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02/03/2021 | FRANCE | N°449514

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 02 mars 2021, 449514


Vu la procédure suivante :

M. B... A... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de la Polynésie française, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'ordonner à l'administration pénitentiaire de prendre des mesures mêmes transitoires afin de garantir aux personnes détenues au centre pénitentiaire de Faa'a Nuutania des conditions de détention dignes et humaines conformes aux exigences de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 22 de la

loi du 24 novembre 2009 pénitentiaire, à savoir :

- de rétablir l...

Vu la procédure suivante :

M. B... A... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de la Polynésie française, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'ordonner à l'administration pénitentiaire de prendre des mesures mêmes transitoires afin de garantir aux personnes détenues au centre pénitentiaire de Faa'a Nuutania des conditions de détention dignes et humaines conformes aux exigences de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 22 de la loi du 24 novembre 2009 pénitentiaire, à savoir :

- de rétablir les parloirs trois fois par semaine,

- de supprimer les parloirs en cage transparente, et de poser un plexiglas simple entre le détenu et ses visiteurs,

- de prendre des mesures même transitoires afin que les conditions minimales d'intimité puissent être offertes dans les parloirs aux personnes détenues qui reçoivent leurs familles,

- de rétablir la fourniture de linge, de nourriture et de livres au parloir,

- de rétablir les jours et horaires usuels pour les parloirs d'avocat,

- de rouvrir la salle de sport,

- de rétablir la cantine de miroirs, radios, timbres, jeux de société et postes de radio,

- de procéder à la dératisation de la cour de promenade et des coursives du bâtiment C,

- de couvrir d'un toit les toilettes de la cour de promenade du bâtiment C,

- de prendre toute mesure de nature à mettre fin à la remontée des eaux usées dans la cour de promenade du bâtiment C,

- d'installer des bancs et des abris dans la cour de promenade du bâtiment C,

- d'allouer aux personnes détenues un crédit supplémentaire leur permettant de joindre leurs familles au tarif de l'Office des postes et télécommunications de Polynésie française (OPT),

- de mettre en place un téléphone par cellule,

- d'assurer le fonctionnement permanent des téléphones,

- de cesser de distribuer des produits périmés aux personnes détenues,

- de les nourrir avec 5 fruits et légumes par jour, et de manière générale fournir une alimentation variée assurant les acides gras essentiels, les protéines, et vitamines nécessaires au bon fonctionnement de l'organisme,

- de réduire le temps d'encellulement journalier imposé aux personnes détenues qui déclarent la covid-19,

- de fournir du gel hydro-alcoolique pour les personnes détenues, à l'entrée des cours, à côté des six téléphones manipulés par les personnes détenues, ou des lingettes désinfectantes ou des gants,

- de procéder à une évaluation hebdomadaire de la propagation de la covid-l9,

- d'autoriser les personnes détenues qui le souhaitent à subir un test sérologique pour savoir s'ils ont été atteints par la covid-19.

Par une ordonnance n° 2100017 du 22 janvier 2021, le juge des référés du tribunal administratif de la Polynésie française a enjoint à l'administration pénitentiaire de procéder, dans les plus brefs délais, à l'installation de couverture de toilettes, d'abris et de bancs dans la cour de promenade du bâtiment C du centre pénitentiaire de Faa'a Nuutania et a rejeté le surplus des conclusions de la demande de M. A....

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 8 et 18 février 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler cette ordonnance en tant qu'elle a rejeté le surplus des conclusions de sa demande ;

2°) de faire droit au surplus des conclusions de sa demande de première instance ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que les conditions actuelles de détention durant la période d'épidémie exposent les personnes détenues à de multiples dangers objectifs et immédiats pour leur vie, pour leur intégrité physique et morale ainsi qu'à des atteintes massives à leur dignité ;

- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains ou dégradants et au droit au respect de la vie privée et familiale eu égard, d'une part, à l'insuffisance des mesures prises pour garantir aux personnes détenues des conditions matérielles de détention conformes à la dignité humaine et, d'autre part, aux mesures excessivement restrictives et manifestement disproportionnées affectant le quotidien des personnes détenues dans le contexte épidémique ;

- cette atteinte doit être appréciée au regard, d'une part, de l'absence de mesures prises par l'administration pour lutter contre les conditions indignes de détention plus d'un an après la condamnation le 30 janvier 2020 de la France par la Cour européenne des droits de l'homme pour conditions indignes de détention notamment au centre pénitentiaire de Faa'a Nuutania et, d'autre part, du fait que les circonstances sanitaires actuelles ne sauraient en aucun cas réduire à néant l'impératif de protection des libertés fondamentales ;

