2022 où siégeaient : M. Christian Fournier, conseiller d'Etat, présidant ; M. Stéphane Verclytte, conseiller d'Etat et Mme Cécile Isidoro, conseillère d'Etat-rapporteure.

Rendu le 19 mai 2022.

Le président :

Signé : M. Christian Fournier

La rapporteure :

Signé : Mme Cécile Isidoro

La secrétaire :

Signé : Mme Nathalie Martinez-Casanova


Synthèse
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 448273
Date de la décision : 19/05/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 19 mai. 2022, n° 448273
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Cécile Isidoro
Rapporteur public ?: M. Laurent Cytermann
Avocat(s) : SCP BAUER-VIOLAS, FESCHOTTE-DESBOIS, SEBAGH ; CABINET ROUSSEAU, TAPIE

Origine de la décision
Date de l'import : 24/05/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:448273.20220519
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