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31/03/2022 | FRANCE | N°461972

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 31 mars 2022, 461972


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 28 février et 15 mars 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, les associations Coordination Sud, Médecins du Monde, Action Contre la Faim, Fédération Handicap International, CCFD - Terre solidaire, Centre de Recherche et d'Information pour le Développement, Coordination Humanitaire et Développement et Secours catholique demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendr

e l'exécution des lignes directrices en matière de criblage émises par le m...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 28 février et 15 mars 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, les associations Coordination Sud, Médecins du Monde, Action Contre la Faim, Fédération Handicap International, CCFD - Terre solidaire, Centre de Recherche et d'Information pour le Développement, Coordination Humanitaire et Développement et Secours catholique demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution des lignes directrices en matière de criblage émises par le ministre de l'Europe et des affaires étrangères en tant qu'elles imposent une obligation de criblage des bénéficiaires finaux aux organismes de solidarité internationale et ne ménagent qu'une exemption restrictive pour les seuls projets relevant des " actions humanitaires " ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- elles justifient d'un intérêt à agir ;

- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que la mesure contestée porte une atteinte grave et immédiate tant à leur situation propre qu'aux intérêts qu'elles défendent ainsi qu'à plusieurs intérêts publics, eu égard à l'importance des enjeux que soulève l'assistance aux personnes vulnérables et à la mise en œuvre, actuellement en cours, de l'obligation de criblage imposée par les lignes directrices ;

- il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée ;

- les lignes directrices sont entachées d'incompétence dès lors qu'il n'appartenait pas au ministre de l'Europe et des affaires étrangères d'édicter, sans base légale, une obligation de criblage à l'encontre des personnes morales à but non lucratif ;

- elles sont entachées d'illégalité en ce que l'exemption à l'obligation de criblage en faveur des actions humanitaires est, d'une part, trop restrictive dès lors qu'elle ne couvre pas les actions de stabilisation et de développement, et, d'autre part, dépourvue de base légale ;

- l'obligation de criblage des bénéficiaires finaux apparaît injustifiée et disproportionnée dès lors qu'elle a un impact néfaste, d'une part, sur l'efficacité des actions des personnes morales à but non lucratif dans les Etats où elles interviennent, et d'autre part, sur la sécurité de leurs membres et interlocuteurs, portant ainsi atteinte aux droits et libertés fondamentaux tels que le droit d'aider autrui dans un but humanitaire et la liberté d'association.

Par un mémoire en défense, enregistré le 14 mars 2022, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée au ministre de l'économie, des finances et de la relance qui n'a pas produit de mémoire.

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, l'association Coordination Sud et autres et, d'autre part, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères et le ministre de l'économie, des finances et de la relance ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 16 mars 2022, à 10 heures :

- Me Spinosi, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de l'association Coordination Sud et autres ;

- les représentants des associations Coordination Sud, Médecins du Monde et Fédération Handicap International ;

- les représentants du ministre de l'Europe et des affaires étrangères ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a différé la clôture de l'instruction au mercredi 23 mars à 17 heures.

Par un mémoire, enregistré le 18 mars 2022, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères reprend ses précédentes conclusions par les mêmes moyens.

Par un mémoire, enregistré le 23 mars 2022, les requérantes concluent aux mêmes fins que leur requête par les mêmes moyens.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

2. L'urgence justifie que soit prononcée la suspension d'un acte administratif lorsque l'exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés, saisi de conclusions tendant à la suspension d'un acte administratif, d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte litigieux sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue.

3. Pour justifier l'urgence qui s'attacherait à la suspension immédiate de l'exécution des lignes directrices édictées par le ministre de l'Europe et des affaires étrangères relative à la politique de criblage, aux fins de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, en matière d'actions humanitaires et de stabilisation, l'association Coordination Sud et autres font valoir notamment que l'obligation de criblage des bénéficiaires finaux imposée par ces lignes directrices est d'ores et déjà mise en œuvre par les services du ministère de l'Europe et des affaires étrangères ainsi que par le groupe Agence française de développement, et qu'ainsi, au titre du dispositif de financement sur crédits budgétaires " Initiative des organisations de la société civile ", quelques 70 projets retenus dans le cadre de l'appel à manifestation d'intérêt (AMI) pour l'année 2021 et autant de projets au titre de l'AMI 2022 qui sera lancé à compter du 15 avril prochain, seront concernés par cette obligation de criblage. Elles soulignent qu'afin de ne pas avoir à appliquer cette mesure, les acteurs intéressés sont contraints soit de modifier substantiellement leurs propositions de projets, renonçant ainsi à tout ou partie des objectifs poursuivis par leur mission statutaire, soit de renoncer à solliciter le financement public.

4. Il résulte de l'instruction que les projets, y compris ceux dits de stabilisation, répondant directement aux besoins essentiels des populations en situation de risques humanitaires, ne sont pas soumis à la mesure contestée de criblage des bénéficiaires finaux prévue par les lignes directrices en litige. Par ailleurs, les autres projets sont concernés dans la mesure seulement où ils impliquent une remise de matériel ou un transfert financier. En outre, les lignes directrices prévoient la possibilité, pour les porteurs de ces autres projets, de faire valoir l'impossibilité de mettre en œuvre la mesure de criblage contestée, faute notamment pour des bénéficiaires finaux de disposer d'identité juridique ou à raison de la nécessité impérative de protéger l'identité de ces bénéficiaires. Enfin, des seuils financiers sont fixés en dessous desquels les projets ayant pour objet l'aide aux personne en situation de détresse ou de misère sont dispensés de tout criblage de leurs bénéficiaires finaux. Il résulte ainsi des simulations non contestées réalisées par le ministre de l'Europe et des affaires étrangères dans le cadre de la présente instance que la quasi-totalité des projets financés par le centre de crise et de soutien du ministère et 70 % des projets de développement financés par l'Agence française de développement à l'initiative des organisations de la société civile ne sont pas concernés par la mesure de criblage contestée, laquelle ne sera mise en œuvre par l'Agence qu'à compter seulement de juillet 2022.

5. Dans ces conditions, quand bien même certaines organisations modifieraient d'ores et déjà la présentation de leurs projets afin de ne pas être susceptibles de devoir mettre en œuvre l'obligation de criblage contestée ou renonceraient à solliciter un financement public, l'édiction des lignes directrices en litige ne révèle, en l'état de l'instruction, aucune situation d'urgence de nature à justifier, sans attendre le jugement de la requête au fond, la suspension de leur exécution.

6. La condition d'urgence n'étant pas remplie, la requête présentée par l'association Coordination Sud et autres doit être rejetée, y compris les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête de l'association Coordination Sud et autres est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à l'association Coordination Sud, première des requérantes dénommées, au ministre de l'Europe et des affaires étrangères et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.

Fait à Paris, le 31 mars 2022

Signé : Anne Egerszegi


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 461972
Date de la décision : 31/03/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 31 mar. 2022, n° 461972
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP SPINOSI

Origine de la décision
Date de l'import : 13/04/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:461972.20220331
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