Vu la procédure suivante :
Le Syndicat des manageurs publics de santé (SMPS) a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une part, d'ordonner au directeur général de l'Assistance publique - hôpitaux de Paris (AP-HP) de notifier la répartition du crédit global de temps syndical qu'il a transmise en février 2021 aux directeurs des ressources humaines des groupements hospitaliers universitaires de l'AP-HP et aux agents bénéficiaires, sous astreinte de 1 500 euros par jour de retard, d'autre part, de suspendre l'exécution de la décision du directeur général de l'AP-HP du 13 septembre 2021 retirant le bénéfice du temps syndical attribué à M. A... et à tout autre agent identifié dans la liste des bénéficiaires du temps représentant le SMPS à l'APHP et, enfin, d'enjoindre aux directeurs des groupements hospitaliers universitaires AP-HP Nord-université de Paris, AP-HP. Université de Paris Saclay et AP-HP. Hôpitaux universitaires de Paris Seine-Saint-Denis, de mettre à disposition au moins un local par gros site de chaque groupement ainsi que les moyens y afférent, notamment informatiques et en panneaux d'affichage, sous astreinte de 1 500 euros par jour de retard.
Par une ordonnance n° 2120098 du 29 septembre 2021, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a rejeté ses demandes.
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 13 et 20 octobre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le syndicat des manageurs publics de santé demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) de suspendre l'exécution de la décision du directeur général de l'AP-HP refusant la désignation des bénéficiaires du crédit de temps syndical qu'il a transmis et l'invitant à désigner d'autres agents ;
3°) d'enjoindre au directeur général de l'AP-HP de notifier, dans un délai de 48 heures à compter de la décision à intervenir, aux directeurs des ressources humaines des groupements hospitaliers universitaires concernés et aux agents qui en sont bénéficiaires la répartition du crédit global de temps syndical qu'il a transmise, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'AP-HP la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que, compte tenu des instructions de la DRH de l'AP-HP, le SMPS se trouve dans l'impossibilité de mobiliser les agents bénéficiaires de son crédit de temps syndical, une majorité des agents qu'il a désignés s'étant vus notifier, ou le seront de manière imminente, l'opposition à leur désignation comme représentants et leur réintégration ;
- c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif de Paris a jugé que les organisations syndicales n'étaient pas autorisées à désigner comme bénéficiaires des crédits de temps syndical un " agent en dehors du syndicat ", l'alinéa 1er du V de l'article 16 du décret n° 86-660 du 19 mars 1986 n'imposant pas d'affiliation préalable du bénéficiaire au syndicat, le " représentant " mentionné par cet article devant être entendu comme l'agent librement désigné comme tel par l'organisation syndicale, lequel n'a pas nécessairement à être membre du syndicat qui le désigne ;
- le refus opposé aux désignations proposés, fondé sur ce motif de non-affiliation syndicale, constitue une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté syndicale ;
- A titre subsidiaire, à supposer qu'il soit interdit de désigner comme bénéficiaire du crédit de temps syndical un agent non affilié au syndicat, l'AP-HP a porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté syndicale en se fondant, pour refuser la désignation des bénéficiaires du crédit de temps syndical transmis, sur leur appartenance au syndicat UNSA Santé sociaux public et privé de l'AP-HP, une double appartenance syndicale étant possible et non prohibée par les statuts des syndicats concernés, alors qu'au demeurant l'administration ne peut " ficher " les agents au regard de leur appartenance syndicale.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 octobre 2021, le directeur général de l'AP-HP conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge du syndicat des manageurs publics de santé la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La requête a été communiquée au ministre des solidarités et de la santé, qui n'a pas produit d'observations.
Un nouveau mémoire, enregistré le 22 octobre 2021, a été présenté par le SMPS.
Un nouveau mémoire, enregistré le 22 octobre 2021, a été présentée par le directeur général de l'AP-HP.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;
- le décret n° 86-660 du 19 mars 1986 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, le Syndicat des manageurs publics de santé et, d'autre part, l'Assistance publique - hôpitaux de Paris (APHP) et le ministre des solidarités et de la santé ;
Ont été entendus lors de l'audience publique du 21 octobre 2021, à 14 heures 30 :
- Me Gilbert, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat du syndicat des manageurs publics de santé ;
- les représentants du Syndicat des manageurs publics de santé ;
- la représentante de l'Assistance publique - hôpitaux de Paris (AP-HP) ;
à l'issue de laquelle le juge des référés a reporté la clôture de l'instruction au 22 octobre 2021 à 18 heures.
Une note en délibéré, enregistrée le 25 octobre 2021, a été présentée par le SMPS.
