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10/11/2021 | FRANCE | N°448324

France | France, Conseil d'État, 7ème chambre, 10 novembre 2021, 448324


Vu la procédure suivante :

M. et Mme D... E... et leur assureur, F..., ont demandé au tribunal administratif de Melun de condamner solidairement la commune de Mauregard, la société nouvelle de travaux publics et particuliers (SNTPP), la société Lyonnaise des eaux, devenue Suez Eau France, et la communauté de communes Plaines et Monts de France à leur verser les sommes de 3 652,62 euros au titre du remboursement des honoraires relatifs aux investigations, sondages et études géothermiques, de 48 079,19 euros au titre de travaux de consolidation des fondations, de 33 600 euros au

titre du préjudice de jouissance et de 5 000 euros au titre du...

Vu la procédure suivante :

M. et Mme D... E... et leur assureur, F..., ont demandé au tribunal administratif de Melun de condamner solidairement la commune de Mauregard, la société nouvelle de travaux publics et particuliers (SNTPP), la société Lyonnaise des eaux, devenue Suez Eau France, et la communauté de communes Plaines et Monts de France à leur verser les sommes de 3 652,62 euros au titre du remboursement des honoraires relatifs aux investigations, sondages et études géothermiques, de 48 079,19 euros au titre de travaux de consolidation des fondations, de 33 600 euros au titre du préjudice de jouissance et de 5 000 euros au titre du préjudice moral. Par un jugement n° 1610228 du 1er février 2019, le tribunal administratif de Melun a condamné la société Suez Eau France à verser la somme de 49 719,85 euros à M. et Mme E... et la somme de 3 512,26 euros à F... et a rejeté le surplus des conclusions des parties.

Par un arrêt n° 19PA01177 du 3 novembre 2020, la cour administrative d'appel de Paris a porté à 76 119,85 euros la somme que la société Suez Eau France a été condamnée à verser à M. et Mme E..., a réformé dans cette mesure le jugement du tribunal administratif et rejeté le surplus des conclusions des parties.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 4 janvier, 6 avril et 19 octobre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, la société Suez Eau France demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de M. et Mme E..., la société MACIF, la commune de Mauregard, la compagnie Areas-CMA, la communauté d'agglomération Roissy-Pays-de-France, la société nouvelle des travaux publics et particuliers et la société Eiffage Génie civil réseaux la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code civil ;

- la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Frédéric Gueudar Delahaye, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de la société Suez Eau France, à la SCP Boré, Salve de Bruneton, Mégret, avocat de M. et Mme E... et A... la société Macif, à la SCP Thouvenin, Coudray, Grevy, avocat de la compagnie Aeras-CMA et à la SCP Gaschignard, avocat de la communauté d'agglomération Roissy Pays de France ;

Considérant ce qui suit :

1. Il résulte des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'au cours du mois de juin 2002, M. et Mme E... ont constaté, à la suite d'importantes fuites d'eau dues à la rupture de la bride d'alimentation en eau sous pression d'une borne d'incendie, l'apparition de désordres, affaissements et fissures affectant leur propriété, située sur le territoire de la commune de Mauregard (Seine-et-Marne). M. et Mme E... et leur assureur, la société MACIF, ont demandé, le 13 décembre 2016, au tribunal administratif de Melun de condamner solidairement la commune de Mauregard, la société nouvelle de travaux publics et particuliers (SNTPP), la société Lyonnaise des eaux, devenue Suez Eau France, et la communauté de communes Plaines et Monts de France à leur verser les sommes de 3 652,62 euros au titre du remboursement des honoraires relatifs aux investigations, sondages et études géothermiques, de 48 079,19 euros au titre de travaux de consolidation des fondations, de 33 600 euros au titre du préjudice de jouissance et de 5 000 euros au titre du préjudice moral. Par un jugement du 1er février 2019, le tribunal administratif de Melun a condamné la société Suez Eau France à verser la somme de 49 719,85 euros à M. et Mme E... et la somme de 3 512,26 euros à F... et a rejeté le surplus des conclusions des parties. Par un arrêt du 3 novembre 2020, la cour administrative d'appel de Paris a porté à 76 119,85 euros la somme que la société Suez Eau France a été condamnée, par le tribunal administratif de Melun, à verser aux époux E... et a réformé en conséquence le jugement du tribunal administratif. La société Suez Eau France se pourvoit en cassation contre cet arrêt. Elle doit être regardée comme ne le contestant qu'en tant qu'il a partiellement fait droit à l'appel incident de M. et Mme E... et A... F... et rejeté ses conclusions d'appel. Les époux E... et la société MACIF, par la voie du pourvoi " incident ", qui doit être regardé comme un pourvoi provoqué, contestent cet arrêt en tant qu'il a rejeté leurs conclusions subsidiaires tendant à la condamnation solidaire de la commune de Mauregard, de la société SNTPP et de la communauté d'agglomération Roissy Pays de France.

Sur le pourvoi de la société Suez Eau France :

2. Aux termes du premier alinéa l'article 2270-1 du code civil applicable jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile : " Les actions en responsabilité civile extracontractuelle se prescrivent par dix ans à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation ". Selon l'article 2224 du même code résultant de la loi du 17 juin 2008 : " Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ". Aux termes du II de l'article 26 de cette loi : " Les dispositions de la présente loi qui réduisent la durée de la prescription s'appliquent aux prescriptions à compter du jour de l'entrée en vigueur de la présente loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure ".

3. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que, jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, les actions en responsabilité civile extracontractuelle se prescrivaient par dix ans à compter de la manifestation du dommage, en application de l'article 2270-1 du code civil. Après l'entrée en vigueur de cette loi, une telle action se prescrit par cinq ans en vertu des dispositions de l'article 2224 du code civil. Toutefois, lorsque la prescription de dix ans n'était pas acquise à la date d'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, l'application de l'article 2224 du code civil ne saurait conduire à prolonger la prescription au-delà de la durée de dix ans résultant des dispositions antérieures.

4. Il résulte en outre de ces dispositions que la prescription qu'elles instituent court à compter de la manifestation du dommage, c'est-à-dire de la date à laquelle la victime a une connaissance suffisamment certaine de l'étendue du dommage, quand bien même le responsable de celui-ci ne serait à cette date pas encore déterminé.

5. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que les désordres affectant la propriété de M. et Mme E... ont été constatés en juin 2002 et que leurs conclusions indemnitaires dirigées contre la société Lyonnaise des eaux, devenue Suez Eau France, ont été présentées pour la première fois dans un mémoire enregistré au greffe du tribunal administratif de Melun en décembre 2016. Pour juger que l'action ainsi engagée par M. et Mme E... n'était pas prescrite, la cour administrative d'appel a considéré que la prescription décennale résultant des dispositions de l'article 2270-1 du code civil ne courait qu'à compter de la date à laquelle ils avaient disposé des éléments leur permettant de rechercher spécifiquement la responsabilité de la société et a retenu à cet effet, en l'espèce, la date du dépôt d'un rapport d'expertise le 21 juillet 2015. En statuant ainsi, alors qu'il résulte des dispositions de l'article 2270-1 du code civil, ainsi qu'il a été dit au point 4, que la prescription court à compter de la date à laquelle la victime a une connaissance suffisamment certaine de l'étendue du dommage, la cour a commis une erreur de droit. Dès lors et sans qu'il y ait lieu de faire droit à la demande de substitution de motifs présentée par les époux E... et la société MACIF et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi principal, la société requérante est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque en tant qu'il a partiellement fait droit à l'appel incident de M. et Mme E... et A... F... et rejeté ses conclusions d'appel.

Sur le pourvoi provoqué de M. et Mme E... et A... F... :

6. En cas de délégation limitée à la seule exploitation de l'ouvrage, comme c'est le cas en matière d'affermage, si la responsabilité des dommages imputables à son fonctionnement relève du délégataire, sauf stipulations contractuelles contraires, celle résultant de dommages imputables à son existence, à sa nature et son dimensionnement, appartient à la personne publique délégante.

7. Si l'expert, dont la cour a cité les conclusions, a estimé qu'il n'était pas possible d'écarter le fait que la rupture de la bride d'alimentation en eau sous pression de la borne d'incendie ait pour cause un défaut inhérent à la nature ou à la mise en œuvre de la prise d'incendie, il ne ressort pas des pièces du dossier soumis à l'appréciation de la cour que le dommage était imputable à l'existence, à la nature ou au dimensionnement de la borne d'incendie. Dès lors, c'est sans erreur de qualification juridique des faits ni dénaturation des pièces du dossier que la cour a estimé que n'avait été mise en évidence aucune faute de la communauté d'agglomération, personne publique délégante, et que le fonctionnement de l'ouvrage était seul en cause.

8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société Suez Eau France qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il n'y a pas lieu par ailleurs, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par cette société ni aux conclusions de la société Areas dommages et de la communauté d'agglomération Roissy Pays de Loire dirigées contre les époux E... au titre des mêmes dispositions.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Les articles 1er, 2 et 3 de l'arrêt du 3 novembre 2020 de la cour administrative d'appel de Paris, ainsi que l'article 4 en tant qu'il a rejeté le surplus des conclusions d'appel de la société Suez Eau France, sont annulés.

Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans cette mesure, à la cour administrative d'appel de Paris.

Article 3 : Le surplus des conclusions du pourvoi de la société Suez Eau France est rejeté.

Article 4 : Les conclusions du pourvoi provoqué de M. et Mme E... et A... la société MACIF sont rejetées.

Article 5 : Les conclusions présentées par les époux E... et la société MACIF, par la société Areas dommages et par la communauté d'agglomération Roissy Pays de France au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à la société Suez Eau France, à M. et Mme D... E..., à la société MACIF, à la société Areas dommages, à la commune de Mauregard, à la société nouvelle des travaux publics et particuliers, à la société Eiffage génie civil réseaux et à la communauté d'agglomération Roissy Pays de France.

Délibéré à l'issue de la séance du 21 octobre 2021 où siégeaient : M. Olivier Japiot, président de chambre, présidant ; M. Gilles Pellissier, conseiller d'Etat et M. Frédéric Gueudar Delahaye, conseiller d'Etat-rapporteur.

Rendu le 10 novembre 2021.

Le président :

Signé : M. Olivier Japiot

Le rapporteur :

Signé : M. Frédéric Gueudar Delahaye

La secrétaire :

Signé : Mme C... B...

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :


Synthèse
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 448324
Date de la décision : 10/11/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 10 nov. 2021, n° 448324
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Frédéric Gueudar Delahaye
Rapporteur public ?: M. Marc Pichon de Vendeuil
Avocat(s) : SCP CELICE, TEXIDOR, PERIER ; SCP BORE, SALVE DE BRUNETON, MEGRET ; SCP GASCHIGNARD ; SCP THOUVENIN, COUDRAY, GREVY

Origine de la décision
Date de l'import : 16/11/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2021:448324.20211110
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