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29/04/2022 | FRANCE | N°462982

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, formation collégiale, 29 avril 2022, 462982


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 7 et 15 avril 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Collectif Palestine Vaincra, M. F... A..., Mme G... C... et M. E... D... demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution du décret du 9 mars 2022 ayant prononcé la dissolution du groupement de fait " Collectif Palestine Vaincra " ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 500 euros sur le fondeme

nt de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent qu...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 7 et 15 avril 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Collectif Palestine Vaincra, M. F... A..., Mme G... C... et M. E... D... demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution du décret du 9 mars 2022 ayant prononcé la dissolution du groupement de fait " Collectif Palestine Vaincra " ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que la condition d'urgence est satisfaite, dès lors que le décret contesté met fin à l'activité du groupement et conduit à désactiver ses comptes sur les réseaux sociaux, et que sont de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité du décret contesté les moyens tirés de ce que ce décret :

- a été pris au terme d'une procédure irrégulière, dès lors que le ministre de l'intérieur a refusé de communiquer, dans le cadre de la procédure contradictoire préalable à l'intervention du décret, les pièces sur lesquelles il entendait fonder la mesure de dissolution, en méconnaissance du principe du caractère contradictoire de la procédure et de l'article L. 122-1 du code des relations entre le public et l'administration et qu'il n'a pas laissé au groupement un délai suffisant pour présenter ses observations ;

- repose sur des faits matériellement inexacts, en ce qu'il reproche au groupement d'avoir employé des termes qui ne sont pas les siens, d'avoir appelé à la violence envers des personnes en raison de leur origine juive et d'avoir cautionné des agissements des organisations reconnues comme étant terroristes, en ce qu'il impute au groupement un communiqué du 24 février 2020 dont il n'est pas l'auteur et en ce qu'il retient que le groupement n'aurait pas procédé à une modération des commentaires sous les messages qu'il a publiés sur les réseaux sociaux ;

- méconnaît l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure, dès lors que le groupement ne provoque ni ne contribue à la discrimination, à la haine ou à la violence, que ses prises de position vis-à-vis d'Israël et du sionisme ne présentent pas un caractère antisémite, qu'il a toujours condamné l'antisémitisme, que la campagne de boycott des produits israéliens constitue une modalité légitime d'expression d'opinions protestataires, que l'évocation d'une situation de discrimination en Palestine se borne à dresser un constat partagé par plusieurs autorités, que les commentaires les plus grossiers et injurieux des messages publiés sur les réseaux sociaux ont été supprimés, que les commentaires qui sont demeurés, s'ils peuvent avoir un ton virulent et emporté, ne caractérisent pas une incitation à la haine ni à la violence, que la revendication de la libération de détenus au travers des campagne de soutien n'excède pas les limites de la liberté d'expression, que le soutien à la cause palestinienne n'est ni financier, ni matériel et ne traduit aucun appel au crime, à la violence ou à la commission d'acte terroriste ;

- n'est ni nécessaire, ni adapté et porte une atteinte disproportionnée à la liberté d'expression et à la liberté d'association au regard des objectifs d'ordre public poursuivis.

Par un mémoire en intervention, enregistré le 21 avril 2022, l'association Union juive française pour la paix demande au juge des référés de faire droit aux conclusions de la requête. Elle fait valoir qu'elle a intérêt à intervenir au soutien de la requête et que les moyens de la requête sont de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité du décret contesté.

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 avril 2022, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas remplie et que les moyens soulevés par la requête ne sont pas propres à créer un doute sérieux quant à la légalité du décret contesté.

Par un mémoire en intervention, enregistré le 22 avril 2022, l'association France Palestine Solidarité demande au juge des référés de faire droit aux conclusions de la requête. Elle fait valoir qu'elle a intérêt à intervenir au soutien de la requête et que les moyens de la requête contestant la légalité interne du décret contesté sont de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité du décret contesté.