Considérant ce qui suit :
1. Il résulte de l'instruction que le Syndicat des manageurs publics de santé (SMPS), affilié à la fédération UNSA santé sociaux public et privé depuis le 21 février 2014, a reçu notification, par courrier du 12 janvier 2021 de la direction des ressources humaines (DRH) de l'Assistance publique - hôpitaux de Paris (AP-HP), un crédit global de temps syndical pour l'année 2021. Ce courrier précise qu'à la suite de l'exclusion par le conseil national de la fédération précitée du syndicat UNSA santé et sociaux des hospitaliers de l'AP-HP, est attribué au SMPS, en plus de son crédit global syndical, celui du syndicat exclu. En réponse, par courriel du 25 janvier 2021, confirmé par courrier du 16 février, le syndicat a notifié la répartition du temps syndical à attribuer pour l'année 2021. La DRH de l'AP-HP a fait savoir, par courrier du 1er juin 2021, que certaines personnes proposées étaient, selon elle, adhérentes à un syndicat nouvellement créé, l'UNSA santé sociaux public et privé de l'AP-HP, et qu'elles ne pouvaient bénéficier du crédit global du syndicat SMPS dès lors qu'elles n'en étaient pas adhérentes, peu important que les deux syndicats relèvent de la même fédération. Elle a également considéré que l'UNSA santé sociaux public et privé de l'AP-HP n'ayant pas présenté de liste au dernier scrutin des élections professionnelles de 2018, elle ne pouvait pas bénéficier de représentants. Après plusieurs nouveaux échanges, l'AP-HP a confirmé, par courrier du 10 septembre 2021, sa position de refus de la répartition des heures de crédit global syndical proposée par le SMPS et demandé au DRH des sites concernés de l'AP-HP de " contacter sans délai les personnels qui bénéficiaient de décharges au titre de ces heures afin de régulariser leur situation individuelle ". Compte tenu des effets de cette dernière décision sur la situation des agents concernés, le SMPS a alors saisi le juge des référés du tribunal administratif de Paris sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative. Le SMPS doit être regardé comme relevant appel de l'ordonnance de ce juge ayant rejeté ses demandes tendant à la suspension de l'exécution de la décision du directeur général de l'AP-HP refusant comme bénéficiaires du crédit de temps syndical certaines personnes qu'elle a proposées et à ce qu'il lui soit enjoint de notifier, dans un délai de 48 heures à compter de la décision à intervenir, aux directeurs des ressources humaines des groupements hospitaliers universitaires concernés et aux agents qui en sont bénéficiaires l'intégralité de la répartition du crédit global de temps syndical notifiée, sous astreinte de 500 euros par jour de retard.
2. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ". L'usage par le juge des référés des pouvoirs qu'il tient des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative est subordonné à la condition qu'une urgence particulière rende nécessaire l'intervention rapide d'une mesure de sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une atteinte grave ou manifestement illégale serait portée.
3. Selon l'article 16 du décret du 19 mars 1986 relatif à l'exercice du droit syndical dans les établissements mentionnés à l'article 2 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière : " I. - Un crédit global de temps syndical est déterminé, au sein de chaque établissement à l'issue du renouvellement général des instances de concertation de la fonction publique hospitalière. Il est exprimé en effectifs décomptés en équivalent temps plein. Les effectifs pris en compte pour le calcul de ce crédit global correspondent au nombre des électeurs inscrits sur les listes électorales pour l'élection au comité technique d'établissement. (...) III. - Le crédit global de temps syndical est réparti entre les organisations syndicales compte tenu de leur représentativité (...) IV. - Le crédit de temps syndical attribué est utilisé librement pour les besoins de l'activité syndicale et de la représentation des personnels auprès de l'autorité administrative. Il est utilisable, au choix de l'organisation syndicale, sous forme de décharges d'activité de service ou sous forme de crédits d'heure. V. - Les organisations syndicales désignent les bénéficiaires des crédits de temps syndical parmi leurs représentants en activité dans l'établissement. Elles en communiquent la liste nominative au directeur de l'établissement ou à son représentant. Dans cette liste, sont précisés les volumes de crédit de temps syndical répartis sous forme de décharges d'activité de service et sous forme de crédits d'heures. (...) ".
4. Le crédit global de temps syndical constitue l'une des modalités d'exercice de la liberté syndicale, qui présente le caractère d'une liberté fondamentale au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative. Il résulte des dispositions de l'article 16 du décret du 19 mars 1986 citées au point précédent que, dans la fonction publique hospitalière, il est réparti entre les organisations syndicales compte tenu de leur représentativité, celles-ci ayant le choix entre des décharges d'activité de service ou des crédits d'heure. Ces organisations peuvent désigner comme bénéficiaires des crédits de temps syndical, pour les besoins de l'activité syndicale et de la représentation des personnels auprès de l'autorité administrative, les personnes en activité dans l'établissement qu'elles considèrent comme leurs représentants, sans que ne puissent être opposées une condition d'adhésion au syndicat les désignant ou une interdiction en raison d'une appartenance supposée à un autre syndicat, qu'il ne revient pas à l'employeur de connaître ou de contrôler.
