Vu la procédure suivante :
M. G... B..., M. E... B..., M. D... A... et M. F... C... ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre à la communauté de communes des Portes de Rosheim de suspendre l'exécution des travaux entrepris sur les parcelles cadastrées section 22 n°s 16, 17, 22, 29 et 30 à Rosheim, dès la notification de l'ordonnance et jusqu'à la signification du jugement à intervenir du juge de l'expropriation dans le cadre de l'instance pendante sous le n° RG 18/00021, sous astreinte de 50 000 euros par jour de retard. Par une ordonnance n° 2007654 du 9 décembre 2020, le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a enjoint à la communauté de communes des Portes de Rosheim, d'une part, d'interrompre sans délai l'ensemble des travaux de viabilisation et d'aménagement de la ZAI du Fehrel au droit des parcelles section 22 n°s 16, 17, 22, 29 et 30 à Rosheim, sous astreinte de 15 000 euros par jour de retard à compter du lendemain de la notification de l'ordonnance, jusqu'à ce que le juge de l'expropriation se soit prononcé et, d'autre part, de verser à MM. B..., A... et C... une somme globale de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par une requête, un mémoire en réplique et un mémoire de production, enregistrés le 23 décembre 2020 et les 6 et 7 janvier 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la communauté de communes des Portes de Rosheim demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) de faire droit à ses conclusions de première instance ;
3°) de mettre à la charge de MM. B... et autres la somme de 3 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'ordonnance contestée est entachée d'irrégularité dès lors que, d'une part, le règlement du litige relève de la seule compétence du juge judiciaire, d'autre part, le juge de première instance a omis de statuer sur les moyens présentés en défense tirés de ce que l'urgence n'était pas caractérisée ;
- la condition d'urgence n'était pas satisfaite dès lors que, d'une part, les requérants n'ont pas fait état de circonstances propres à justifier que le juge du référé liberté statue sous un délai de 48 heures, d'autre part, les parcelles en cause sont insusceptibles de faire l'objet d'une restitution par le juge de l'expropriation en raison de la perte de leur vocation agricole du fait de l'avancement des travaux, enfin, les expropriés ont manqué de diligence pour préserver les parcelles expropriées dans leur état initial et, par suite, se sont eux-mêmes placés dans une situation d'urgence. ;
- le juge de première instance a considéré à tort que la poursuite des travaux par la communauté de commune portait une atteinte grave et manifestement illégale au droit à un recours effectif alors que, d'une part, l'expropriant est le propriétaire des biens expropriés et est en droit d'agir comme tel tant que l'ordonnance d'expropriation n'a pas été annulée, d'autre part, les expropriés auront la possibilité d'obtenir des dommages-intérêts en vertu de l'article R. 223-6 du code de l'expropriation malgré la poursuite et l'achèvement des travaux, enfin, les terrains ne sont plus susceptibles d'être restitués, puisqu'ils ont perdu leur vocation agricole.
Par un mémoire en défense, un mémoire de production et un nouveau mémoire, enregistrés les 4, 6 et 8 janvier 2020, MM. Christophe et Charles B..., M. A... et M. C... concluent au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la communauté de communes des Portes de Rosheim la somme de 6 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ils soutiennent que les moyens soulevés par la communauté de commune des portes de Rosheim ne sont pas fondés et que celle-ci a porté une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la communauté de communes des Portes de Rosheim, et d'autre part, MM. B..., M. A... et M. C... ;
Ont été entendus lors de l'audience publique du 7 janvier 2021, à 14h30 :
- Me de La Burgade, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la communauté de communes des Portes de Rosheim ;
- Me Nicolay, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de MM. B... et autres, ainsi que le représentant de MM. B... et autres ;
à l'issue de laquelle le juge des référés a reporté la clôture de l'instruction au 8 janvier 2021 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, et notamment son Préambule ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;
- le code de justice administrative ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-2 du même code : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ".
