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26/02/2021 | FRANCE | N°432371

France | France, Conseil d'État, 10ème chambre, 26 février 2021, 432371


Vu la procédure suivante :

Par une requête, deux mémoires complémentaires et deux mémoires en réplique, enregistrés les 8 juillet 2019, 9 juillet 2019, 19 décembre 2019, 17 janvier 2020 et 27 janvier 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B... A... C... demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir les articles R. 211-16 et suivants, R. 311-2 et D. 211-19 et suivants du code de la sécurité intérieure ainsi que l'instruction du ministre de l'intérieur du 1er août 2017 autorisant l'usage du lanceur de balles de défense pour les opérations de

maintien de l'ordre.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, deux mémoires complémentaires et deux mémoires en réplique, enregistrés les 8 juillet 2019, 9 juillet 2019, 19 décembre 2019, 17 janvier 2020 et 27 janvier 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B... A... C... demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir les articles R. 211-16 et suivants, R. 311-2 et D. 211-19 et suivants du code de la sécurité intérieure ainsi que l'instruction du ministre de l'intérieur du 1er août 2017 autorisant l'usage du lanceur de balles de défense pour les opérations de maintien de l'ordre.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- le code de la sécurité intérieure ;

- le décret n° 2013-1113 du 4 décembre 2013 ;

- le décret n° 2014-1253 du 27 octobre 2014 ;

- le décret n° 2018-1195 du 20 décembre 2018 ;

- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Réda Wadjinny-Green, auditeur ;

- les conclusions de M. Alexandre Lallet, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier que les conclusions présentées par Mme A... C... devant le Conseil d'Etat doivent être regardées comme tendant à l'annulation pour excès de pouvoir des articles R. 211-16, R. 311-2, D. 211-19 et D. 211-20 du code de la sécurité intérieure et de l'instruction des 27 juillet et 2 août 2017 du ministre de l'intérieur relative à l'usage et l'emploi des armes de force intermédiaire dans les services de la police nationale et les unités de la gendarmerie nationale, dont une copie a été communiquée par le ministre de l'intérieur.

Sur les conclusions à fins d'annulation des articles du code de la sécurité intérieure :

2. Le premier alinéa de l'article R. 421-1 du code de justice administrative dispose que : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée ".

3. Les articles R. 211-16, D. 211-19 et D. 211-20 du code de la sécurité intérieure sont issus du décret du 4 décembre 2013, modifié par l'article 9 du décret du 27 octobre 2014, respectivement publiés les 6 décembre 2013 et 29 octobre 2014 au Journal officiel de la République française. Le délai de recours contre ces décrets expirait, en application des dispositions précitées, au terme des deux mois suivant la publication de ces décrets au Journal officiel de la République française. La demande présentée par Mme A... C... tendant à l'annulation de ces articles a été enregistrée le 8 juillet 2019. Il s'ensuit que les conclusions de la requête tendant à l'annulation de ces articles sont tardives et, dès lors, irrecevables.

4. L'article R. 311-2 du code de la sécurité intérieure est issu du décret du 27 octobre 2014, modifié en dernier lieu par l'article 26 du décret du 20 décembre 2018, respectivement publiés les 29 octobre 2014 et 22 décembre 2018 au Journal officiel de la République française. Le délai de recours contre ces décrets expirait, en application des dispositions précitées, au terme des deux mois suivant la publication de ces décrets au Journal officiel de la République française. La demande présentée par Mme A... C... tendant à l'annulation de cet article a été enregistrée le 19 décembre 2019. Il s'ensuit que les conclusions de la requête tendant à l'annulation de cet article sont tardives et, dès lors, irrecevables.

Sur les conclusions à fins d'annulation de l'instruction des 27 juillet et 2 août 2017 :

5. Aux termes des premier, sixième et septième alinéas de l'article L. 211-9 du code de la sécurité intérieure, un attroupement, au sens de l'article 431-3 du code pénal, c'estàdire tout rassemblement de personnes sur la voie publique ou dans un lieu public susceptible de troubler l'ordre public, " (...) peut être dissipé par la force publique après deux sommations de se disperser demeurées sans effet (...) / Toutefois, les représentants de la force publique appelés en vue de dissiper un attroupement peuvent faire directement usage de la force si des violences ou voies de fait sont exercées contre eux ou s'ils ne peuvent défendre autrement le terrain qu'ils occupent. / Les modalités d'application des alinéas précédents sont précisées par un décret en Conseil d'Etat (...) ". Aux termes de l'article R. 211-13 du même code : " L'emploi de la force par les représentants de la force publique n'est possible que si les circonstances le rendent absolument nécessaire au maintien de l'ordre public dans les conditions définies par l'article L. 211-9. La force déployée doit être proportionnée au trouble à faire cesser et son emploi doit prendre fin lorsque celui-ci a cessé ".

6. Par l'instruction attaquée des 27 juillet et 2 août 2017, le ministre de l'intérieur a rappelé aux services de la police nationale et aux unités de la gendarmerie nationale les conditions dans lesquelles devaient être utilisées les armes à feu dites " de force intermédiaire ". L'instruction indique que l'emploi de telles armes permet une réponse graduée et proportionnée à une situation de danger lorsque l'emploi légitime de la force s'avère nécessaire. Au nombre de ces armes figurent les lanceurs de balles de défense de calibre 40 mm, dont les conditions d'emploi sont indiquées à l'annexe II de l'instruction.

