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25/11/2021 | FRANCE | N°449854

France | France, Conseil d'État, 7ème - 2ème chambres réunies, 25 novembre 2021, 449854


Vu la procédure suivante :

Le ministre de la transition écologique et solidaire a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner les sociétés Vinci Construction Grands Projets, GTM Génie civil et services et Baudin Châteauneuf, titulaires du marché conclu avec l'Etat le 30 mars 2000, à réparer les désordres constatés par l'expert sur les colliers de la suspension du pont d'Aquitaine ou, à défaut, de condamner ces sociétés à verser à l'Etat la somme de 2 272 187,86 euros. Par un jugement n° 1801621 du 6 juillet 2020, le tribunal administratif de Bordeaux a

rejeté cette demande.

Par une ordonnance n° 20BX03000 du 18 décembre 20...

Vu la procédure suivante :

Le ministre de la transition écologique et solidaire a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner les sociétés Vinci Construction Grands Projets, GTM Génie civil et services et Baudin Châteauneuf, titulaires du marché conclu avec l'Etat le 30 mars 2000, à réparer les désordres constatés par l'expert sur les colliers de la suspension du pont d'Aquitaine ou, à défaut, de condamner ces sociétés à verser à l'Etat la somme de 2 272 187,86 euros. Par un jugement n° 1801621 du 6 juillet 2020, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté cette demande.

Par une ordonnance n° 20BX03000 du 18 décembre 2020, le président de la 3ème chambre de la cour administrative d'appel de Nantes a, sur le fondement de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, rejeté l'appel formé par la ministre de la transition écologique contre ce jugement.

Par un pourvoi et un mémoire en réplique, enregistrés les 18 février et 7 juillet 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la ministre de la transition écologique demande au Conseil d'Etat d'annuler cette ordonnance.

Par une ordonnance du 1er octobre 2021, la clôture d'instruction a été fixée au 22 octobre 2021

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code civil ;

- le code des marchés publics ;

- le décret n° 76-87 du 21 janvier 1976 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. François Lelièvre, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Mireille Le Corre, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Duhamel - Rameix - Gury - Maître, avocat de la société Vinci Construction Grands Projets, de la société GTM Génie Civil et Services et de la société Baudin Châteauneuf ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que par un marché conclu le 30 mars 2000, l'Etat a confié à un groupement solidaire constitué par la société Dumez-GTM, devenue la société Vinci Construction Grands Projets, mandataire, la société GTM Construction, devenue la société GTM Génie Civil et Services, et la société Baudin Châteauneuf, la réalisation des travaux de remplacement des câbles de suspension et d'élargissement du tablier du pont d'Aquitaine, ouvrage de franchissement de la Garonne sur le territoire des communes de Bordeaux et Lormont. La maîtrise d'œuvre de conception et d'exécution de l'ensemble des travaux était assurée par l'Etat. La réception des travaux a été prononcée avec effet au 9 octobre 2003. Après que des problèmes de corrosion ont été constatés lors d'une visite de contrôle sur des colliers de la suspension du pont, le directeur interdépartemental des routes Atlantique a, par lettre du 23 février 2009, demandé au mandataire du groupement de procéder à la réparation de ces colliers au titre de la garantie anticorrosion prévue au marché, puis l'a mis en demeure, le 19 novembre 2009, de lui adresser une proposition de réparation dans un délai d'un mois. A la demande du ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, une expertise a été ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux, le 13 septembre 2010. Le rapport a été déposé le 27 décembre 2017. Par une demande enregistrée au greffe du tribunal administratif de Bordeaux le 16 avril 2018, le ministre de la transition écologique et solidaire a demandé au tribunal de condamner les sociétés Vinci Construction Grands Projets, GTM Génie Civil et Services et Baudin Châteauneuf à réparer les désordres constatés sur des colliers de la suspension du pont d'Aquitaine, au titre de la garantie particulière de protection des structures métalliques du pont relative à l'anticorrosion prévue au marché, ou, à défaut, à verser une indemnité correspondant au montant des travaux à réaliser. Par un jugement du 6 juillet 2020, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté cette demande. Le ministre de la transition écologique se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 18 décembre 2020 par laquelle le président de la 3ème chambre de la cour administrative d'appel de Bordeaux a, sur le fondement des dispositions de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, rejeté sa requête d'appel comme manifestement dépourvue de fondement au motif que son action en garantie contractuelle était prescrite.

