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14/04/2022 | FRANCE | N°459398

France | France, Conseil d'État, 9ème chambre, 14 avril 2022, 459398


Vu la procédure suivante :

L'association interprofessionnelle des fruits et légumes frais (Interfel), à l'appui de sa demande présentée le 13 décembre 2021 devant le Conseil d'Etat tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du décret n° 2021-1318 du 8 octobre 2021 relatif à l'obligation de présentation à la vente des fruits et légumes frais non transformés sans conditionnement composé pour tout ou partie de matière plastique, a présenté un mémoire distinct, enregistré le 11 février 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, en application de l'article

23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lequel elle soulève...

Vu la procédure suivante :

L'association interprofessionnelle des fruits et légumes frais (Interfel), à l'appui de sa demande présentée le 13 décembre 2021 devant le Conseil d'Etat tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du décret n° 2021-1318 du 8 octobre 2021 relatif à l'obligation de présentation à la vente des fruits et légumes frais non transformés sans conditionnement composé pour tout ou partie de matière plastique, a présenté un mémoire distinct, enregistré le 11 février 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lequel elle soulève une question prioritaire de constitutionnalité.

Par cette question prioritaire de constitutionnalité, l'association demande que soit renvoyée au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution du 16e alinéa du III de l'article L. 541-15-10 du code de l'environnement. Elle soutient que ces dispositions, qui sont applicables au litige et qui n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution, méconnaissent les articles 1er et 2 de la Charte de l'environnement, la liberté d'entreprendre, le principe d'égalité devant la loi, le principe de clarté de la loi et l'objectif à valeur constitutionnelle d'intelligibilité de la loi, et que le législateur a méconnu sa compétence en les prenant.

Ce mémoire a été communiqué au Premier ministre, à la ministre de la transition écologique, au ministre de l'économie, des finances et de la relance et au ministre de l'agriculture et de l'alimentation, qui n'ont pas produit de mémoire.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code de l'environnement ;

- la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Nicolas Polge, conseiller d'Etat,

- les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteure publique ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. Aux termes du 16e alinéa du III de l'article L. 541-15-10 du code de l'environnement : " A compter du 1er janvier 2022, tout commerce de détail exposant à la vente des fruits et légumes frais non transformés est tenu de les exposer sans conditionnement composé pour tout ou partie de matière plastique. Cette obligation n'est pas applicable aux fruits et légumes conditionnés par lots de 1,5 kilogramme ou plus ainsi qu'aux fruits et légumes présentant un risque de détérioration lors de leur vente en vrac dont la liste est fixée par décret. "

3. En premier lieu, s'il est loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre, qui découle de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, c'est à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées par rapport à l'objectif poursuivi. En imposant à tout commerce de détail d'exposer les fruits et légumes frais non transformés sans conditionnement composé pour tout ou partie de matière plastique, le législateur a entendu favoriser la réduction des déchets plastiques et a ainsi porté à la liberté d'entreprendre une atteinte qui est en lien avec les objectifs de valeur constitutionnelle de protection de la santé et de l'environnement poursuivis. Par ailleurs, cette obligation n'est applicable ni aux fruits et légumes conditionnés par lots de 1,5 kilogramme ou plus, ni aux fruits et légumes présentant un risque de détérioration lors de leur vente en vrac dont la liste est fixée par décret. En outre, ces dispositions, qui ont été introduites par l'article 77 de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et l'économie circulaire, ont laissé plus de vingt-deux mois aux professionnels du secteur pour adapter leurs usages. Il suit de là qu'en adoptant les dispositions contestées, le législateur a assuré une conciliation qui n'est pas, compte tenu du champ de cette obligation, manifestement déséquilibrée entre la liberté d'entreprendre et les objectifs de valeur constitutionnelle de protection de l'environnement et de la santé. Le grief tiré de la méconnaissance de cette liberté doit donc être écarté.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article 1er de la Charte de l'environnement : " Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ". Aux termes de l'article 2 de la même charte : " Toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement ". L'association requérante fait valoir que le dispositif attaqué ne contribuera pas à la diminution des emballages, qui pourront toujours entourer les produits jusqu'à leur livraison aux commerces de détail. Toutefois, en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu favoriser la réduction des déchets plastiques, dans un but de protection de l'environnement, d'une part, en considérant que les commerces de détail pourront ainsi choisir soit de passer des commandes livrées dans des contenants en bois, soit d'opter pour un déconditionnement des fruits et légumes dans le commerce, dans le respect des obligations de tri des déchets en plastique prévues par la loi, et d'autre part, en prenant en compte, au regard de l'état des connaissances, les conséquences susceptibles de résulter pour l'environnement de l'utilisation des produits plastiques. Par suite, le grief tiré de la méconnaissance des articles 1er et 2 de la Charte de l'environnement ne présente pas de caractère sérieux.

5. En troisième lieu, aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : " La loi est l'expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse (...) ". Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. Les entreprises commercialisant des fruits et légumes frais non transformés ne se trouvent pas, au regard de l'objectif des dispositions législatives contestées, dans la même situation que celles qui proposent à la vente des fruits et légumes transformés ou des fruits et légumes non frais, dont les modalités de conditionnement, de consommation et de commercialisation sont différentes. Par suite, le grief tiré de ce que les dispositions contestées méconnaîtraient le principe d'égalité des citoyens devant la loi, garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, ne peut qu'être écarté.

6. En quatrième et dernier lieu, en renvoyant au pouvoir réglementaire le soin de déterminer la liste des fruits et légumes présentant un risque de détérioration lors de leur vente en vrac auxquels ne s'applique pas l'obligation de présentation à la vente sans conditionnement composé pour tout ou partie de matière plastique, le législateur, qui a retenu un critère suffisamment précis, n'a, en tout état de cause, pas reporté sur des autorités administratives ou juridictionnelles la fixation de règles que la Constitution place dans le domaine de la loi ni méconnu le principe de clarté de la loi ni, en tout état de cause, l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi. De même, le législateur n'a pas plus méconnu sa compétence en ayant recours aux notions de " commerce de détail ", d'" exposition à la vente " ou de " conditionnement ".

7. Il résulte de tout ce qui précède que la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions contestées ne présente pas un caractère sérieux. Il n'y a, dès lors, pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

D E C I D E :

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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par l'association interprofessionnelle des fruits et légumes frais.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association interprofessionnelle des fruits et légumes frais (Interfel) et à la ministre de la transition écologique.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel, au Premier ministre et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.

Délibéré à l'issue de la séance du 24 mars 2022 où siégeaient : M. Frédéric Aladjidi, président de chambre, présidant ; M. Thomas Andrieu, conseiller d'Etat et M. Nicolas Polge, conseiller d'Etat-rapporteur.

Rendu le 14 avril 2022.

Le président :

Signé : M. Frédéric Aladjidi

Le rapporteur :

Signé : M. Nicolas Polge

La secrétaire :

Signé : Mme B... A...


Synthèse
Formation : 9ème chambre
Numéro d'arrêt : 459398
Date de la décision : 14/04/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 14 avr. 2022, n° 459398
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Nicolas Polge
Rapporteur public ?: Mme Céline Guibé

Origine de la décision
Date de l'import : 19/04/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:459398.20220414
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