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04/02/2021 | FRANCE | N°440118

France | France, Conseil d'État, 10ème chambre, 04 février 2021, 440118


Vu la procédure suivante :

Par une requête, trois nouveaux mémoires et un mémoire en réplique enregistrés les 16 avril, 30 juillet, 7 septembre et 15 décembre 2020 et le 10 janvier 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir :

- le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire ;

- le décret n° 2020-337 du 26 mars 2020 complétant le décre

t n° 2020-293 du 23 mars 2020 ;

- le décret n° 2020-344 du 27 mars 2020 complétant le décret...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, trois nouveaux mémoires et un mémoire en réplique enregistrés les 16 avril, 30 juillet, 7 septembre et 15 décembre 2020 et le 10 janvier 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir :

- le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire ;

- le décret n° 2020-337 du 26 mars 2020 complétant le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 ;

- le décret n° 2020-344 du 27 mars 2020 complétant le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 ;

- le décret n° 2020-423 du 14 avril 2020 complétant le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 ; ;

- le décret n° 2020-860 du 10 juillet 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans les territoires sortis de l'état d'urgence sanitaire et dans ceux où il a été prorogé ;

- le décret n° 2020-884 du 17 juillet 2020 modifiant le décret n° 2020-860 du 10 juillet 2020 ;

2°) de transformer les dispositions de ces décrets en simples recommandations, à l'exception de ce qui concerne les dispositifs aux frontières ;

3°) d'enjoindre au gouvernement :

- d'avertir le public des inconvénients du port prolongé du masque et de son inutilité contre les virus ;

- d'autoriser de substituer au port du masque le port d'une visière faciale ;

- de mettre fin à des mesures manifestement punitives ;

- de renoncer à des mesures discriminatoires basées sur la possession d'un téléphone portable et d'interdire toute mesure liée à une obligation de fait de posséder un smartphone ;

- de ne prendre en compte que le seul critère du taux d'occupation des places en réanimation ;

- de proposer un contrat moral aux personnes vulnérables ;

- de lever toutes les restrictions et obligations relatives à la maladie aux personnes vaccinées, deux semaines après l'injection ;

- de proscrire toute décision liée mécaniquement au nombre de tests ;

- d'informer le public sur le pourcentage de la population réellement atteinte par le virus ;

- à l'avenir, de recourir, dans une situation équivalente, à des moyens moins contraignants.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

Vu les notes en délibéré, enregistrées les 17 et 21 janvier 2021, présentées par M. B... ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Dominique Agniau-Canel, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. L'émergence d'un nouveau coronavirus (covid-19), de caractère pathogène et particulièrement contagieux, et sa propagation sur le territoire français ont conduit le ministre des solidarités et de la santé à prendre, par plusieurs arrêtés à compter du 4 mars 2020, des mesures sur le fondement des dispositions de l'article L. 3131-1 du code de la santé publique. En particulier, par un arrêté du 14 mars 2020, un grand nombre d'établissements recevant du public ont été fermés au public, les rassemblements de plus de 100 personnes ont été interdits et l'accueil des enfants dans les établissements les recevant et des élèves et étudiants dans les établissements scolaires et universitaires a été suspendu. Puis, par un décret du 16 mars 2020 motivé par les circonstances exceptionnelles découlant de l'épidémie de covid-19, modifié par décret du 19 mars, le Premier ministre a interdit le déplacement de toute personne hors de son domicile, sous réserve d'exceptions limitativement énumérées et devant être dûment justifiées, à compter du 17 mars à 12h, sans préjudice de mesures plus strictes susceptibles d'être ordonnées par le représentant de l'Etat dans le département. Le ministre des solidarités et de la santé a pris des mesures complémentaires par des arrêtés des 17, 19, 20, 21 mars 2020. Par l'article 4 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19, a été déclaré l'état d'urgence sanitaire pour une durée de deux mois sur l'ensemble du territoire national. Par un nouveau décret du 23 mars 2020 pris sur le fondement de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique issu de la loi du 23 mars 2020, le Premier ministre a réitéré les mesures qu'il avait précédemment ordonnées tout en leur apportant des précisions ou restrictions complémentaires. Leurs effets ont été prolongés en dernier lieu par décret du 14 avril 2020.

2. L'article 12-2 du décret du 23 mars 2020 précité, dans sa rédaction issue du décret du 27 mars 2020 le complétant, restreint l'administration de l'hydroxychloroquine aux patients atteints par le covid19 hospitalisés en cas de pneumonie oxygéno-requérante ou de défaillance d'organe.

3. Le 2° du I de l'article 1er de la loi du 9 juillet 2020 organisant la sortie de l'état d'urgence sanitaire autorise le Premier ministre, hormis sur les territoires dans lesquels l'article 2 de la même loi proroge l'état d'urgence sanitaire, à compter du 11 juillet 2020 et jusqu'au 30 octobre 2020, par décret pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, dans l'intérêt de la santé publique et aux seules fins de lutter contre la propagation de l'épidémie de covid-19, à " réglementer l'ouverture au public, y compris les conditions d'accès et de présence, d'une ou de plusieurs catégories d'établissements recevant du public ainsi que des lieux de réunion, à l'exception des locaux à usage d'habitation, en garantissant l'accès des personnes aux biens et services de première nécessité ". Le III de cet article prévoit que : " Les mesures prescrites en application du présent article sont strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu'elles ne sont plus nécessaires ". Sur le fondement de ces dispositions, le décret du 10 juillet 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans les territoires sortis de l'état d'urgence sanitaire et dans ceux où il a été prorogé a défini au niveau national, à son article 1er, des règles d'hygiène et de distanciation sociale, dites " barrières " et prévu une obligation de port du masque dans certains établissements. Le décret du 17 juillet 2020 a enfin modifié ce décret en étendant notamment l'obligation du port du masque dans les marchés couverts.