2. D'une part, aux termes de l'article 8-6 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) applicable au marché en cause : " Les garanties particulières sont prévues en application de l'article 44.3 du CCAG. / Protection des structures métalliques (peintures) (...) Anticorrosion : 7 ans ". Le président de la 3ème chambre de la cour administrative d'appel de Bordeaux, appréciant souverainement la portée de ces stipulations, a estimé à bon droit qu'une telle garantie particulière " Anticorrosion " d'une durée de sept ans instaurait un délai de prescription. Les sociétés Vinci Construction Grands Projets, GTM Génie Civil et Services et Baudin Châteauneuf ne sont ainsi pas fondées à demander, en défense, à ce que soit substitué en cassation le motif, qui requiert l'appréciation de faits, tiré de ce que ces stipulations fixeraient un délai de forclusion.

3. D'autre part, aux termes de l'article 2224 du code civil, dans sa rédaction résultant de la loi du 17 juin 2008 : " Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ". Aux termes de l'article 2241 du même code : " La demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription (...) ", l'article 2242 du même code, dans sa rédaction issue de la loi du 17 juin 2008, prévoyant que " l'interruption résultant de la demande en justice produit ses effets jusqu'à l'extinction de l'instance ". En outre, aux termes de l'article 2239 du même code, dans sa rédaction issue de la même loi : " La prescription est également suspendue lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès. / Le délai de prescription recommence à courir, pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois, à compter du jour où la mesure a été exécutée ". Il résulte de ce qui précède que la demande adressée à un juge de diligenter une expertise interrompt le délai de prescription jusqu'à l'extinction de l'instance et que, lorsque le juge fait droit à cette demande, le même délai est suspendu jusqu'à la remise par l'expert de son rapport au juge.

4. Il suit de là que le délai de prescription de la garantie " Anticorrosion " de sept ans prévu par les stipulations de l'article 8-6 du CCAP du marché en cause a été interrompu par la saisine du juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux et a commencé à courir de nouveau à compter du 13 septembre 2010, date à laquelle le juge a ordonné l'expertise. La ministre de la transition écologique est dès lors fondée à soutenir qu'en jugeant que le tribunal administratif n'avait pas à tenir compte de la durée de l'expertise pour fixer la date d'expiration du délai de prescription, alors que ce délai avait été suspendu jusqu'à la remise par l'expert, le 27 décembre 2017, de son rapport au juge, le président de la 3ème chambre de la cour administrative d'appel de Bordeaux a commis une erreur de droit.

5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen du pourvoi, que la ministre de la transition écologique est fondée à demander l'annulation de l'ordonnance qu'il attaque.

6. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'ordonnance du 18 décembre 2020 du président de la 3ème chambre de la cour administrative d'appel de Bordeaux est annulée.

Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Bordeaux.

Article 3 : Les conclusions présentées par les sociétés Vinci Construction Grands Projets, GTM Génie Civil et Services et Baudin Châteauneuf au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la ministre de la transition écologique et à la société Vinci Construction Grands Projets, représentant unique, pour l'ensemble des defendeurs.

Délibéré à l'issue de la séance du 10 novembre 2021 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. G... I..., M. Olivier Japiot, présidents de chambre ; M. H... K..., Mme A... J..., M. C... F..., M. D... L..., M. Jean-Yves Ollier, conseillers d'Etat et M. François Lelièvre, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 25 novembre 2021.

Le président :

Signé : M. Rémy Schwartz

Le rapporteur :

Signé : M. François Lelièvre

La secrétaire :

Signé : Mme E... B...


Synthèse
Formation : 7ème - 2ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 449854
Date de la décision : 25/11/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 25 nov. 2021, n° 449854
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. François Lelièvre
Rapporteur public ?: Mme Mireille Le Corre
Avocat(s) : SCP DUHAMEL - RAMEIX - GURY- MAITRE

Origine de la décision
Date de l'import : 30/11/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2021:449854.20211125
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