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11/05/2021 | FRANCE | N°450972

France | France, Conseil d'État, 8ème - 3ème chambres réunies, 11 mai 2021, 450972


Vu la procédure suivante :

M. et Mme A... B..., à l'appui de leur demande tendant à la restitution des cotisations supplémentaires de prélèvement social, de contribution additionnelle à ce prélèvement et de prélèvement de solidarité mises à leur charge à raison d'une plus-value de cession de valeurs mobilières réalisée en 2016 ainsi que des majorations correspondantes, ont produit un mémoire, enregistré le 18 novembre 2020 au greffe du tribunal administratif de Nancy, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lequel ils soul

vent une question prioritaire de constitutionnalité.

Par un jugement n° ...

Vu la procédure suivante :

M. et Mme A... B..., à l'appui de leur demande tendant à la restitution des cotisations supplémentaires de prélèvement social, de contribution additionnelle à ce prélèvement et de prélèvement de solidarité mises à leur charge à raison d'une plus-value de cession de valeurs mobilières réalisée en 2016 ainsi que des majorations correspondantes, ont produit un mémoire, enregistré le 18 novembre 2020 au greffe du tribunal administratif de Nancy, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lequel ils soulèvent une question prioritaire de constitutionnalité.

Par un jugement n° 2000079 du 18 mars 2021, enregistré le même jour au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le tribunal administratif de Nancy, avant qu'il soit statué sur la demande de M. et Mme B..., a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution du C du XIV de l'article 26 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2019.

Par la question prioritaire de constitutionnalité transmise, M. et Mme B... soutiennent que ces dispositions, applicables au litige, méconnaissent le principe d'égalité devant la loi fiscale, garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, le principe de sécurité juridique et l'objectif à valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi et, en ce qu'elles portent atteinte sans motif d'intérêt général suffisant à une situation légalement acquise et aux effets qui peuvent en être légitimement attendus, les dispositions de l'article 16 de cette même Déclaration.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- le règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code général des impôts ;

- le code de la sécurité sociale ;

- la loi n° 2018-1203 du 22 décembre 2018 ;

- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. François-René Burnod, auditeur,

- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteure publique ;

Considérant ce qui suit :

1. Il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'État a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. L'article 26 de la loi du 22 décembre 2018 de financement de la sécurité sociale pour 2019 a supprimé le prélèvement de solidarité prévu à l'article 1600-0 S du code général des impôts dont le produit était affecté au Fonds de solidarité vieillesse puis, s'agissant des impositions dont le fait générateur est intervenu à compter du 1er janvier 2018, au budget général de l'Etat, les prélèvements sociaux mentionnés aux articles L. 245-14 et L. 245-15 du code de la sécurité sociale dont le produit était affecté au Fonds de solidarité vieillesse et à la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, et la contribution additionnelle à ces prélèvements mentionnée à l'article L. 14-10-4 du code de l'action sociale et des familles dont le produit était affecté à la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie. L'article 26 de cette même loi a substitué à ces prélèvements, à compter du 1er janvier 2019, un prélèvement de solidarité prévu à l'article 235 ter du code général des impôts dont le produit est entièrement affecté au budget général de l'Etat. Ces dispositions s'appliquent, en vertu du A du IX de l'article 26 aux faits générateurs d'imposition intervenant à compter du 1er janvier 2019 et, pour ce qui concerne les prélèvements assis sur les revenus mentionnés à l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale, à compter de l'imposition des revenus de l'année 2018.

3. Le C du XIV de ce même article, dont M. et Mme B... soutiennent qu'il porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, dispose que : " (...) le produit des prélèvements prévus à l'article 1600-0 S du code général des impôts, aux articles L. 245-14 et L. 245-15 du code de la sécurité sociale et à l'article L. 14-10-4 du code de l'action sociale et des familles, dans leurs rédactions antérieures à la présente loi, ainsi que des contributions additionnelles prévues au III de l'article L. 262-24 du code de l'action sociale et des familles dans sa rédaction résultant de l'article 3 de la loi n° 2008-1249 du 1er décembre 2008 généralisant le revenu de solidarité active et réformant les politiques d'insertion est affecté dans les mêmes conditions que celles prévues pour les prélèvements mentionnés à l'article 235 ter du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la présente loi ".

4. Les dispositions contestées ont ainsi pour effet d'affecter au budget général de l'Etat le produit des cotisations dues au titre de l'ancien prélèvement de solidarité prévu à l'article 1600-0 S du code général des impôts, des prélèvements sociaux mentionnés aux articles L. 245-14 et L. 245-15 du code de la sécurité sociale et de la contribution additionnelle à ces prélèvements mentionnée à l'article L. 14-10-4 du code de l'action sociale et des familles recouvrées par l'administration des impôts à compter du 1er janvier 2019, à raison de faits générateurs antérieurs à cette même date.

5. En premier lieu, aux termes de l'article 16 de la Déclaration du 26 août 1789 : " Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ". Il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions. Ce faisant, il ne saurait toutefois priver de garanties légales des exigences constitutionnelles. En particulier, il ne saurait, sans motif d'intérêt général suffisant, ni porter atteinte aux situations légalement acquises, ni remettre en cause les effets qui pouvaient légitimement être attendus de situations nées sous l'empire de textes antérieurs.

