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28/07/2021 | FRANCE | N°445870

France | France, Conseil d'État, 10ème chambre, 28 juillet 2021, 445870


Vu la procédure suivante :

Par quinze protestations distinctes, M. AG... V..., Mme AF... N..., M. AE... W..., M. Q... C..., M. Y... R..., Mme E... H..., Mme K... B..., M. U... I..., Mme G... D..., Mme AC... M..., M. J... B..., M. O... AA..., Mme AD... Z..., M. T... L... et M. S... F... ont demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler les opérations électorales qui se sont déroulées le 15 mars 2020 en vue de l'élection des conseillers municipaux de la commune de Fresnes-L'Eguillon (Oise).

Par un jugement n° 2001327, 2001401, 2001412, 2001417, 2001420, 2001426, 200

1434, 2001440, 2001441, 2001447, 2001451, 2001455, 2001468, 2001481...

Vu la procédure suivante :

Par quinze protestations distinctes, M. AG... V..., Mme AF... N..., M. AE... W..., M. Q... C..., M. Y... R..., Mme E... H..., Mme K... B..., M. U... I..., Mme G... D..., Mme AC... M..., M. J... B..., M. O... AA..., Mme AD... Z..., M. T... L... et M. S... F... ont demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler les opérations électorales qui se sont déroulées le 15 mars 2020 en vue de l'élection des conseillers municipaux de la commune de Fresnes-L'Eguillon (Oise).

Par un jugement n° 2001327, 2001401, 2001412, 2001417, 2001420, 2001426, 2001434, 2001440, 2001441, 2001447, 2001451, 2001455, 2001468, 2001481 et 2001505 du 29 septembre 2020, le tribunal administratif a rejeté ces protestations.

Par une requête, enregistrée le 31 octobre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. V... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa protestation.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code électoral ;

- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;

- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;

- le décret n° 2020-571 du 14 mai 2020 ;

- la décision n° 2020-849 QPC du 17 juin 2020 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Réda Wadjinny-Green, auditeur,

- les conclusions de M. AA... Lallet, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. A l'issue du premier tour de scrutin qui s'est déroulé le 15 mars 2020 en vue de l'élection des conseillers municipaux de la commune de Fresnes-L'Eguillon (Oise), qui rassemble moins de 1 000 habitants, les onze sièges à pourvoir l'ont été exclusivement par des candidats groupés sur la liste " Ensemble soyons acteurs pour Fresnes Heulecourt ", conduite par M. AB... P.... Aucun des candidats de la liste " Agir pour demain ", conduite par M. AG... V..., maire sortant, n'a été élu. M. V... demande l'annulation du jugement du 29 septembre 2020 par lequel le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa protestation tendant à l'annulation de ces opérations électorales.

Sur la fin de non-recevoir soulevée en défense :

2. Eu égard à l'indivisibilité du scrutin et à l'office du juge de l'élection, la circonstance que seul M. V..., parmi les quinze protestataires qui ont demandé l'annulation du scrutin mentionné au point 1, relève appel du jugement par lequel ces quinze protestations ont été rejetées est sans incidence sur la recevabilité de sa requête d'appel.

Sur la méconnaissance de l'article L. 253 du code électoral :

3. Aux termes de l'article L. 253 du code électoral : " Nul n'est élu au premier tour de scrutin s'il n'a réuni :/ 1° La majorité absolue des suffrages exprimés ;/ 2° Un nombre de suffrages égal au quart de celui des électeurs inscrits. Au deuxième tour de scrutin, l'élection a lieu à la majorité relative, quel que soit le nombre des votants. Si plusieurs candidats obtiennent le même nombre de suffrages, l'élection est acquise au plus âgé ". Le grief tiré de la méconnaissance de ces dispositions est d'ordre public.

4. Saisi du grief tiré de la proclamation irrégulière de l'élection de Mme X... A... à l'issue du scrutin litigieux, le tribunal administratif a considéré que celui-ci était irrecevable car soulevé dans un mémoire produit après l'expiration du délai de recours contentieux. Dès lors, le moyen tiré de ce que le tribunal administratif aurait omis de répondre à ce grief ne peut qu'être écarté.

5. Toutefois, ainsi qu'il a été dit au point 3, ce grief est d'ordre public. Par suite, c'est à tort que le tribunal administratif, qui en était saisi, l'a écarté comme irrecevable à raison de sa tardiveté sans en examiner le bien-fondé. Il appartient dès lors au Conseil d'Etat de se prononcer sur ce grief dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel.

