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12/02/2021 | FRANCE | N°448997

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 12 février 2021, 448997


Vu la procédure suivante :

M. B... A... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Limoges, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administratif, en premier lieu, d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice, de mettre fin sans délai à sa mesure d'isolement, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la notification de l'ordonnance, en deuxième lieu, de lui enjoindre de le transférer dans un autre établissement pénitentiaire, en troisième lieu, de lui enjoindre de diligenter une inspection de ses servic

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Vu la procédure suivante :

M. B... A... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Limoges, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administratif, en premier lieu, d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice, de mettre fin sans délai à sa mesure d'isolement, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la notification de l'ordonnance, en deuxième lieu, de lui enjoindre de le transférer dans un autre établissement pénitentiaire, en troisième lieu, de lui enjoindre de diligenter une inspection de ses services auprès de la maison centrale de Saint-Maur pour déterminer les conditions dans lesquelles il est détenu, en quatrième lieu, de lui enjoindre de donner toute instruction à la direction de la maison centrale de Saint-Maur pour s'assurer auprès de ses personnels et par tous moyens que cesse l'ensemble des atteintes à la vie dont il est l'objet, en cinquième lieu, d'ordonner la désignation d'un expert judiciaire psychiatre aux fins d'évaluer son état de santé psychologique et psychiatrique, d'indiquer toutes mesures thérapeutiques nécessitées par son état et de fournir toutes précisions utiles sur sa santé mentale ainsi que son degré de responsabilité, en sixième lieu, de décider, en application de l'article R. 522-13 du code de justice administrative, que l'ordonnance à intervenir sera exécutoire aussitôt qu'elle aura été rendue et, en dernier lieu, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Par une ordonnance n° 2100043 du 13 janvier 2021, le juge des référés du tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande.

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés le 22 janvier et le 1er février 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de faire droit à ses conclusions de première instance ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que, d'une part, celle-ci doit être présumée dans les cas d'une mise à l'isolement de plus de 24 mois, dont les effets sur l'état physique et psychique sont susceptibles de revêtir un caractère irréversible et, d'autre part, le juge des référés du Conseil d'Etat l'avait considérée comme satisfaite dans sa précédente ordonnance n° 438039 du 11 février 2020 ;

- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit de ne pas être soumis à la torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants et à la dignité humaine ;

- la mesure de prolongation de placement à l'isolement contestée est entachée d'illégalité dès lors que, d'une part, elle se fonde sur plusieurs faits reprochés au requérant qui sont soit anciens soit matériellement inexacts et, d'autre part, elle a été mise en oeuvre sans procédure contradictoire ;

- les conditions de détention du requérant au sein de la maison centrale de Saint-Maur, d'une part, portent atteinte à sa dignité et constituent des traitements dégradants de sorte que sa vie et sa sécurité ne sont plus garanties et, d'autre part, justifient que soit ordonnées les mesures demandées.

Par un mémoire en défense et un mémoire complémentaire, enregistrés le 1er et le 3 février 2021, le garde des sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite, et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de procédure pénale ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. A... et, d'autre part, le garde des sceaux, ministre de la justice ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 4 février 2021, à 11h00 :

- Me Gury, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. A... ;

- le représentant de M. A... ;

- les représentants du garde des sceaux, ministre de la justice ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a clôt l'instruction.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., écroué depuis le 28 août 1997 et actuellement incarcéré à la maison centrale de Saint-Maur (Indre), a été placé à l'isolement de manière discontinue depuis le 6 mars 2018. Par une décision du 16 décembre 2020, le garde des sceaux, ministre de la justice a prolongé son placement à l'isolement jusqu'au 30 mars 2021. M. A... a saisi, le 11 janvier 2021, le juge des référés du tribunal administratif de Limoges, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une demande tendant à ce qu'il soit enjoint au garde des sceaux, ministre de la justice, d'une part, de mettre fin à cette mesure de mise à l'isolement, d'autre part de le transférer dans un autre établissement, de diligenter une inspection sur ses conditions de détention, de s'assurer qu'il ne subisse plus de violences de la part du personnel pénitentiaire et à ce que soit ordonnée une expertise psychiatrique. Il relève appel de l'ordonnance du 13 janvier 2021 par laquelle le juge des référés a rejeté ces demandes.

2. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. " Il appartient au requérant qui saisit le juge des référés sur le fondement de ces dispositions de justifier de circonstances particulières caractérisant la nécessité pour lui de bénéficier à très bref délai d'une mesure de sauvegarde d'une liberté fondamentale susceptible d'être prise utilement par le juge des référés dans un délai de quarante-huit heures.

Sur les conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint au ministre de la justice de mettre fin à son placement à l'isolement :

3. L'article 726-1 du code de procédure pénale dispose que : " Toute personne détenue, sauf si elle est mineure, peut être placée par l'autorité administrative, pour une durée maximale de trois mois, à l'isolement par mesure de protection ou de sécurité soit à sa demande, soit d'office. Cette mesure ne peut être renouvelée pour la même durée qu'après un débat contradictoire, au cours duquel la personne concernée, qui peut être assistée de son avocat, présente ses observations orales ou écrites. L'isolement ne peut être prolongé au-delà d'un an qu'après avis de l'autorité judiciaire. / Le placement à l'isolement n'affecte pas l'exercice des droits visés à l'article 22 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire, sous réserve des aménagements qu'impose la sécurité. / Lorsqu'une personne détenue est placée à l'isolement, elle peut saisir le juge des référés en application de l'article L. 521-2 du code de justice administrative [...] ". L'article R. 57-7-68 de ce code dispose que " Lorsque la personne détenue est à l'isolement depuis un an à compter de la décision initiale, le ministre de la justice peut prolonger l'isolement pour une durée maximale de trois mois renouvelable. / La décision est prise sur rapport motivé du directeur interrégional saisi par le chef d'établissement selon les modalités de l'article R. 57-7-64. / L'isolement ne peut être prolongé au-delà de deux ans sauf, à titre exceptionnel, si le placement à l'isolement constitue l'unique moyen d'assurer la sécurité des personnes ou de l'établissement. / Dans ce cas, la décision de prolongation doit être spécialement motivée. ". En vertu des articles R. 57-7-64, R. 57-7-73 et R. 57-7-78 de ce code, la prolongation à l'initiative de l'administration d'une mesure d'isolement ne peut être décidée sans avoir été précédée, outre de la procédure contradictoire prévue par les dispositions précitées, de l'avis écrit du médecin intervenant à l'établissement et, au-delà d'un an, sans qu'ait été sollicité, s'il s'agit d'une personne condamnée, l'avis du juge de l'application des peines ou, s'il s'agit d'une personne prévenue, du magistrat saisi du dossier de la procédure, auxquels la personne détenue peut faire parvenir toutes observations. Le premier alinéa de l'article R. 57-7-73 du même code prévoit que : " Tant pour la décision initiale que pour les décisions ultérieures de prolongation, il est tenu compte de la personnalité de la personne détenue, de sa dangerosité ou de sa vulnérabilité particulière, et de son état de santé. " et son article R. 57-7-76 que : " Il peut être mis fin à la mesure d'isolement à tout moment par l'autorité qui a pris la mesure ou qui l'a prolongée, d'office ou à la demande de la personne détenue. "

4. Eu égard à la nature d'une mesure de placement d'office à l'isolement et à l'importance de ses effets sur la situation du détenu qu'elle concerne, l'administration pénitentiaire doit veiller, à tout moment de son exécution, à ce qu'elle n'ait pas pour effet, eu égard notamment à sa durée et à l'état de santé physique et psychique de l'intéressé, de créer un danger pour sa vie ou de l'exposer à être soumis à un traitement inhumain ou dégradant. Lorsque la carence de l'autorité publique crée un danger caractérisé et imminent pour la vie des personnes ou les expose à être soumises, de manière caractérisée, à un traitement inhumain ou dégradant, portant ainsi une atteinte grave et manifestement illégale à ces libertés fondamentales, et lorsque la situation permet de prendre utilement des mesures de sauvegarde dans un délai de quarante-huit heures, le juge des référés peut, au titre de la procédure particulière prévue par l'article L. 521-2 précité, prescrire toutes les mesures de nature à faire cesser la situation résultant de cette carence.