Par un mémoire en intervention, enregistré le 25 avril 2022, l'Union syndicale Solidaires demande au juge des référés de faire droit aux conclusions de la requête. Elle fait valoir qu'elle a intérêt à intervenir au soutien de la requête et que les moyens de la requête contestant la légalité interne du décret contesté sont de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité du décret contesté.

La requête a été communiquée au Premier ministre, qui n'a pas produit de mémoire.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de la sécurité intérieure ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, le Collectif Palestine Vaincra, M. F... A..., Mme G... C... et M. E... D... et, d'autre part, le ministre de l'intérieur, ainsi que l'association Union juive française pour la paix, l'association France Palestine Solidarité et l'Union syndicale Solidaires ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 26 avril 2022 à 11 heures :

- Me Mathonnet, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de l'association France Palestine Solidarité et de l'Union syndicale Solidaires ;

- les représentants du Collectif Palestine Vaincra et autres ;

- M. A... ;

- les représentants de l'association France Palestine Solidarité ;

- les représentantes de l'association Union juive française pour la paix ;

- les représentantes du ministre de l'intérieur ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

2. Le Collectif Palestine Vaincra est un groupement de fait réunissant une quinzaine de personnes établies à Toulouse, qui s'est donné pour objet d'apporter un soutien à la cause palestinienne. Par un décret du 9 mars 2022 pris sur le fondement de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure, ce groupement de fait a été dissous. Par la présente requête, ce groupement, ainsi que M. A..., Mme C... et M. D..., ont saisi le juge des référés du Conseil d'Etat d'une demande, fondée sur l'article L. 521-1 du code de justice administrative, tendant à la suspension de l'exécution de ce décret.

Sur les interventions :

3. L'association Union juive française pour la paix, l'association France Palestine Solidarité et l'Union syndicale Solidaires justifient, dans les circonstances de l'espèce, d'un intérêt suffisant pour intervenir au soutien de la demande tendant à la suspension de l'exécution du décret contesté. Leurs interventions sont, par suite, recevables.

Sur les conclusions à fin de suspension :

4. Aux termes de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure : " Sont dissous, par décret en conseil des ministres, toutes les associations ou groupements de fait : / (...) 6° (...) qui, soit provoquent ou contribuent par leurs agissements à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine, de leur sexe, de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une prétendue race ou une religion déterminée, soit propagent des idées ou théories tendant à justifier ou encourager cette discrimination, cette haine ou cette violence ; / 7° Ou qui se livrent, sur le territoire français ou à partir de ce territoire, à des agissements en vue de provoquer des actes de terrorisme en France ou à l'étranger ". Selon l'article L. 212-1-1 du même code : " Pour l'application de l'article L. 212-1, sont imputables à une association ou à un groupement de fait les agissements mentionnés au même article L. 212-1 commis par un ou plusieurs de leurs membres agissant en cette qualité ou directement liés aux activités de l'association ou du groupement, dès lors que leurs dirigeants, bien qu'informés de ces agissements, se sont abstenus de prendre les mesures nécessaires pour les faire cesser, compte tenu des moyens dont ils disposaient ".

5. D'une part, l'atteinte qui est nécessairement portée à la liberté d'association par l'exécution d'un décret prononçant la dissolution d'une association ou d'un groupement de fait est, en principe, constitutive d'une situation d'urgence. Le décret contesté, qui a prononcé la dissolution du groupement de fait Collectif Palestine Vaincra crée ainsi, pour les requérants, une situation d'urgence. Par suite, la condition d'urgence requise par l'article L. 521-1 du code de justice administrative doit, dans les circonstances de l'espèce, être regardée comme remplie.

6. D'autre part, et en premier lieu, si le décret contesté impute au groupement de fait la diffusion de propos sur le sentiment d'oppression des " peuples musulmans ", sur le " sionisme mondial ", l'emploi des termes de " monstruosité créée par les puissances impérialistes " pour qualifier Israël et la publication d'un communiqué daté du 24 février 2020, il ne ressort d'aucune pièce versée au dossier du juge des référés ni d'aucun élément exposé à l'audience que le groupement de fait aurait effectivement été l'auteur de tels propos ou de ce communiqué.

