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16/07/2021 | FRANCE | N°448138

France | France, Conseil d'État, 7ème chambre, 16 juillet 2021, 448138


Vu la procédure suivante :

Madame D... I... épouse A... a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe d'annuler les opérations électorales qui se sont déroulées le 15 mars 2020 pour l'élection des conseillers municipaux et des conseillers communautaires dans la commune de Baie-Mahault (Guadeloupe), de décider que les nouvelles élections devront être organisées dans les conditions prévues par l'article L. 118-1 du code électoral, de suspendre le mandat des candidats élus, de prononcer l'inéligibilité de Mme C... G... pour trois ans en application de l'article L. 1

18-4 du code électoral, de transmettre au procureur de la République l...

Vu la procédure suivante :

Madame D... I... épouse A... a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe d'annuler les opérations électorales qui se sont déroulées le 15 mars 2020 pour l'élection des conseillers municipaux et des conseillers communautaires dans la commune de Baie-Mahault (Guadeloupe), de décider que les nouvelles élections devront être organisées dans les conditions prévues par l'article L. 118-1 du code électoral, de suspendre le mandat des candidats élus, de prononcer l'inéligibilité de Mme C... G... pour trois ans en application de l'article L. 118-4 du code électoral, de transmettre au procureur de la République le dossier des fraudes constatées en application de l'article L. 117-1 du code électoral et à titre subsidiaire, d'annuler l'élection de M. E... F... comme conseiller municipal de la commune de Baie-Mahault.

Par un jugement n° 2000263 du 24 novembre 2020, le tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté sa protestation.

Par une requête enregistrée le 24 décembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme I... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler ces opérations électorales ;

3°) de faire application des dispositions de l'article L. 118-1 du code électoral ;

4°) de déclarer Mme G... inéligible pour une durée de trois ans, en application de l'article L. 118-4 du code électoral ;

5°) de transmettre le dossier au procureur de la République compétent en application de l'article L. 1171 du code électoral ;

6°) subsidiairement d'annuler l'élection de M. F... ;

7°) de mettre à la charge de Mme G... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code électoral ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Thomas Pez-Lavergne, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Delamarre, Jéhannin, avocat de Mme I... ;

Considérant ce qui suit :

1. A l'issue des opérations électorales qui se sont déroulées le 15 mars 2020 à Baie-Mahault (Guadeloupe), commune de plus de 1 000 habitants, les 39 sièges de conseillers municipaux et 16 sièges de conseillers communautaires ont été pourvus. 31 sièges de conseillers municipaux et 13 sièges de conseillers communautaires ont été attribués à des candidats de la liste " L'alliance démocratique " conduite par Mme G..., qui a obtenu 57,30 % des suffrages exprimés, tandis que sept sièges de conseillers municipaux et trois sièges de conseillers communautaires ont été attribués à des candidats de la liste " Rassembler Baie-Mahault ", conduite par Mme I..., qui a obtenu 35,36 % des suffrages exprimés et un siège de conseiller municipal a été attribué à M. H..., tête de la liste " Convergence Baie-Mahautienne " qui a obtenu 5,15 % des suffrages exprimés. Mme I... fait appel du jugement du 24 novembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Guadeloupe a rejeté sa protestation.

2. A l'appui de sa protestation, par un mémoire complémentaire présenté avant l'expiration du délai de recours, Mme I... soutenait notamment que le dépouillement s'est déroulé dans des conditions irrégulières dans un bureau de vote. Le tribunal ne s'est pas prononcé sur ce grief. Par suite, le jugement attaqué doit être annulé.

3. Le délai imparti au tribunal administratif par l'article R. 120 du code électoral pour statuer sur la protestation de Mme I... est expiré. Dès lors, il y a lieu pour le Conseil d'État de statuer immédiatement sur cette protestation.

Sur les grief tirés d'irrégularités commises pendant la campagne électorale :

4. Aux termes du second alinéa de l'article L. 52-1 du code électoral : " A compter du premier jour du sixième mois précédant le mois au cours duquel il doit être procédé à des élections générales, aucune campagne de promotion publicitaire des réalisations ou de la gestion d'une collectivité ne peut être organisée sur le territoire des collectivités intéressées par le scrutin. Sans préjudice des dispositions du présent chapitre, cette interdiction ne s'applique pas à la présentation, par un candidat ou pour son compte, dans le cadre de l'organisation de sa campagne, du bilan de la gestion des mandats qu'il détient ou qu'il a détenus. Les dépenses afférentes sont soumises aux dispositions relatives au financement et au plafonnement des dépenses électorales contenues au chapitre V bis du présent titre ".