5. D'une part, il résulte de l'instruction que M. A..., qui a fait l'objet de plusieurs condamnations pour des faits d'escroquerie, vols, faux documents, dont, le 10 avril 2018, à une peine de dix ans d'emprisonnement pour des faits d'escroqueries commis depuis sa cellule, au moyen de téléphones portables, sur cinquante-deux personnes âgées, a été à plusieurs reprises, au cours des mois de septembre et octobre 2020, trouvé en possession d'un téléphone portable et de plusieurs cartes SIM. Encore plus récemment, au mois de janvier, l'administration pénitentiaire a établi qu'il disposait d'un moyen interdit d'accéder à internet dans sa cellule et a relevé qu'il avait pu effectuer depuis le téléphone fixe de sa cellule, malgré l'interdiction du juge judiciaire d'entrer en contact avec elle, plus de quatre-vingt appels avec sa conjointe. Ces faits récents traduisent la permanence d'un comportement de M. A... incompatible avec les règles de la détention en régime ordinaire et qui présente pour la sécurité de l'établissement et de personnes, y compris extérieures à celui-ci, un risque justifiant qu'il soit placé à l'isolement. Si M. A..., qui n'a manifesté aucune intention de vouloir se libérer de ce qu'il qualifie d'addiction au téléphone, soutient que ces faits montrent que les placements à l'isolement dont il fait l'objet depuis plus de deux ans, qui visent à l'empêcher de se procurer et d'utiliser de manière frauduleuse et parfois délictueuse du matériel de télécommunication interdit, ne permettent pas d'atteindre leur but, lequel ne pourrait l'être selon lui que par une incarcération dans un établissement équipé de brouilleurs de communications, cette circonstance n'est pas de nature, par elle-même, à établir que son placement à l'isolement ne serait pas l'unique moyen d'assurer la sécurité des personnes et de l'établissement où il est actuellement incarcéré.

6. D'autre part, si M. A... soutient que la durée cumulée de son maintien à l'isolement l'expose à des risques pour sa santé psychique, il n'apporte aucun élément circonstancié de nature à établir une dégradation de son état de santé, que le médecin de l'établissement a estimé compatible avec la prolongation de son placement à l'isolement. Il résulte également de l'instruction et des échanges au cours de l'audience publique qu'il fait l'objet d'un suivi médical psychologique très régulier.

7. Eu égard à l'ensemble de ces circonstances et à l'échéance de la mesure litigieuse au 30 mars 2021, avant laquelle il appartiendra à l'administration pénitentiaire de rechercher si une amélioration du comportement de l'intéressé est de nature à justifier qu'il soit mis un terme à son placement à l'isolement, la prolongation de l'isolement de l'intéressé ne caractérise pas, en l'état de l'instruction et à la date de la présente ordonnance, une atteinte grave et manifestement illégale à ses libertés fondamentales, notamment à son droit à ne pas être soumis à un traitement inhumain ou dégradant. N'est en tout état de cause pas davantage susceptible de porter atteinte à ce droit la circonstance qu'il n'aurait pas disposé de suffisamment de temps pour préparer sa défense en vue de l'audience préalable à la prolongation de son placement à l'isolement, dès lors qu'il ressort de ses propres écritures qu'il a disposé d'un délai de deux jours.

Sur les autres demandes de M. A... :

8. En premier lieu, il résulte de l'instruction et des échanges qui ont eu lieu à l'audience que M. A... n'a fait l'objet de fouilles intégrales ciblées qu'au retour d'extractions médicales et de visites au parloir. Ces fouilles, justifiées par ses antécédents judiciaires et son profil pénal, n'apparaissent disproportionnées ni par leur fréquence ni dans leurs modalités. M. A... n'établit par ailleurs pas davantage qu'en première instance que les examens médicaux dont il a fait l'objet auraient eu d'autres fins que de s'assurer de son état de santé.

9. En second lieu, M. A... n'apporte aucun élément de nature à démontrer qu'il serait victime de violences de la part du personnel pénitentiaire qui rendraient nécessaire d'enjoindre en urgence au ministre de la justice de décider son transfert dans un autre établissement, d'ordonner une inspection sur ses conditions de détention ou de faire cesser de tels traitements à son égard.

10. En troisième lieu, il ne résulte pas de l'instruction que M. A... dont, ainsi qu'il a été dit, l'état de santé psychique a été jugé compatible avec ses conditions de détention et qui fait l'objet d'un suivi médical régulier, devrait faire l'objet en urgence d'une expertise psychiatrique.

11. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Limoges a rejeté ses demandes. Sa requête doit, par suite, être rejetée, y compris ses conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. B... A... et au garde des sceaux, ministre de la justice.


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 448997
Date de la décision : 12/02/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 12 fév. 2021, n° 448997
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP BARADUC, DUHAMEL, RAMEIX

Origine de la décision
Date de l'import : 19/02/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2021:448997.20210212
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