- les conditions matérielles de détention au centre pénitentiaire de Faa'a Nuutania sont indignes eu égard, en premier lieu, à l'insalubrité, d'une part, des cellules que se partagent plusieurs personnes détenues et, d'autre part, des cours de promenade du centre pénitentiaire et, en second lieu, aux défaillances relatives à la nutrition des personnes détenues qui mettent en danger leur santé ;

- les mesures contestées prises par l'administration pénitentiaire ne sont ni justifiées ni proportionnées dès lors, en premier lieu, que les conditions sanitaires actuelles à Faa'a Nuutania ne permettent plus de les justifier, en deuxième lieu, qu'elles ne sont pas réellement protectrices contre le risque de propagation du virus, en troisième lieu, qu'elles privent les personnes détenues de toute activité et de contacts humains, mettant gravement en danger leur santé mentale eu égard, d'une part, au temps d'encellulement excessif et, d'autre part, aux conditions et modalités des visites ne permettant pas un maintien des liens familiaux acceptable, en quatrième lieu, qu'elles posent une interdiction générale et absolue relative, d'une part, aux échanges de linge, de nourriture et de livres au parloir et, d'autre part, au cantinage de livres, de jeux de société, de miroirs, de radios, de timbres et de produits alimentaires, en dernier lieu, qu'elles ont pour conséquence l'arrêt complet des activités en détention ;

- l'ensemble des injonctions sollicitées entre dans l'office du juge du référé liberté dès lors qu'elles sont nécessaires pour faire cesser l'atteinte grave à plusieurs libertés fondamentales.

Par un mémoire en intervention, enregistré le 9 février 2021, la Section française de l'Observatoire international des prisons (OIP-SF) demande au juge des référés du Conseil d'Etat de faire droit aux conclusions de la requête présentée par M. A.... Elle soutient que son intervention est recevable et s'associe aux moyens de la requête.

Par un mémoire en défense, enregistré le 17 février 2021, le garde des sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite et qu'il n'est porté aucune atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées.

Des observations ont été présentées le 17 février 2021 par la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté.

Vu les nouveaux mémoires, enregistrés les 19, 23 et 24 février 2021, présentés par le garde des sceaux, ministre de la justice, qui maintient ses conclusions et ses moyens ;

Vu les nouveaux mémoires, enregistrés les 22, 23 et 24 février 2021, présentés par M. A..., qui maintient ses conclusions et ses moyens ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, et notamment son Préambule ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de procédure pénale ;

- la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 ;

- le décret n° 2010-1711 du 30 décembre 2010 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. A..., et d'autre part, le garde des sceaux, ministre de la justice ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 18 février 2021, à 14 heures 30 :

- Me Spinosi, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. A... ;

- les représentants du requérant ;

- le représentant de la Section française de l'Observatoire international des prisons ;

- les représentants du garde des sceaux, ministre de la justice ;

- la représentante de la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a différé la clôture de l'instruction au 24 février 2021 à 18 heures.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés statue par des mesures qui présentent un caractère provisoire. Il n'est pas saisi du principal et se prononce dans les meilleurs délais ". Aux termes de l'article L. 521-2 du même code : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ". Aux termes de l'article L. 521-4 du même code : " Saisi par toute personne intéressée, le juge des référés peut, à tout moment, au vu d'un élément nouveau, modifier les mesures qu'il avait ordonnées ou y mettre fin ".

2. M. A..., détenu au centre pénitentiaire de Faa'a Nuutania, a saisi le juge des référés du tribunal administratif de la Polynésie française, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une demande tendant à ce qu'il ordonne diverses mesures pour faire cesser des atteintes graves et manifestement illégales portées aux libertés fondamentales des personnes détenues dans ce centre. Par une ordonnance du 22 janvier 2021, le juge des référés du tribunal de la Polynésie française a partiellement fait droit à sa demande en enjoignant à l'administration pénitentiaire de procéder, dans les plus brefs délais, à l'installation de couverture de toilettes, d'abris et de bancs dans la cour de promenade du bâtiment C. M. A... relève appel de cette ordonnance en tant qu'elle a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.

Sur l'intervention :

3. La Section française de l'Observatoire international des prisons justifie d'un intérêt suffisant pour intervenir au soutien de la requête de M. A.... Son intervention est, par suite, recevable.