5. Il résulte de l'instruction qu'une cérémonie a été organisée par la commune de Baie-Mahault le 29 septembre 2019 pour l'inauguration d'un groupe scolaire dont la rénovation a bénéficié du financement de la région Guadeloupe et qu'y participait, à ce titre, M. B..., président du conseil régional et conseiller municipal de Baie-Mahault. Il n'est toutefois pas établi qu'hormis la mention publique de la future présence de M. B... sur sa liste, cette cérémonie, à laquelle la maire sortante participait dans le cadre de l'exercice normal de ses activités, ait donné lieu à des interventions relevant de la propagande électorale. Par suite, elle ne peut être regardée comme participant d'une campagne de promotion publicitaire organisée en méconnaissance des dispositions précitées de l'article L. 52-1 du code électoral.

6. La circonstance que la commission permanente du conseil régional de la Guadeloupe ait adopté, le 13 mars 2020, une délibération portant sur l'octroi, dans le cadre d'un dispositif existant d'aide régionale à l'amélioration de l'habitat, d'une aide à 131 bénéficiaires de diverses communes dont 18 habitants de Baie-Mahault, décision dont il n'est pas établi qu'elle ait fait l'objet d'une communication publique avant le scrutin, ne peut être regardée comme constitutive d'une manoeuvre de nature à altérer la sincérité du scrutin.

Sur les griefs relatifs au déroulement du vote :

7. Aux termes du troisième alinéa de l'article L. 62-1 du code électoral : " Le vote de chaque électeur est constaté par sa signature apposée à l'encre en face de son nom sur la liste d'émargement ". Aux termes de l'article R. 61 du même code : " Un assesseur est chargé de veiller à l'application des dispositions du dernier alinéa de l'article L. 62-1 et du second alinéa de l'article L. 64. Après la signature de la liste d'émargement, la carte électorale ou l'attestation d'inscription en tenant lieu est estampillée par un autre assesseur au moyen d'un timbre portant la date du scrutin. Les opérations visées au présent article sont réparties entre les assesseurs désignés par les candidats, des binômes de candidats ou listes en présence conformément aux dispositions de l'article R. 44. En cas de désaccord sur cette répartition, il est procédé par voie de tirage au sort à la désignation du ou des assesseurs chargés respectivement desdites opérations. Il est également procédé à un tirage au sort si aucun des assesseurs n'a été désigné par les candidats, des binômes de candidats ou listes en présence, ou si le nombre des assesseurs ainsi désignés est insuffisant ".

8. Mme I... soutient que dans certains bureaux de vote, les signatures des électeurs auraient été apposées irrégulièrement au moyen de stylos dont l'encre aurait été effaçable. Elle soutient également que les conditions de suivi des émargements des électeurs ou de contrôle du déroulement du scrutin dans certains bureaux de vote auraient été de nature à permettre d'en altérer la sincérité. Toutefois, ni les documents produits à l'appui de la protestation, ni les procès-verbaux des différents bureaux de votes ni les constatations de la commission de contrôle des opérations de vote ne permettent d'établir la réalité de ces allégations. Par suite, ce grief doit être écarté.

Sur les griefs relatifs au dépouillement et à la proclamation des résultats :

9. Aux termes de l'article L. 65 du code électoral : " Dès la clôture du scrutin, il est procédé au dénombrement des émargements. Ensuite, le dépouillement se déroule de la manière suivante : l'urne est ouverte et le nombre des enveloppes est vérifié. Si ce nombre est plus grand ou moindre que celui des émargements, il en est fait mention au procès-verbal. Le bureau désigne parmi les électeurs présents un certain nombre de scrutateurs sachant lire et écrire, lesquels se divisent par tables de quatre au moins. (...) ". Aux termes de l'article R. 66 du même code : " Une fois les opérations de lecture et de pointage terminées, les scrutateurs remettent au bureau les feuilles de pointage signées par eux, en même temps que les bulletins, enveloppes électorales et enveloppes de centaine dont la régularité leur a paru douteuse, ou a été contestée par des électeurs ou par les délégués des candidats ".

10. Il résulte de l'instruction que les feuilles de pointage matérialisant les opérations de dépouillement et de décompte de l'ensemble des suffrages du bureau n° 20 sont signées par quatre scrutateurs. Par suite, le grief tiré de ce que les opérations de dépouillement auraient méconnu les dispositions du code électoral citées au point 9 doit être écarté.

