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08/11/2021 | FRANCE | N°454927

France | France, Conseil d'État, 10ème - 9ème chambres réunies, 08 novembre 2021, 454927


Vu la procédure suivante :

Par un mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés les 11 août et 25 septembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, M. M... N... demande au Conseil d'Etat, à l'appui de sa requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire, notamment son article 23-1, tel que modifié par le décret n° 2021-724 du 7 ju

in 2021, le décret n° 2021-782 du 18 juin 2021, le décret n° 2021-850 du 29 ...

Vu la procédure suivante :

Par un mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés les 11 août et 25 septembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, M. M... N... demande au Conseil d'Etat, à l'appui de sa requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire, notamment son article 23-1, tel que modifié par le décret n° 2021-724 du 7 juin 2021, le décret n° 2021-782 du 18 juin 2021, le décret n° 2021-850 du 29 juin 2021, le décret n° 2021-949 du 16 juillet 2021 et le décret n° 2021-1003 du 30 juillet 2021, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du 1° du A du II de l'article 1er de la loi n° 2021-689 du 31 mai 2021 relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire, modifiée par la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et ses articles 34 et 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 2021-689 du 31 mai 2021 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Dominique Agniau-Canel, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. En raison de l'amélioration progressive de la situation sanitaire, les mesures de santé publique destinées à prévenir la circulation du virus de la covid-19 prises dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire ont été remplacées, après l'expiration de celui-ci le 1er juin 2021, par celles de la loi n° 2021-689 du 31 mai 2021 relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire, ultérieurement modifiée par la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire. Aux termes du A du II de l'article 1er de cette loi dans sa rédaction antérieure à la loi du 5 août 2021 : " A compter du 2 juin 2021 et jusqu'au 30 septembre 2021 inclus, le Premier ministre peut, par décret pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, dans l'intérêt de la santé publique et aux seules fins de lutter contre la propagation de l'épidémie de covid-19 : / 1° Imposer aux personnes souhaitant se déplacer à destination ou en provenance du territoire hexagonal, de la Corse ou de l'une des collectivités mentionnées à l'article 72-3 de la Constitution de présenter le résultat d'un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19, un justificatif de statut vaccinal concernant la covid-19 ou un certificat de rétablissement à la suite d'une contamination par la covid-19 ; (...) ". Ces dispositions, sur le fondement desquelles a été adopté l'article 23-1 du décret attaqué, dans sa rédaction en vigueur à la date de la requête de M. N..., sont applicables au litige au sens du 1° de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 et n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel.

3. M. N... soutient que les dispositions du 1° du A du II de l'article 1er de la loi du 31 mai 2021, en tant qu'elles permettent au pouvoir réglementaire de prendre, sur leur fondement, des mesures applicables aux ressortissants français, portent atteinte à leur droit général et absolu d'entrée et de séjour sur le territoire national, rattachable à la liberté d'aller et venir garantie par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, ainsi qu'à leur droit de mener une vie familiale normale consacré par le dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, qu'elles sont entachées d'incompétence négative et méconnaissent l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi. Il soutient également que ces dispositions portent une atteinte disproportionnée aux libertés fondamentales en tant qu'elles ne prévoient pas de limites temporelles aux mesures qu'elles prévoient et qu'elles portent atteinte au principe d'égalité entre les citoyens français selon le pays dans lequel ils se trouvent. Il invoque, enfin, la méconnaissance de stipulations conventionnelles.

4. En premier lieu, il ressort de leurs termes mêmes que les dispositions contestées sont applicables aux déplacements entre le territoire national et les pays étrangers. Le moyen tiré de ce que, compte tenu de leur ambiguïté, elles méconnaîtraient les objectifs de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi ne peut, par suite, qu'être écarté.

5. En deuxième lieu, en ce qui concerne les ressortissants français, les dispositions du 1° du A du II de l'article 1er de la loi du 31 mai 2021 permettent au Premier ministre, non pas de faire durablement obstacle à leur droit fondamental de rejoindre le territoire national, mais uniquement d'imposer, pour une période limitée, les restrictions d'accès qui se révéleraient indispensables pour préserver la situation sanitaire, et à la condition que le bénéfice de telles mesures pour la protection de la santé publique excède manifestement l'atteinte ainsi portée à ce droit. Elles ne sauraient donc être regardées comme autorisant le pouvoir réglementaire à exiger des ressortissants français la présentation d'un résultat d'un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19, d'un justificatif de statut vaccinal concernant la covid-19 ou d'un certificat de rétablissement à la suite d'une contamination par la covid-19 qu'à la condition de prévoir, pour ce qui les concerne, des dérogations à ces obligations, notamment dans l'hypothèse où, au vu des conditions dans le pays de résidence ou de la situation des personnes en cause, celles-ci ne seraient pas à même de les respecter et se trouveraient ainsi privées durablement de leur droit de rejoindre le territoire national.

6. Il suit de là que les moyens tirés de ce que les dispositions du 1° du A du II de l'article 1er de la loi du 31 mai 2021 méconnaîtraient, s'agissant des ressortissants français, leur liberté d'aller et de venir et leur droit de mener une vie familiale normale, et de ce que le législateur aurait méconnu sa propre compétence en n'encadrant pas davantage l'édiction par le Premier ministre des mesures de police administrative qu'elles prévoient, doivent être écartés.

7. En troisième lieu, et au regard notamment de ce qui a été indiqué au point 5, le moyen tiré de ce que ces dispositions porteraient atteinte au principe d'égalité entre Français expatriés selon leur lieu de résidence à l'étranger, en faisant obstacle, dans certains cas, compte tenu des possibilités effectives d'accès aux tests et aux vaccins et de leur coût, à leur retour effectif en France ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté.

8. En quatrième lieu, les dispositions en cause ne pouvant faire obstacle durablement au droit des ressortissants français d'accéder au territoire national, le moyen tiré de ce que l'absence de fixation par la loi de la durée des restrictions de déplacement qu'elle autorise porterait une atteinte excessive aux droits et libertés fondamentaux ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté.

9. En dernier lieu, si le requérant soutient que les dispositions contestées méconnaissent l'article 13 de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, l'article 12 du pacte international relatif aux droits civils et politiques, le paragraphe 2 de l'article 3 du protocole n° 4 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le règlement UE 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 concernant le code de l'Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes, ces engagements internationaux et européens de la France ne sont pas au nombre des droits et libertés garantis par la Constitution et ne peuvent, dès lors, être utilement invoqués à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité sur le fondement de l'article 61-1 de la Constitution.

10. Il résulte de ce qui précède que la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions contestées, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Il n'y a, dès lors, pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. N....

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. M... N... et au ministre des solidarités et de la santé.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.

Délibéré à l'issue de la séance du 13 octobre 2021 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; M. G... F..., M. Frédéric Aladjidi, présidents de chambre ; Mme I... B..., M. J... C..., Mme A... K..., M. D... E..., M. François Weil conseillers d'Etat et Mme Dominique Agniau-Canel, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 8 novembre 2021

La Présidente :

Signé : Mme Christine Maugüé

La rapporteure :

Signé : Mme Dominique Agniau-Canel

Le secrétaire :

Signé : Mme H... L...


Synthèse
Formation : 10ème - 9ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 454927
Date de la décision : 08/11/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 08 nov. 2021, n° 454927
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Dominique Agniau-Canel
Rapporteur public ?: M. Laurent Domingo

Origine de la décision
Date de l'import : 10/11/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2021:454927.20211108
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