Sur le cadre juridique du litige :

4. Aux termes de l'article 22 de la loi du 24 novembre 2009 pénitentiaire : " L'administration pénitentiaire garantit à toute personne détenue le respect de sa dignité et de ses droits. L'exercice de ceux-ci ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles résultant des contraintes inhérentes à la détention, du maintien de la sécurité et du bon ordre des établissements, de la prévention de la récidive et de la protection de l'intérêt des victimes. Ces restrictions tiennent compte de l'âge, de l'état de santé, du handicap et de la personnalité de la personne détenue ".

5. Eu égard à la vulnérabilité des détenus et à leur situation d'entière dépendance vis-à-vis de l'administration, il appartient à celle-ci, et notamment aux directeurs des établissements pénitentiaires, en leur qualité de chefs de service, de prendre les mesures propres à protéger leur vie ainsi qu'à leur éviter tout traitement inhumain ou dégradant afin de garantir le respect effectif des exigences découlant des principes rappelés notamment par les articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Le droit au respect de la vie ainsi que le droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains ou dégradants constituent des libertés fondamentales au sens des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative. Lorsque la carence de l'autorité publique crée un danger caractérisé et imminent pour la vie des personnes ou les expose à être soumises, de manière caractérisée, à un traitement inhumain ou dégradant, portant ainsi une atteinte grave et manifestement illégale à ces libertés fondamentales, et que la situation permet de prendre utilement des mesures de sauvegarde dans un délai de quarante-huit heures, le juge des référés peut, au titre de la procédure particulière prévue par l'article L. 521-2, prescrire toutes les mesures de nature à faire cesser la situation résultant de cette carence.

Sur les pouvoirs que le juge des référés tient de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

6. Il résulte de la combinaison des dispositions des articles L. 511-1, L. 521-2 et L. 521-4 du code de justice administrative qu'il appartient au juge des référés, lorsqu'il est saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 précité et qu'il constate une atteinte grave et manifestement illégale portée par une personne morale de droit public à une liberté fondamentale, de prendre les mesures qui sont de nature à faire disparaître les effets de cette atteinte. Ces mesures doivent en principe présenter un caractère provisoire, sauf lorsqu'aucune mesure de cette nature n'est susceptible de sauvegarder l'exercice effectif de la liberté fondamentale à laquelle il est porté atteinte. Le juge des référés peut, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, ordonner à l'autorité compétente de prendre, à titre provisoire, une mesure d'organisation des services placés sous son autorité lorsqu'une telle mesure est nécessaire à la sauvegarde d'une liberté fondamentale. Toutefois, le juge des référés ne peut, au titre de la procédure particulière prévue par l'article L. 521-2 précité, qu'ordonner les mesures d'urgence qui lui apparaissent de nature à sauvegarder, dans un délai de quarante-huit heures, la liberté fondamentale à laquelle il est porté une atteinte grave et manifestement illégale. Eu égard à son office, il peut également, le cas échéant, décider de déterminer dans une décision ultérieure prise à brève échéance les mesures complémentaires qui s'imposent et qui peuvent également être très rapidement mises en oeuvre. Dans tous les cas, l'intervention du juge des référés dans les conditions d'urgence particulière prévues par l'article L. 521-2 précité est subordonnée au constat que la situation litigieuse permette de prendre utilement et à très bref délai les mesures de sauvegarde nécessaires. Compte tenu du cadre temporel dans lequel se prononce le juge des référés saisi sur le fondement de l'article L. 521-2, les mesures qu'il peut ordonner doivent s'apprécier en tenant compte des moyens dont dispose l'autorité administrative compétente et des mesures qu'elle a déjà prises.

7. Par ailleurs, s'il n'appartient pas au juge des référés de prononcer, de son propre mouvement, des mesures destinées à assurer l'exécution de celles qu'il a déjà ordonnées, il peut, d'office, en vertu de l'article L. 911-3 du code de justice administrative, assortir les injonctions qu'il prescrit d'une astreinte. Il incombe dans tous les cas aux différentes autorités administratives de prendre, dans les domaines de leurs compétences respectives, les mesures qu'implique le respect des décisions juridictionnelles. L'exécution d'une ordonnance prise par le juge des référés, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, peut être recherchée dans les conditions définies par le livre IX du même code, et en particulier les articles L. 911-4 et L. 911-5. La personne intéressée peut également demander au juge des référés, sur le fondement de l'article L. 521-4 du même code, d'assurer l'exécution des mesures ordonnées demeurées sans effet par de nouvelles injonctions et une astreinte.