7. En deuxième lieu, le décret contesté fait grief au groupement de fait d'appeler régulièrement à la discrimination et à la haine envers Israël et les Israéliens au travers de campagnes de boycott de produits israéliens. Toutefois, l'appel au boycott, en ce qu'il traduit l'expression d'une opinion protestataire, constitue une modalité particulière d'exercice de la liberté d'expression et ne saurait par lui-même, sauf circonstances particulières établissant le contraire, être regardé comme une provocation ou une contribution à la discrimination, à la haine ou à la violence envers un groupe de personnes, susceptible de justifier une mesure de dissolution sur le fondement du 6° de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure. En l'espèce, il ne ressort pas des éléments versés à l'instruction menée par le juge des référés que la participation du groupement de fait à des campagnes de boycott de produits israéliens se serait accompagnée d'agissements susceptibles de justifier une mesure de dissolution fondée sur le 6° de l'article L. 212-1.

8. En troisième lieu, si le décret contesté relève la présence de commentaires virulents et haineux en réaction à des publications faites par le groupement de fait sur sa page sur le réseau social Facebook et fait état de ce que le groupement se serait abstenu de modérer des commentaires à caractère antisémite, il ressort des pièces versées au dossier et des indications données lors de l'audience de référé que le groupement a procédé à la suppression de certains de ces commentaires et cherche à y remédier compte tenu des moyens dont il dispose. En outre, il n'est pas établi, en l'état de l'instruction, que les commentaires en cause émaneraient de membres du groupement agissant en cette qualité ou étant directement liés aux activités de celui-ci.

9. En dernier lieu, il ne ressort pas des éléments produits dans le cadre de la procédure de référé que les informations diffusées ou les prises de position exprimées par le groupement quant à l'action d'organisations implantées au Proche-Orient ou à la situation de personnes condamnées pour des faits de terrorisme puissent, eu égard à la teneur de ces publications, être qualifiées d'agissements en vue de provoquer des actes de terrorisme en France ou à l'étranger, au sens du 7° de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure.

10. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de ce que le décret contesté ferait une inexacte application des dispositions des 6° et 7° de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure est, en l'état de l'instruction, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de ce décret.

11. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens qu'ils soulèvent, les requérants sont fondés à demander la suspension de l'exécution du décret qu'ils contestent.

12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement aux requérants d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

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Article 1er : Les interventions de l'association Union juive française pour la paix, de l'association France Palestine Solidarité et de l'Union syndicale Solidaires sont admises.

Article 2 : Jusqu'à ce qu'il soit statué sur le recours pour excès de pouvoir formé contre le décret du 9 mars 2022 portant dissolution du groupement de fait Collectif Palestine Vaincra, l'exécution de ce décret est suspendue.

Article 3 : L'Etat versera au groupement de fait Collectif Palestine Vaincra, à M. F... A..., à Mme G... C... et à M. E... D... une somme globale de 3 000 euros.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée au groupement de fait Collectif Palestine Vaincra, à M. F... A..., à Mme G... C..., à M. E... D..., à l'association Union juive française pour la paix, à l'association France Palestine Solidarité, à l'union syndicale Solidaires, au ministre de l'intérieur et au Premier ministre.

Délibéré à l'issue de la séance du 26 avril 2022 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme B... H... et M. Nicolas Boulouis, conseillers d'Etat, juges des référés.

Fait à Paris, le 29 avril 2022

Signé : Jacques-Henri Stahl


Synthèse
Formation : Juge des référés, formation collégiale
Numéro d'arrêt : 462982
Date de la décision : 29/04/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 29 avr. 2022, n° 462982
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Jacques-Henri Stahl
Avocat(s) : SCP SEVAUX, MATHONNET

Origine de la décision
Date de l'import : 19/05/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:462982.20220429
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