7. Si l'article L. 312-2 du code des relations entre le public et l'administration dispose que : " Font l'objet d'une publication les instructions, les circulaires ainsi que les notes et réponses ministérielles qui comportent une interprétation du droit positif ou une description des procédures administratives. Les instructions et circulaires sont réputées abrogées si elles n'ont pas été publiées, dans des conditions et selon des modalités fixées par décret. / Un décret en Conseil d'Etat pris après avis de la commission mentionnée au titre IV précise les autres modalités d'application du présent article " et l'article 7 du décret du 28 novembre 2018 relatif aux conditions de publication des instructions et circulaires prévoit que : " les circulaires et instructions signées avant cette date sont réputées abrogées au 1er mai 2019 si elles n'ont pas, à cette dernière date, été publiées sur les supports prévus par les dispositions de la section 2 du chapitre II du titre Ier du livre III du code des relations entre le public et l'administration ", l'instruction des 27 juillet et 2 août 2017 par laquelle le ministre de l'intérieur, en sa qualité de chef de service, a défini à destination des seuls services et unités chargés du maintien de l'ordre les conditions d'utilisation des armes de force intermédiaire, ne comporte pas de description des procédures administratives ni d'interprétation du droit positif au sens et pour l'application de ces dispositions. Elle ne peut donc être regardée comme abrogée en raison de son absence de publication sur un des supports légalement prévus à cette fin.

8. En premier lieu, aux termes de l'article R. 211-18 du code de la sécurité intérieure : " Sans préjudice des articles 122-5 et 122-7 du code pénal, peuvent être utilisées dans les deux cas prévus au sixième alinéa de l'article L. 211-9 du présent code (...) les armes à feu des catégories A, B et C adaptées au maintien de l'ordre correspondant aux conditions de ce sixième alinéa, entrant dans le champ d'application de l'article R. 311-2 et autorisées par décret ". Il résulte des dispositions de l'article R. 211-19 du même code que l'arme à feu, non létale, dénommée " Lanceur de balles de défense de 40 mm ", qui constitue une arme de catégorie A2 visée par le 4° de l'article R. 311-2 du même code, ainsi que ses munitions, qui sont de catégorie B, sont susceptibles d'être utilisées par les représentants de la force publique pour le maintien de l'ordre public en application de l'article R. 211-18, c'est-à-dire uniquement, outre les cas de légitime défense et d'état de nécessité, lorsque, dans le cadre de la dissipation d'un attroupement qu'implique la sauvegarde de l'ordre public, des violences ou voies de fait sont exercées contre les représentants de la force publique ou ces derniers sont dans l'impossibilité de défendre autrement le terrain qu'ils occupent. Les conditions d'utilisation de cette arme de catégorie A2 sont strictement encadrées, de manière à assurer, conformément à l'article R. 211-13 du code de la sécurité intérieure cité au point 5, que son usage est absolument nécessaire au maintien de l'ordre public compte tenu des circonstances et que son emploi est strictement proportionné au trouble à faire cesser et prend fin lorsque celui-ci a cessé. Ces conditions d'utilisation s'imposent à l'ensemble des forces de l'ordre et leur méconnaissance est de nature à engager leur responsabilité et à fonder, le cas échéant, des poursuites pénales. Ainsi, le moyen tiré de ce que les lanceurs de balles de défense de 40 mm ne seraient pas classés dans une catégorie d'armes de défense autorisées, qui manque en fait, comme le moyen tiré de ce que l'instruction attaquée méconnaîtrait par voie de conséquence les " principes et préconisations " relatifs au recours à des armes dans le cadre d'opérations de maintien de l'ordre, au demeurant non assorti de précisions sur la teneur de tels " principes et préconisations ", ne peuvent qu'être écartés.

9. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier et notamment de l'annexe II de l'instruction attaquée que les conditions d'utilisation du lanceur de balles de défense prescrites par cette instruction visent, en encadrant strictement l'usage de cette arme, à ce que le cadre législatif et réglementaire rappelé au point 5 soit mis en oeuvre dans le respect des exigences d'absolue nécessité et de proportionnalité. En imposant des précautions d'emploi et des conditions strictes de contrôle et de formation, cette instruction contribue à diminuer le risque d'un mauvais usage de cette arme. Il y est notamment indiqué que le tireur doit, dans la mesure du possible, s'assurer que les tiers éventuellement présents se trouvent hors d'atteinte, afin de limiter les risques de dommages collatéraux. Le tireur doit aussi, lorsque les circonstances le permettent, éviter de recourir au lanceur de balles de défense quand la personne présente un état de vulnérabilité manifeste et tenir compte, autant que possible, des risques liés à la chute de la personne visée après l'impact reçu. Enfin, l'instruction énonce que la tête ne doit jamais être visée et que le tireur doit privilégier le torse de préférence aux membres supérieurs et inférieurs. Il s'ensuit que le moyen tiré de ce que cette instruction méconnaîtrait le droit à la vie et à la protection de l'intégrité physique ne peut qu'être écarté.

10. En dernier lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'usage des armes mentionnées dans l'instruction attaquée pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement au sens de l'article 5 de la Charte de l'environnement à laquelle le Préambule de la Constitution fait référence. Par suite, la requérante ne peut utilement se prévaloir de la méconnaissance de ces dispositions constitutionnelles.

11. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l'intérieur, que la requête de Mme A... C... doit être rejetée.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de Mme A... C... est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme B... A... C... et au ministre de l'intérieur.


Synthèse
Formation : 10ème chambre
Numéro d'arrêt : 432371
Date de la décision : 26/02/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 26 fév. 2021, n° 432371
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Réda Wadjinny-Green
Rapporteur public ?: M. Alexandre Lallet

Origine de la décision
Date de l'import : 16/03/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2021:432371.20210226
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