Vu la procédure suivante :
Par deux mémoires, enregistrés le 25 novembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... A... demande au Conseil d'Etat, à l'appui de sa requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du décret n° 2020-1257 du 14 octobre 2020 déclarant l'état d'urgence sanitaire, du décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire et du décret n° 2020-1331 du 2 novembre 2020 modifiant le décret du 29 octobre 2020, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des articles L. 3131-3 et L. 3131-12 à L. 3131-20 du code de la santé publique et de l'article 7 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020, combinés aux articles L. 211-3 et L. 213-8 du code de l'organisation judiciaire.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code de l'organisation judiciaire ;
- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;
- le code de la santé publique ;
- la décision du Conseil constitutionnel n° 2020-800 DC du 11 mai 2020 ;
- la décision du Conseil constitutionnel n° 2020-846/847/848 QPC du 26 juin 2020 ;
- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 15 janvier 2021, présentée par M. A... ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Dominique Agniau-Canel, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. B... Domingo, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.
2. La propagation du virus covid-19 sur le territoire français a conduit le ministre chargé de la santé puis le Premier ministre à prendre, à compter du 4 mars 2020, des mesures de plus en plus strictes destinées à réduire les risques de contagion. Pour faire face à l'aggravation de l'épidémie, la loi du 23 mars 2020 a créé un régime d'état d'urgence sanitaire, défini aux articles L. 3131-12 à L. 3131-20 du code de la santé publique et déclaré, en vertu de l'article 7, l'application de ce régime d'état d'urgence sanitaire jusqu'au 1er avril 2021.
3. La loi du 23 mars 2020 a notamment introduit dans le code de la santé publique un article L. 3131-12 aux termes duquel " L'état d'urgence sanitaire peut être déclaré sur tout ou partie du territoire métropolitain ainsi que du territoire des collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution et de la Nouvelle-Calédonie en cas de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population ". L'état d'urgence peut être prorogé dans les conditions prévues par les articles L. 3131-13 et L. 3131-14. En outre, l'article L. 3131-15 dispose que : " Dans les circonscriptions territoriales où l'état d'urgence sanitaire est déclaré, le Premier ministre peut, par décret réglementaire pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, aux seules fins de garantir la santé publique : (...) 2° Interdire aux personnes de sortir de leur domicile, sous réserve des déplacements strictement indispensables aux besoins familiaux ou de santé ; (...). / Les mesures prescrites en application des 1° à 10° du présent article sont strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu'elles ne sont plus nécessaires ". De même, le ministre chargé de la santé et le préfet peuvent interdire aux personnes de sortir de leur domicile, sous réserve des déplacements strictement indispensables aux besoins familiaux ou de santé, dans les conditions prévues par les articles L. 3131-16 et
L. 3131-17. L'article L. 3131-18 prévoit enfin, qu'à l'exception des mesures mentionnées au premier alinéa du II de l'article L. 3131-17, les mesures prises dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire peuvent faire l'objet d'un recours devant le juge administratif.
4. L'article L. 211-3 du code de l'organisation judiciaire dispose que : " Le tribunal judiciaire connaît de toutes les affaires civiles et commerciales pour lesquelles compétence n'est pas attribuée, en raison de la nature de la demande, à une autre juridiction. " Aux termes de l'article L. 213-8 du même code : " Les compétences du juge des libertés et de la détention en matière non répressive sont fixées par des lois particulières. ".
5. A l'appui de sa requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir des décrets prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, M. A... demande au Conseil d'État de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des articles L. 3131-3 et L. 3131-12 à L. 3131-20 du code de la santé publique et de l'article 7 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020, combinés avec les articles L 211-3 et L. 213-8 du code de l'organisation judiciaire.
6. Par sa décision n° 2020-800 DC du 11 mai 2020, le Conseil constitutionnel a déclaré conformes à la Constitution les 1°, 5° et 7° du paragraphe I ainsi que les premier et troisième à septième alinéas du paragraphe II de l'article L. 3131-15 et le paragraphe II de L. 3131-17 du code de la santé publique, dans leur rédaction issue de la loi du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions. Par suite, le moyen tiré de ce que ces dispositions porteraient atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution ne peut qu'être écarté.