6. Il résulte de l'instruction que le procès-verbal des opérations électorales contestées, lequel ne comporte aucune observation, mentionne que Mme A... a obtenu 100 suffrages lors du scrutin du 15 mars 2020, soit un nombre de voix inférieur à la majorité absolue des suffrages exprimés qu'il établit à 107 voix. La feuille de proclamation des résultats qui lui est annexée indique quant à elle que Mme A... a recueilli 115 suffrages, tout comme le correctif signé du maire sortant le 16 mars 2020. Toutefois, les feuilles de dépouillement transmises à la préfecture recensent 116 voix. D'une part, dès lors qu'il n'appartient qu'à la seule juridiction administrative saisie d'une protestation de rectifier les résultats proclamés d'une élection municipale tels que transcrits au procès-verbal signé des membres du bureau de vote, nul ne peut après cette proclamation y apporter légalement des corrections. D'autre part, les mentions portées sur le procès-verbal et la feuille de proclamation ne sont que le report du nombre de voix qui résulte des feuilles de dépouillement. Il s'ensuit que Mme A..., qui a obtenu selon la feuille de dépouillement 116 voix, justifie d'un nombre de suffrages suffisant pour être proclamée élue à l'issue de l'élection contestée. Il s'ensuit que le grief tiré du caractère irrégulier de la proclamation de son élection en qualité de conseillère municipale de Fresnes-l'Eguillon doit être écarté.

Sur le taux d'abstention :

7. L'émergence d'un nouveau coronavirus, responsable de la maladie à coronavirus 2019 ou covid-19 et particulièrement contagieux, a été qualifiée d'urgence de santé publique de portée internationale par l'Organisation mondiale de la santé le 30 janvier 2020, puis de pandémie le 11 mars 2020. La propagation du virus sur le territoire français a conduit le ministre des solidarités et de la santé à prendre, à compter du 4 mars 2020, des mesures de plus en plus strictes destinées à réduire les risques de contagion. Dans ce contexte, le Premier ministre a adressé à l'ensemble des maires le 7 mars 2020 une lettre présentant les mesures destinées à assurer le bon déroulement des élections municipales et communautaires prévues les 15 et 22 mars 2020. Ces mesures ont été précisées par une circulaire du ministre de l'intérieur du 9 mars 2020 relative à l'organisation des élections municipales des 15 et 22 mars 2020 en situation d'épidémie de coronavirus covid-19, formulant des recommandations relatives à l'aménagement des bureaux de vote et au respect des consignes sanitaires, et par une instruction de ce ministre, du même jour, destinée à faciliter l'exercice du droit de vote par procuration. Après consultation par le Gouvernement du conseil scientifique mis en place pour lui donner les informations scientifiques utiles à l'adoption des mesures nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19, les 12 et 14 mars 2020, le premier tour des élections municipales a eu lieu comme prévu le 15 mars 2020. A l'issue du scrutin, les conseils municipaux ont été intégralement renouvelés dans 30 143 communes ou secteurs. Le taux d'abstention a atteint 55,34 % des inscrits, contre 36,45 % au premier tour des élections municipales de 2014.

8. Au vu de la situation sanitaire, l'article 19 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 a reporté le second tour des élections, initialement fixé au 22 mars 2020, au plus tard en juin 2020 et prévu que : " Dans tous les cas, l'élection régulière des conseillers municipaux et communautaires, des conseillers d'arrondissement, des conseillers de Paris et des conseillers métropolitains de Lyon élus dès le premier tour organisé le 15 mars 2020 reste acquise, conformément à l'article 3 de la Constitution ". Ainsi que le Conseil constitutionnel l'a jugé dans sa décision n° 2020-849 QPC du 17 juin 2020, ces dispositions n'ont ni pour objet ni pour effet de valider rétroactivement les opérations électorales du premier tour ayant donné lieu à l'attribution de sièges et ne font ainsi pas obstacle à ce que ces opérations soient contestées devant le juge de l'élection.

9. Ni par les dispositions de l'article L. 253 du code électoral citées au point 4, ni par celles de la loi du 23 mars 2020 mentionnées au point 7, le législateur n'a subordonné à un taux de participation minimal la répartition des sièges au conseil municipal à l'issue du premier tour de scrutin dans les communes de moins de mille habitants, lorsqu'un nombre suffisant de candidats au regard du nombre de sièges à pourvoir ont recueilli la majorité absolue des suffrages exprimés et un nombre de suffrages égal au quart de celui des électeurs inscrits. Le niveau de l'abstention n'est ainsi, par lui-même, pas de nature à remettre en cause les résultats du scrutin, s'il n'a pas altéré, dans les circonstances de l'espèce, sa sincérité.