5. En l'espèce, il résulte de l'instruction que la direction de l'AP-HP s'est fondée sur un critère d'appartenance supposée à un autre syndicat que celui qui procède à la désignation pour refuser certaines des personnes proposées par le syndicat SMPS requérant. Contrairement à ce qu'elle soutient, la circonstance qu'elle ait été informée de la liste des responsables de l'autre syndicat, l'UNSA santé sociaux public et privé de l'AP-HP, en application de l'obligation faite par l'article 2 du décret du 19 mars 1986 de la porter à la connaissance de la direction de l'établissement en cas de création d'un syndicat ne pouvait légalement lui permettre de prendre en compte cette information, qui n'est pas pertinente pour les raisons exposées au point précédent. Elle ne peut davantage soutenir que la validation de la liste proposée par le syndicat requérant aurait conduit à méconnaître le principe du I de l'article 16 du décret du 19 mars 1986 selon lequel le crédit global de temps syndical est déterminé à l'issue du renouvellement général des instances de concertation de la fonction publique hospitalière, l'UNSA santé sociaux public et privé de l'AP-HP n'ayant pas participé aux dernières élections, dès lors que les personnes sont proposées pour la représentation non de ce syndicat mais du SMPS, qui avait présenté une liste à ces élections. Par suite, elle a porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté syndicale reconnue au syndicat SMPS en refusant de donner suite à l'intégralité de la notification de la répartition du temps syndical à attribuer pour 2021, aux motifs que certains des agents désignés ne pouvaient être les représentants du syndicat faute d'en être adhérents et que l'UNSA santé sociaux public et privé de l'AP-HP n'avait pas présenté de liste au dernier scrutin des élections professionnelles de 2018.
6. Il résulte de l'instruction, notamment des éléments recueillis lors de l'audience publique et de ceux dont la production a été sollicitée pour préciser les situations individuelles, que la DRH de l'AP-HP n'a pas adressé aux sites concernés le tableau de répartition transmis pour l'année 2021, " compte tenu de l'incertitude en droit sur le sujet ". Elle a fixé un statut temporaire pour les agents désignés en attendant que leur situation soit juridiquement stabilisée. Treize d'entre eux, dont un agent devant disposer d'une décharge totale d'activité et représentant à lui seul près de 45% du crédit global de temps syndical, se trouvent dans une situation provisoire, jusqu'au 29 octobre 2021, dans l'attente du résultat du présent contentieux - l'AP-HP semblant au demeurant, pour justifier du respect des dispositions régissant le crédit de temps syndical, y inclure les autorisations spéciales d'absence qu'elle accorde, alors qu'elles relèvent d'un dispositif distinct. Il en résulte que l'exercice de la liberté syndicale garantie au SMPS est manifestement compromis, une majorité des personnes désignées étant appelées à brève échéance à reprendre leurs fonctions dans les services dont elles relèvent et l'absence d'acceptation de la liste proposée faisant obstacle à l'exercice normal par le SMPS de ses missions. Dans ces conditions, ce dernier justifie d'une situation d'urgence particulière rendant nécessaire l'intervention rapide d'une mesure de sauvegarde de la liberté syndicale.
7. Il résulte de ce qui précède que le Syndicat des manageurs publics de santé est fondé à soutenir que c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif de Paris a rejeté ses conclusions tendant à ce qu'il soit fait usage de l'article L. 521-2 du code de justice administrative et à demander la suspension de l'exécution de la décision du directeur général de l'Assistance publique - hôpitaux de Paris de refus de désignation de l'intégralité des personnes désignées comme bénéficiaires du crédit de temps syndical par le syndicat des manageurs publics de santé. Il y a lieu d'enjoindre à ce directeur général de notifier, dans un délai de quarante-huit heures, aux directeurs des ressources humaines des groupements hospitaliers universitaires concernés et aux agents qui en sont bénéficiaires la répartition du crédit global de temps syndical au titre du Syndicat des manageurs publics de santé que ce dernier a notifiée, sans qu'il n'y ait lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'AP-HP la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ces dispositions faisant obstacle à ce qu'il doit fait droit aux conclusions présentées sur leur fondement par l'AP-HP.
O R D O N N E :
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Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Paris du 29 septembre 2021 est annulée.
Article 2 : L'exécution de la décision du directeur général de l'Assistance publique - hôpitaux de Paris de refus de désignation de l'intégralité des personnes désignées comme bénéficiaires du crédit de temps syndical par le Syndicat des manageurs publics de santé est suspendue.
Article 3 : Il est enjoint au directeur général de l'Assistance publique - hôpitaux de Paris de notifier, dans un délai de quarante-huit heures, aux directeurs des ressources humaines des groupements hospitaliers universitaires concernés et aux agents qui en sont bénéficiaires la répartition du crédit global de temps syndical au titre du Syndicat des manageurs publics de santé que ce dernier a notifiée.
Article 4 : L'Assistance publique - hôpitaux de Paris versera au syndicat des manageurs publics de santé la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions du Syndicat des manageurs publics de santé et de l'Assistance publique - hôpitaux de Paris est rejeté.
Article 6 : La présente ordonnance sera notifiée au Syndicat des manageurs publics de santé et à l'Assistance publique - hôpitaux de Paris.
Copie en sera adressée au ministre des solidarités et de la santé.
Fait à Paris, le 27 octobre 2021
Signé : Damien Botteghi