11. Aux termes de l'article R. 67 du code électoral : " Immédiatement après la fin du dépouillement, le procès-verbal des opérations électorales est rédigé par le secrétaire dans la salle de vote, en présence des électeurs. / Il est établi en deux exemplaires, signés de tous les membres du bureau. / Les délégués des candidats, des binômes de candidats ou des listes en présence sont obligatoirement invités à contresigner ces deux exemplaires. / Dès l'établissement du procès-verbal, le résultat est proclamé en public par le président du bureau de vote et affiché en toutes lettres par ses soins dans la salle de vote ". Aux termes de l'article R. 69 du même code : " Lorsque les électeurs de la commune sont répartis en plusieurs bureaux de vote, le dépouillement du scrutin est d'abord opéré par bureau et les procès-verbaux sont établis conformément aux dispositions de l'article R. 67. Le président et les membres de chaque bureau remettent ensuite les deux exemplaires du procès-verbal et les annexes au bureau centralisateur et chargé d'opérer le recensement général des votes en présence des présidents des autres bureaux. / Les résultats arrêtés par chaque bureau et les pièces annexes ne peuvent en aucun cas être modifiés. / Un procès-verbal récapitulatif est établi en double exemplaire en présence des électeurs. Il est signé par les membres du bureau centralisateur, les délégués des candidats, des binômes de candidats ou des listes dûment habilités auprès de celui-ci et les présidents des autres bureaux. / Le résultat est alors proclamé publiquement par le président du bureau centralisateur et affiché aussitôt par les soins du maire ".

12. Il n'est pas contesté que les résultats, dans chaque bureau de vote, ont été arrêtés et proclamés publiquement conformément aux dispositions précitées de l'article R. 67 du code électoral. Il n'est pas allégué et il ne résulte pas de l'instruction que le résultat issu du recensement général opéré par le bureau centralisateur et le décompte de chaque bureau figurant au procès-verbal du bureau centralisateur, signé par les membres de celui-ci dont le représentant de la liste de Mme I..., présentent des différences par rapport aux résultats arrêtés et proclamés dans chaque bureau. Par suite, les griefs tirés de ce que les résultats auraient pu être altérés du fait de manoeuvres ou de fraudes, soit lors de leur transmission jusqu'au bureau centralisateur, soit lors de leur compilation au sein de celui-ci ne peuvent qu'être écartés.

13. Il résulte de ce qui précède que Mme I... n'est pas fondée à demander l'annulation des opérations électorales qui se sont déroulées le 15 mars 2020 en vue de la désignation des conseillers communaux et communautaires de la commune de Baie-Mahault ni à soutenir qu'elles auraient été entachées de fraude.

14. Ses conclusions tendant à ce qu'il soit fait application des dispositions des articles L. 118-1, L. 118-4 ou L. 117-1 du code électoral ne peuvent, par voie de conséquence, qu'être rejetées.

Sur les conclusions subsidiaires tendant à constater l'inéligibilité de M. F... :

15. Aux termes de l'article L. 231 du code électoral : " (...) / Ne peuvent être élus conseillers municipaux dans les communes situées dans le ressort où ils exercent ou ont exercé leurs fonctions depuis moins de six mois : / (...) / 8° Les personnes exerçant, au sein du conseil régional (...) les fonctions de directeur général des services, directeur général adjoint des services, directeur des services, directeur adjoint des services ou chef de service, ainsi que les fonctions de directeur de cabinet, directeur adjoint de cabinet ou chef de cabinet en ayant reçu délégation de signature du président, du président de l'assemblée ou du président du conseil exécutif ".

16. Il résulte de l'instruction que M. F... a été intégré, à compter du 1er novembre 2019, dans les effectifs de la région Guadeloupe, dans le cadre d'emploi des adjoints-administratifs. Si Mme I... fait état d'informations relatives à une éventuelle nomination de celui-ci comme responsable des infrastructures sportives de la région, il ne résulte pas de l'instruction que celle-ci soit effectivement intervenue ni que M. F... occupe des fonctions pouvant être regardées comme correspondant à celles énumérées à l'article L. 231 du code électoral précité. Par suite, le grief tiré de son inéligibilité en application des dispositions de cet article doit être écarté.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de Mme G... qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il n'y a pas lieu, par ailleurs, de faire droit aux conclusions présentées par Mme G... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le jugement du 24 novembre 2020 du tribunal administratif de la Guadeloupe est annulé.

Article 2 : La protestation de Mme I... devant le tribunal administratif de la Guadeloupe et le surplus des conclusions de sa requête sont rejetées.

Article 3 : Les conclusions présentées par Mme G... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme D... I... épouse A..., à Mme C... G..., à M. J... H... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée à la commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques.


Synthèse
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 448138
Date de la décision : 16/07/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 16 jui. 2021, n° 448138
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Thomas Pez-Lavergne
Rapporteur public ?: M. Marc Pichon de Vendeuil
Avocat(s) : SCP DELAMARRE, JEHANNIN

Origine de la décision
Date de l'import : 20/07/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2021:448138.20210716
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