6. M. et Mme B... soutiennent que les dispositions du C du XIV de l'article 26 de la loi du 22 décembre 2018 de financement de la sécurité sociale pour 2019, en modifiant les règles d'affectation du produit de prélèvements sociaux dont le fait générateur est déjà intervenu à la date de leur entrée en vigueur, auraient pour effet de porter atteinte à une situation légalement acquise et de remettre en cause les effets pouvant légitimement en être attendus par les contribuables, tenant à la faculté pour ces derniers de se prévaloir, en vue d'obtenir la décharge des prélèvements auxquels ils ont été assujettis, du principe d'unicité de législation sociale garanti par l'article 11 du règlement du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale.

7. Avant l'entrée en vigueur de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2019, les prélèvements sociaux mentionnés aux articles L. 245-14 et L. 245-15 du code de la sécurité sociale, la contribution additionnelle à ces prélèvements mentionnée à l'article L. 14-10-4 du code l'action sociale et des familles et, s'agissant des impositions dont le fait générateur est intervenu avant le 1er janvier 2018, le prélèvement de solidarité prévu à l'article 1600-0 S du code général des impôts, entraient dans le champ d'application du règlement précité du 29 avril 2004 du fait de l'affectation de leur produit respectif à des organismes servant des prestations entrant elles-mêmes dans le champ de ce règlement, de sorte que les dispositions de l'article 11 de ce règlement faisaient obstacle à ce qu'ils puissent être perçus auprès de contribuables affiliés à un régime de sécurité sociale d'un Etat membre de l'Union européenne autre que la France. Leur produit étant depuis le 1er janvier 2019, en vertu des dispositions ici contestées, intégralement affecté au budget général de l'Etat, ces prélèvements ne peuvent plus, lorsqu'ils ont été recouvrés par l'administration fiscale à compter de cette date, être regardés comme présentant un lien direct et pertinent avec les lois qui régissent les branches de la sécurité sociale au sens de ce même règlement.

8. Toutefois, les règles d'affectation du produit d'une imposition de toute nature, qui traduisent les choix opérés par le législateur pour le financement de l'action publique, que celui-ci a la faculté de modifier à tout moment, ne sauraient être regardées, pour le redevable légal de cette imposition, comme présentant le caractère d'une situation légalement acquise à la date de son fait générateur. Par suite, en se bornant à affecter au budget général de l'Etat le produit de prélèvements fiscaux recouvrés à compter du 1er janvier 2019, alors même que leur fait générateur serait antérieur à cette date, les dispositions du C du XIV de l'article 26 de la loi du 22 décembre 2018 de financement de la sécurité sociale pour 2019, dénuées de toute portée rétroactive, ne portent atteinte à aucune situation légalement acquise. Par ailleurs, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que la faculté de se prévaloir des règles d'affectation du produit d'une imposition en vue d'en obtenir la décharge constituerait un effet de la législation dont le maintien pourrait être légitimement attendu. Ces dispositions ne sont, par suite, pas susceptibles de porter atteinte à la garantie des droits résultant de l'article 16 de la Déclaration du 26 août 1789.

9. En deuxième lieu, M. et Mme B... soutiennent que ces mêmes dispositions porteraient atteinte au principe d'égalité devant la loi fiscale, garanti par l'article 6 de la Déclaration de 1789, en ce qu'elles institueraient une différence de traitement entre les résidents fiscaux français affiliés au régime obligatoire de sécurité sociale d'un Etat membre de l'Union européenne autre que la France réalisant une plus-value de cession de valeur mobilière au titre d'une année antérieure à 2018, selon que le recouvrement des prélèvements sociaux dus à raison de cette plus-value intervient avant ou après le 1er janvier 2019, seuls les premiers étant susceptibles de se prévaloir de l'article 11 du règlement du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 au soutien de leur contestation de ces prélèvements. Toutefois, une telle différence de traitement, qui résulte de la seule faculté dont dispose à tout moment le législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier les textes antérieurs, est insusceptible de porter atteinte au principe d'égalité devant la loi fiscale.

10. En troisième lieu, M. et Mme B... ne peuvent utilement soutenir que le législateur aurait méconnu le principe de sécurité juridique et l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi, qui ne sont pas au nombre des droits et libertés garantis par la Constitution au sens et pour l'application de l'article 23-1 de l'ordonnance portant loi organique du 7 novembre 1958.

11. Il résulte de tout ce qui précède que la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux.

12. Par suite, il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité transmise par le tribunal administratif de Nancy.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme A... B..., au ministre des solidarités et de la santé et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.


Synthèse
Formation : 8ème - 3ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 450972
Date de la décision : 11/05/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Autres

Publications
Proposition de citation : CE, 11 mai. 2021, n° 450972
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Charles-Emmanuel Airy
Rapporteur public ?: Mme Karin Ciavaldini

Origine de la décision
Date de l'import : 13/05/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2021:450972.20210511
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