10. En l'espèce, M. V... fait seulement valoir que le taux de participation, qui s'est élevé à 67,41%, est inférieur d'environ 10 points à celui des élections municipales de 2014 et 2008 et que cette baisse de la participation est directement imputable au contexte sanitaire, qui a rendu impossible à compter du 1er mars 2020 la tenue des réunions publiques habituelles dans le département de l'Oise et découragé les électeurs de se rendre aux urnes eu égard, notamment, aux préconisations de l'agence régionale de santé des Hauts-de-France. Il ne démontre pas que des circonstances relatives au déroulement de la campagne électorale ou du scrutin dans la commune de Fresnes-L'Eguillon auraient porté atteinte au libre exercice du droit de vote ou à l'égalité entre les candidats. Dans ces conditions, le niveau de l'abstention constaté ne peut être regardé comme ayant altéré la sincérité du scrutin, alors même que quinze voix, soit 7% des suffrages exprimés, séparent le dernier candidat remplissant les conditions posées par l'article L. 253 du code électoral du premier candidat non élu et que les protestataires produisent trente-deux attestations d'électeurs ayant choisi de s'abstenir de voter.

Sur la propagande électorale :

11. Aux termes de l'article L. 240 du code électoral : " L'impression et l'utilisation, sous quelque forme que ce soit, de circulaires, tracts, affiches et bulletins de vote pour la propagande électorale en dehors des conditions fixées par les dispositions en vigueur sont interdites ". L'article L. 48-2 du même code prévoit que : " Il est interdit à tout candidat de porter à la connaissance du public un élément nouveau de polémique électorale à un moment tel que ses adversaires n'aient pas la possibilité d'y répondre utilement avant la fin de la campagne électorale ". L'article L. 49 dispose que : " A partir de la veille du scrutin à zéro heure, il est interdit de distribuer ou faire distribuer des bulletins, circulaires et autres documents. A partir de la veille du scrutin à zéro heure, il est également interdit de diffuser ou de faire diffuser par tout moyen de communication au public par voie électronique tout message ayant le caractère de propagande électorale ".

12. Il résulte de l'instruction que la liste " Agir pour demain " conduite par M. V... a répondu au tract diffusé le 3 mars 2020 par les candidats groupés sur la liste " Ensemble soyons acteurs pour Fresnes Heulecourt ", dont le contenu n'excède pas les limites de la polémique électorale, par la diffusion le 5 mars 2020 d'un bilan financier. Dès lors, la circonstance qu'elle n'ait pu le faire lors de la réunion publique qu'elle envisageait de tenir le 7 mars 2020 avant que tout rassemblement public soit interdit sur le territoire du département de l'Oise par un arrêté préfectoral du 29 février 2020 n'est pas de nature à démontrer qu'elle n'a pas eu la possibilité d'y répondre utilement.

Sur le caractère diffamatoire de la campagne :

13. Le moyen tiré de ce que les candidats groupés sur la liste " Agir pour demain " auraient été l'objet d'attaques personnelles et de propos haineux ou diffamatoires doit être regardé comme nouveau en appel, dès lors qu'il a été soulevé en première instance dans un mémoire de M. V... enregistré le 9 septembre 2020, après l'expiration le 25 mai 2020 à 18 heures du délai de recours contentieux. Il est par suite irrecevable.

14. Il résulte de tout ce qui précède que M. V... n'est pas fondé à se plaindre de ce que le jugement qu'il attaque a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation des opérations électorales qui se sont déroulées le 15 mars 2020 en vue de l'élection des conseillers municipaux de la commune de Fresnes-L'Eguillon. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de M. V... la somme que M. P... et autres demandent au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de M. V... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de M. P... et autres tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée M. AG... V... et à M. AB... P..., premiers requérant et défendeur dénommés.

Copie en sera adressée au ministre de l'intérieur et au préfet de l'Oise.


Synthèse
Formation : 10ème chambre
Numéro d'arrêt : 445870
Date de la décision : 28/07/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 28 jui. 2021, n° 445870
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Réda Wadjinny-Green
Rapporteur public ?: M. Alexandre Lallet

Origine de la décision
Date de l'import : 03/08/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2021:445870.20210728
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