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26/04/2022 | FRANCE | N°456872

France | France, Conseil d'État, 2ème - 7ème chambres réunies, 26 avril 2022, 456872


Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 20 septembre 2021, 4 novembre 2021et 17 mars 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. C... F... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 21 juillet 2021 par lequel le Premier ministre a accordé son extradition aux autorités algériennes ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros à verser à la SCP Duhamel - Rameix - Gury - Maitre, son avocat, au titre des articles L. 761 1

du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Vu les aut...

Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 20 septembre 2021, 4 novembre 2021et 17 mars 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. C... F... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 21 juillet 2021 par lequel le Premier ministre a accordé son extradition aux autorités algériennes ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros à verser à la SCP Duhamel - Rameix - Gury - Maitre, son avocat, au titre des articles L. 761 1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention signée entre la France et l'Algérie relative à l'exequatur et l'extradition du 27 août 1964 ;

- le code de procédure pénale ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Sébastien Gauthier, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Philippe Ranquet, rapporteur public,

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Duhamel - Rameix - Gury - Maître, avocat de M. F... ;

Considérant ce qui suit :

1. Par le décret attaqué, le Premier ministre a accordé aux autorités algériennes l'extradition de M. C... F..., de nationalité algérienne, au titre d'un mandat d'arrêt délivré le 22 mars 2018 par le juge d'instruction de la cinquième chambre du tribunal de Constantine pour des faits qualifiés de tentative d'homicide volontaire avec préméditation et destruction intentionnelle des biens d'autrui.

2. En premier lieu, il ressort des mentions de l'ampliation du décret attaqué, certifiée conforme par la secrétaire générale du Gouvernement, que le décret attaqué a été signé par le Premier ministre et contresigné par le garde des sceaux, ministre de la justice.

3. En deuxième lieu, le décret attaqué comporte l'énoncé des considérations de fait et de droit qui en constituent le fondement et satisfait ainsi à l'exigence de motivation prévue à l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration.

4. En troisième lieu, la convention entre la France et l'Algérie relative à l'exequatur et à l'extradition du 27 août 1964 détermine les règles et les conditions selon lesquelles les parties contractantes s'engagent à se livrer réciproquement les individus qui sont poursuivis pour une infraction ou sont recherchés aux fins d'exécution d'une peine ou d'une mesure de sûreté par les autorités judiciaires de la partie requérante. Il résulte des stipulations combinées des articles 11, 13 et 26 de cette convention que les Etats parties s'engagent à livrer les individus recherchés aux fins d'exécution d'une peine dès lors que celle-ci est d'une durée d'au moins deux mois et revêt un caractère exécutoire. Ainsi, une extradition présentée en vue de permettre la poursuite d'infractions pénales ne peut être légalement accordée, lorsqu'une condamnation revêtant un caractère exécutoire est intervenue à raison de ces infractions, qu'au vu d'une nouvelle demande de l'Etat requérant tendant à l'exécution de la peine et conforme aux stipulations conventionnelles et aux dispositions législatives applicables à la situation résultant de cette condamnation et après examen de cette nouvelle demande par la chambre de l'instruction de la cour d'appel compétente.

5. Il ressort des pièces du dossier que la demande d'extradition adressée par les autorités algériennes aux autorités françaises le 6 novembre 2020, au titre d'un mandat d'arrêt délivré le 22 mars 2018 par le juge d'instruction de la cinquième chambre du tribunal de Constantine, pour des faits qualifiés de tentative d'homicide volontaire avec préméditation et de destruction intentionnelle des biens d'autrui, comportait en annexe le jugement rendu par défaut par ce tribunal le 11 février 2020 condamnant M. F... à la réclusion criminelle à perpétuité pour ces faits. M. C... F... n'ayant pas formé opposition contre ce jugement, la peine de réclusion criminelle à perpétuité prononcée à son encontre est exécutoire. Le décret attaqué, qui vise le jugement produit à l'appui de la demande d'extradition, doit être regardé comme ayant été pris pour l'exécution de cette peine. Dans ces conditions, la circonstance que cette demande ait aussi été fondée sur le mandat d'arrêt délivré le 22 mars 2018, également visé par le décret attaqué, est sans incidence sur sa légalité.