7. Le requérant soutient, en premier lieu, qu'en ne prévoyant pas, à l'article L. 3131-8 du code de la santé publique, l'intervention de l'autorité judiciaire aux fins de vérifier l'absence de caractère arbitraire de l'interdiction de sortie du domicile que peut décider le Premier ministre en application du 2° du I de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique, le législateur aurait méconnu la compétence de l'autorité judiciaire résultant de l'article 66 de la Constitution aux termes duquel " Nul ne peut être arbitrairement détenu. / L'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi ", alors que cette interdiction peut avoir pour effet d'imposer aux personnes concernées de rester à leur domicile pendant une durée déraisonnable.
8. Cependant, si les dispositions contestées de l'article L. 3131-15 permettent au Premier ministre, dans les circonscriptions territoriales où l'état d'urgence sanitaire est déclaré et pour garantir la santé publique, d'interdire aux personnes de sortir de leur domicile, elles précisent que la mesure doit être strictement proportionnée aux risques sanitaires courus et appropriée aux circonstances de temps et de lieu, qu'il y est mis fin sans délai lorsqu'elle n'est plus nécessaire et réservent expressément les déplacements indispensables aux besoins familiaux ou de santé. Les dispositions contestées donnent ainsi au Premier ministre, lorsque la situation l'exige et que les conditions posées sont remplies, la possibilité non d'interdire, par une mesure individuelle, à une personne déterminée de sortir de son domicile, mais de prendre un acte réglementaire à caractère général, visant un ensemble des personnes se trouvant dans une circonscription territoriale dans laquelle l'état d'urgence sanitaire est déclaré, et qui n'a d'autre but, conformément à l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé, que de protéger la santé de l'ensemble de la population en prévenant la propagation incontrôlée d'une épidémie. La contestation d'une telle mesure, eu égard à sa nature et à son objet, n'est pas au nombre de celles que l'article 66 de la Constitution réserve à la compétence de l'autorité judiciaire. Par ailleurs, les articles L. 211-3 et L. 213-8 du code de l'organisation judiciaire sont, par eux-mêmes, sans incidence sur la répartition des compétences entre les juridictions judiciaires et administratives.
9. En deuxième lieu, les dispositions contestées de l'article L. 3131-3 du code de la santé publique exonèrent de leur responsabilité les professionnels de santé et les fabricants de médicaments pour les dommages qui peuvent résulter de la prescription, de l'administration ou de l'utilisation d'un médicament en dehors des indications thérapeutiques ou des conditions normales d'utilisation prévues par son autorisation de mise sur le marché ou son autorisation temporaire d'utilisation, ou bien d'un médicament ne faisant l'objet d'aucune de ces autorisations, lorsque leur intervention ont rendue nécessaire par l'existence d'une menace sanitaire grave et que la prescription a été recommandée ou exigée par le ministre chargé de la santé en application des dispositions de l'article L. 3131-1. Contrairement à ce que soutient le requérant, ces dispositions ne sauraient être regardées comme violant le droit à la vie ou les libertés individuelles et ne portent pas, par elles-mêmes, d'atteinte au droit au recours, compte tenu notamment de la règle fixée à l'article L. 3131-4, selon laquelle : " Sans préjudice des actions qui pourraient être exercées conformément au droit commun, la réparation intégrale des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales imputables à des activités de prévention, de diagnostic ou de soins réalisées en application de mesures prises conformément aux articles L. 3131-1 ou L. 3134-1 est assurée par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales mentionné à l'article L. 1142-22. ".
10. Enfin, les autres moyens soulevés ne sont pas assortis des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé.
11. Il résulte de ce qui précède que la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions contestées ne présente pas un caractère sérieux. Il n'y a, dès lors, pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.
D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. A....
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. B... A....
Copie en sera adressée au Premier ministre, au ministre des solidarités et de la santé et au Conseil constitutionnel.