Sur la demande en référé :

En ce qui concerne l'injonction tendant à la dératisation :

8. M. A... soutient que le bâtiment C du centre pénitentiaire de Faa'a Nuutania, dans lequel se trouve sa cellule, est infesté de rats, dans des conditions affectant la santé et la dignité des détenus, constituant par là même une atteinte grave et manifestement illégale au droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains ou dégradants, qui constitue une liberté fondamentale.

9. L'administration pénitentiaire justifie de la conclusion d'un contrat avec un prestataire de services chargé d'assurer une dératisation hebdomadaire sur des zones identifiées. Toutefois, il résulte de l'instruction que ces modalités d'action restent insuffisantes pour remédier de manière efficace à cette situation d'atteinte caractérisée à une liberté fondamentale. Il y a donc lieu d'enjoindre à l'administration de demander à son prestataire de modifier les méthodes qu'il utilise afin de renforcer l'efficacité de la lutte contre les rats dans la cour de promenade et les coursives du bâtiment C.

En ce qui concerne l'injonction tendant au curage des canalisations d'évacuation des eaux usées dans la cour de promenade du bâtiment C :

10. Le requérant soutient qu'une partie de la cour de promenade du bâtiment C se retrouve fréquemment couverte d'eaux usées, comprenant notamment des déjections humaines, ce qui porte atteinte à la dignité des personnes détenues dans ce bâtiment.

11. Il ressort des débats à l'audience et du supplément d'instruction auquel il a été procédé à son issue que la présence d'eaux souillées dans la cour de promenade résulte d'un problème structurel d'inclinaison des canalisations d'évacuation des eaux usées, dont l'administration ne conteste pas l'existence. Le ministre de la justice fait valoir qu'un curage de ces canalisations est réalisé tous les quinze jours par une entreprise spécialisée afin de prévenir les remontées d'égouts et qu'un constat d'huissier atteste l'absence d'odeur nauséabondes. Il résulte toutefois de l'instruction que la fréquence de ces opérations de curage n'apparaît pas suffisante eu égard à la persistance de ces remontées d'eaux souillées, qui constituent une atteinte grave et manifestement illégale au droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains ou dégradants. Dès lors, il y a lieu de prononcer une injonction tendant à ce que l'administration procède à un curage hebdomadaire des canalisations en cause.

En ce qui concerne l'injonction tendant à garantir l'accès aux parloirs dans de bonnes conditions :

12. M. A... invoque l'atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale qui résulterait de l'installation pour des raisons sanitaires liées à l'épidémie de covid-19 de cloisons en plexiglas destinées à séparer les parloirs en deux zones étanches, laquelle ferait obstacle à la communication avec les visiteurs.

13. Le ministre de la justice fait valoir, d'une part, que seule la moitié des parloirs est utilisée pour limiter le bruit ambiant et, d'autre part, que ni le vice-président du tribunal de première instance de Papeete, qui a visité les parloirs en mai 2020, ni l'huissier, qui a établi un constat le mardi 23 février 2021, n'ont constaté de difficulté de communication au sein des parloirs du fait des parois en plexiglas. Toutefois, il ne conteste pas que ces deux constats ont été effectués alors qu'aucune famille n'était présente dans les parloirs et qu'il n'y avait donc pas de bruit ambiant élevé. Ainsi, il résulte de l'instruction que le caractère étanche des parois amovibles en plexiglas qui séparent les détenus de leurs visiteurs sur la totalité de la hauteur et de la longueur de chaque parloir rend excessivement difficile la communication entre les détenus et leurs familles dans un environnement bruyant, et porte ainsi une atteinte grave et manifestement illégale au droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains ou dégradants. Par suite, il y a lieu d'enjoindre à l'administration de modifier l'aménagement des parloirs afin de permettre une qualité de communication correcte entre les détenus et leurs visiteurs.

En ce qui concerne les autres demandes d'injonction :

14. En premier lieu, à l'appui de sa demande d'injonction tendant à ce qu'il soit prescrit à l'administration de faire procéder à l'installation de séparations hermétiques entre les sanitaires de chaque cellule et le reste de la pièce, le requérant fait valoir que la situation existante ne garantit pas un degré d'intimité suffisant aux détenus.