6. En quatrième lieu, il résulte tant des principes de l'ordre public français que des conventions internationales auxquelles la France est partie qu'en matière pénale une personne condamnée par défaut doit bénéficier du droit d'être rejugée en sa présence, sauf s'il est établi d'une manière non équivoque qu'elle a renoncé à son droit à comparaître et à se défendre. Il est constant que M. F... a été condamné en son absence. Toutefois, les autorités algériennes ont indiqué dans une note du 25 janvier 2022, à la suite de la mesure d'instruction ordonnée par la 2ème chambre de la section du contentieux du Conseil d'Etat, qu'en application de l'article 409 du code de procédure pénale algérien, si M. F... fait opposition à l'exécution de ce jugement, celui-ci sera non avenu et l'intéressé pourra dans ce cas être jugé à nouveau en comparaissant devant un tribunal. Dès lors, le moyen tiré de ce que M. F... n'aurait pas la garantie de pouvoir être rejugé en sa présence ne peut qu'être écarté.

7. En cinquième lieu, aux termes de l'article L. 696-4 du code de procédure pénale : " L'extradition n'est pas accordée : (...) / 6° Lorsque le fait à raison duquel l'extradition a été demandée est puni par la législation de l'Etat requérant d'une peine ou d'une mesure de sûreté contraire à l'ordre public français ; ". Il en résulte que, si l'un des faits à raison desquels l'extradition est demandée aux autorités françaises est puni de la peine capitale par la loi de la partie requérante, cette extradition ne peut être légalement accordée pour ce fait qu'à la condition que la partie requérante donne des assurances suffisantes que la peine de mort encourue ne soit pas prononcée ou ne sera pas exécutée. M. F... a été condamné à la prison à perpétuité, au titre d'une tentative d'homicide volontaire avec préméditation et d'un délit de destruction volontaire des biens d'autrui, respectivement punis par les articles 30, 254, 256 et 263 et par l'article 407 du code pénal algérien. D'une part, il ressort des pièces du dossier que la demande d'extradition a précisé que les peines prévues pour le crime ou le délit pour lesquels M. F... a été poursuivi et condamné ne comprennent pas la peine de mort. D'autre part, à la suite de la demande de garanties formulée par le Gouvernement français quant au sort de M. F... s'il venait à être effectivement extradé en Algérie, une note du Parquet général près la cour de Constantine en date du 25 avril 2021 a de nouveau précisé que la peine maximale prévue par la loi pour le crime et le délit en cause est la réclusion à perpétuité. Par suite, M. F... n'est pas fondé à soutenir que le Premier ministre aurait commis une erreur de droit ou une erreur manifeste d'appréciation en ayant estimé, au vu des assurances que lui ont apportées les autorités algériennes, qu'il n'encourrait pas la peine de mort s'il venait à être extradé en Algérie.

8. En dernier lieu, M. F... soutient qu'en cas d'exécution du décret attaqué, il risque d'être exposé à des traitements inhumains ou dégradants en raison du caractère incompressible de la peine de réclusion criminelle à perpétuité à laquelle il a été condamné le 11 février 2020. Toutefois, l'article 134 du code algérien de l'organisation pénitentiaire et de la réinsertion sociale des détenus dispose que " Le détenu ayant accompli la période d'épreuve de la peine prononcée à son encontre peut être admis au bénéfice de la libération conditionnelle s'il justifie d'une bonne conduite et présente des gages réels d'amendement. / Le temps d'épreuve du détenu primaire est fixé à la moitié de la peine pour laquelle il est condamné. / (...) Le temps d'épreuve pour les condamnés à une peine perpétuelle est fixé à quinze (15) ans (...) ". Il résulte de ces dispositions que si la peine de réclusion criminelle à perpétuité prononcée à l'encontre de M. F... devait être maintenue, ou confirmée par un nouveau jugement, il pourrait demander à bénéficier d'une liberté conditionnelle après avoir accompli une période probatoire d'au moins quinze ans s'il justifie d'une bonne conduite et présente des gages réels d'amendement. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut qu'être écarté.

9. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... F... n'est pas fondé à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 21 juillet 2021 accordant son extradition aux autorités algériennes. Les conclusions présentées au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de M. C... F... est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. C... F... et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré à l'issue de la séance du 28 mars 2022 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. I... K..., M. Olivier Japiot, présidents de chambre ; M. D... H..., Mme A... L..., M. E... N..., M. G... M..., M. Jean-Yves Ollier, conseillers d'Etat et M. Sébastien Gauthier, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 26 avril 2022.

Le président :

Signé : M. Rémy Schwartz

Le rapporteur :

Signé : M. Sébastien Gauthier

La secrétaire :

Signé : Mme J... B...


Synthèse
Formation : 2ème - 7ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 456872
Date de la décision : 26/04/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 26 avr. 2022, n° 456872
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Sébastien Gauthier
Rapporteur public ?: M. Philippe Ranquet
Avocat(s) : SCP DUHAMEL - RAMEIX - GURY- MAITRE

Origine de la décision
Date de l'import : 30/04/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:456872.20220426
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