4. Le requérant soutient, en se fondant sur des considérations de portée générale qui ne sont pas utilement étayées, que les décrets imposant les mesures dites de confinement mentionnés au 1° sont disproportionnés et injustifiés au regard de l'objectif de lutte contre l'épidémie covid-19, en invoquant la circonstance que le confinement entrave le processus naturel d'acquisition de défenses immunitaires, l'absence de caractère contagieux et dangereux établi du covid-19 par comparaison avec la grippe saisonnière, la durée de confinement de seulement quatorze jours imposée pour les personnes ayant été en contact avec des personnes contaminées, l'impossibilité de maintenir le confinement tant que la maladie est active sur d'autres continents, la durée par ailleurs excessive du confinement imposé, les conséquences pour l'économie, en particulier dans les secteurs du commerce, de la culture et de l'agriculture, ainsi que pour les élèves scolarisés, pour les familles en terme de violences, pour les personnes âgées notamment dans les EHPAD, pour les personnes décédées et leurs proches et pour les consommateurs, notamment de province, le caractère insuffisamment précis des motifs de dérogation au regard du principe de légalité des délits et des peines, la plus grande efficacité des mesures de confinement sélectives mises en oeuvres dans d'autres pays et l'atteinte portée à la liberté de culte protégée par la Constitution et par l'article 9 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

5. Toutefois, eu égard, d'une part, aux circonstances exceptionnelles dans lesquelles ont été adoptés les décrets attaqués, caractérisées par une augmentation rapide de la circulation du virus, une possible saturation, à brève échéance, des structures hospitalières à l'échelle nationale, qui a conduit au transfert de patients entre régions et vers des pays voisins ainsi qu'à la déprogrammation d'hospitalisations non urgentes, des difficultés dans le traitement des chaines de contamination et pour le respect des gestes barrières en raison de l'insuffisance du nombre de tests, qui ne permettait pas d'identifier les personnes asymptomatiques, et de la pénurie de masques chirurgicaux et FFP2 et, d'autre part, aux dérogations prévues pour les déplacements répondant à des besoins de première nécessité et au caractère strictement circonscrit dans le temps de l'interdiction de déplacement, une telle interdiction applicable à l'ensemble du territoire national ne présentait pas, à la date à laquelle elle a été édictée et au regard de l'objectif de protection de la santé publique poursuivi, un caractère disproportionné, en dépit des disparités observées entre départements en termes de prévalence de l'épidémie et malgré les atteintes ainsi portée aux libertés invoquées.

6. Par ailleurs, les motifs limitativement énumérés autorisant de déroger à l'interdiction de déplacement, dont la méconnaissance était passible de sanctions pénales, ont été définis par le décret du 23 mars 2020 de façon suffisamment claire et précise pour permettre aux personnes souhaitant se déplacer de justifier que leur déplacement entre dans le champ de l'une de ces exceptions. Il s'ensuit que ni l'énoncé de ces motifs dérogatoires, ni l'obligation de se munir d'un document prévu par l'article 3 du décret du 23 mars 2020, qui ne visent qu'à réglementer la circulation des personnes et à s'assurer que les déplacements dérogatoires relèvent bien des motifs dérogatoires, ne conduisent à méconnaître le principe de légalité des délits et des peines ou les principes de nécessité et de proportionnalité des peines.

7. Il ressort de ce qui précède que les moyens tirés de ce que les mesures dites de confinement portent aux droits et libertés fondamentaux une atteinte injustifiée et disproportionnée doit être écarté.

8. Le requérant soutient également que le décret du 10 juillet 2020, modifié par le décret du 17 juillet 2020, en tant qu'il impose le port du masque obligatoire, serait disproportionné, injustifié et illégal eu égard à l'inutilité de cette mesure et aux dangers qu'elle pourrait représenter pour la santé.

9. Le décret contesté, face à la persistance de la circulation du virus, vise à réglementer les déplacements et l'accès aux moyens de transport ainsi qu'aux établissements et espaces ouverts au public. Il impose dans ce cadre le port du masque, conformément aux recommandations de l'Organisation mondiale de la santé, du Haut Conseil de la santé publique et du Conseil scientifique Covid-19, s'appuyant elles-mêmes sur les études épidémiologiques récentes et la revue de la littérature scientifique existante. Ni les considérations générales énoncées par le requérant, ni les éléments dont il se prévaut, ne permettent de remettre en cause le caractère nécessaire, adapté et proportionné de cette mesure.

10. Les autres moyens de la requête ne sont pas assortis des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé.

11. Il résulte de ce qui précède que la requête de M. B... doit être rejetée, y compris les conclusions à fin d'injonction.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et au ministre des solidarités et de la santé.

Copie en sera adressée au Premier ministre et au ministre de l'intérieur.


Synthèse
Formation : 10ème chambre
Numéro d'arrêt : 440118
Date de la décision : 04/02/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 04 fév. 2021, n° 440118
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Dominique Agniau-Canel
Rapporteur public ?: M. Laurent Domingo

Origine de la décision
Date de l'import : 09/02/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2021:440118.20210204
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