15. Lorsqu'une cellule est occupée par plus d'une personne, l'absence de séparation des sanitaires par une cloison ou des rideaux permettant de protéger suffisamment l'intimité est de nature tant à porter atteinte à la vie privée des détenus, dans une mesure excédant les restrictions inhérentes à la détention, qu'à les exposer à un traitement inhumain ou dégradant, portant une atteinte grave à ces deux libertés fondamentales. Il résulte toutefois de l'instruction que la séparation actuelle entre les sanitaires et le reste de la cellule, par une cloison et un rideau opaque fourni par l'administration, permet de garantir une intimité suffisante des personnes détenues. Il n'y a donc pas lieu de prononcer une injonction sur ce point.

16. En deuxième lieu, si M. A... soutient que l'absence d'eau chaude affecte les conditions de vie des personnes détenues, l'administration fait valoir qu'il n'existe pas de local permettant la production et la distribution d'eau chaude dans les cellules et que cette contrainte technique ne permet pas la réalisation de travaux susceptibles d'être mis en oeuvre efficacement à bref délai. Il s'ensuit que cette demande porte sur une mesure structurelle et n'est ainsi pas au nombre des mesures d'urgence que la situation permet de prendre utilement dans le cadre des pouvoirs que le juge des référés tient de l'article L. 521-2 du code de justice administrative.

17. En troisième lieu, le requérant demande qu'il soit enjoint à l'administration de faire cesser la distribution de produits périmés ou non frais, de fournir des repas variés et équilibrés, de réduire le temps d'encellulement des personnes détenues, d'allouer aux détenus un crédit supplémentaire leur permettant de joindre leurs familles et d'assurer le fonctionnement permanent des téléphones. Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction que l'administration pénitentiaire porterait une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale sur ces différents points. Il suit de là que ces conclusions ne peuvent qu'être rejetées.

18. En quatrième lieu, il résulte de l'instruction que, compte tenu de l'amélioration de la situation sanitaire, l'administration pénitentiaire a adapté les mesures mises en place pour limiter la propagation du virus covid-19 au centre de détention de Faa'a Nuutania. Les parloirs pour les avocats et les familles ont ainsi été rétablis dans les conditions habituelles, sous réserve de la fermeture de la moitié des boxes ainsi qu'il a été dit au point 13. Les dépôts de linges et d'objets autorisés sont désormais possibles à l'occasion des parloirs trois fois par semaine. Les personnes détenues peuvent par ailleurs accéder, depuis le 22 février 2021, à la salle de sport dans le strict respect des consignes sanitaires. Elles ont également la possibilité de demander tout objet autorisé par l'intermédiaire des cantines ordinaires ou exceptionnelles selon la nature de l'article. Enfin, l'établissement est équipé de plusieurs distributeurs de gel hydro-alcoolique en libre accès pour les personnes détenues. Il s'ensuit que les demandes d'injonction portant sur ces différents points ne peuvent qu'être rejetées.

19. En dernier lieu, il ne résulte pas de l'instruction que la durée d'encellulement quotidienne imposée aux détenus qui déclarent la maladie covid-19, ce qui n'est au demeurant pas le cas du requérant, serait excessive. Par ailleurs, l'absence de possibilité pour M. A... de subir un test sérologique comme il le souhaite et l'absence d'information hebdomadaire des personnes détenues sur la propagation de l'épidémie de covid-l9 ne constituent pas des atteinte graves et manifestement illégales à une liberté fondamentale. Les demandes d'injonction portant sur ces points doivent donc également être rejetées.

20. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

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Article 1er : L'intervention de la Section française de l'Observatoire des prisons est admise.

Article 2 : Il est enjoint à l'administration pénitentiaire, dans les plus brefs délais, de :

- demander à son prestataire de modifier les méthodes qu'il utilise afin de renforcer l'efficacité de la lutte contre les rats dans la cour de promenade et les coursives du bâtiment C du centre pénitentiaire de Faa'a Nuutania ;

- procéder à un curage toutes les semaines des canalisations d'évacuation des eaux usées situées dans la cour de promenade du bâtiment C ;

- modifier l'aménagement des parloirs afin de permettre une qualité de communication correcte entre les détenus et leurs visiteurs.

Article 3 : Le surplus des conclusions présentées par M. A... est rejeté.

Article 4 : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de la Polynésie française du 22 janvier 2021 est réformée en ce qu'elle a de contraire à la présente ordonnance.

Article 5 : L'Etat versera à M. A... la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : La présente ordonnance sera notifiée à M. B... A..., à la Section française de l'Observatoire international des prisons et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Copie en sera adressée à la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté.


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 449514
Date de la décision : 02/03/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 02 mar. 2021, n° 449514
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP SPINOSI

Origine de la décision
Date de l'import : 16/03/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2021:449514.20210302
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