2. Il résulte de l'instruction que la communauté de communes des Portes de Rosheim a décidé d'implanter, sur le territoire de la commune de Rosheim, une zone d'activité intercommunale à finalité industrielle, artisanale et commerciale. A cet effet, les acquisitions et travaux nécessaires au projet ont été déclarés d'utilité publique par un arrêté du 24 mai 2016 du préfet du Bas Rhin et la communauté de communes a acquis, par voie d'expropriation, diverses parcelles auparavant à finalité agricole. L'arrêté a ensuite été annulé par le tribunal administratif de Strasbourg par un jugement du 24 janvier 2018, confirmé par un arrêt du 28 mars 2019 de la cour administrative d'appel de Nancy puis par une decision du 12 février 2020 du Conseil d'Etat, qui a rejeté le pourvoi en cassation de la communauté de communes. En septembre 2019, alors que l'affaire était pendante devant le Conseil d'Etat, des travaux de viabilisation ont été entrepris, puis ont été interrompus pendant la crise sanitaire du printemps 2020. En eptembre 2020, ces travaux ont repris, la communauté de comunes ayant manifesté son intention de les achever avant la fin de l'année. En parallèle, le juge de l'expropriation, saisi aux fins d'annulation de l'ordonnance d'expropriation en application de l'article L. 223-2 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, après s'être transporté sur les lieux le 18 septembre 2020, a fixé au 11 janvier 2021 la date de l'audience destinée à entendre les plaidoiries des parties. La communauté de communes relève appel de l'ordonnance du 9 décembre 2020 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg, saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative cité au point 1 par MM. Christophe et Charles B..., A... et C..., lui a enjoint de suspendre l'exécution des travaux en question jusqu'à ce que le juge de l'expropriation se soit prononcé, au motif que la poursuite de ces travaux étaient de nature à priver d'effet utile leur recours devant ce juge tendant, à titre principal, à obtenir la restitution de leurs parcelles.
3. Aux termes de l'article L. 223-2 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique : " (...) en cas d'annulation par une décision définitive du juge administratif de la déclaration d'utilité publique ou de l'arrêté de cessibilité, tout exproprié peut faire constater par le juge que l'ordonnance portant transfert de propriété est dépourvue de base légale et demander son annulation. / Après avoir constaté l'absence de base légale de l'ordonnance portant transfert de propriété, le juge statue sur les conséquences de son annulation ". Aux termes de l'article R. 223-6 du même code : " Le juge constate, par jugement, l'absence de base légale du transfert de propriété et en précise les conséquences de droit. / I. - Si le bien exproprié n'est pas en état d'être restitué, l'action de l'exproprié se résout en dommages et intérêts. / II. - S'il peut l'être, le juge désigne chaque immeuble ou fraction d'immeuble dont la propriété est restituée. (...) ".
Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :
4. En premier lieu, si la communauté de communes soutient que le litige ne relevait pas de la compétence du juge administratif et que le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg aurait, ainsi, méconnu sa compétence, il ressort des termes mêmes de cette ordonnance qu'elle s'est bornée à prescrire l'interruption temporaire de travaux publics, qu'il n'entrait pas dans l'office du juge judiciaire d'ordonner en l'absence de voie de fait. Par suite, le moyen tiré de ce que l'ordonnance serait entachée d'incompétence et, ainsi, irrégulière, ne peut qu'être écarté.
5. En second lieu, pour regarder comme satisfaite la condition d'urgence prévue par les dispositions citées au point 1, l'ordonnance attaquée relève que la poursuite, en toute connaissance de cause, des travaux de viabilisation des parcelles en litige par la communauté de communes était de nature à préjudicier de manière grave et immédiate aux intérêts des requérants tels qu'ils entendaient les défendre devant le juge de l'expropriation, en ôtant à ces parcelles, en raison de l'ampleur des modifications qui leur seraient apportées, la qualité de biens susceptibles d'être restitués au sens des dispositions de l'article R . 123-6 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique. Le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg, qui n'était pas tenu de répondre à tous les arguments qui lui étaient présentés a, ainsi, suffisamment motivé son ordonnance sur ce point.
Sur le bien-fondé de l'ordonnance attaquée :
6. La communauté de communes estime, en premier lieu, que la condition tenant à l'urgence n'était pas satisfaite, dans la mesure où aucune circonstance particulière n'a été mise en avant par les requérants de première instance, où ceux-ci ont tardé à demander la restitution de leurs parcelles au juge de l'expropriation, en se bornant, avant l'automne 2020, à demander l'annulation de l'ordonnance d'expropriation et où, enfin, les travaux auraient d'ores et déjà transformé irréversiblement les parcelles concernées par la demande de restitution, ôtant à cette dernière toute chance de prospérer.
7. Toutefois, d'une part, il ne résulte pas de l'instruction que les travaux en litige auraient transformé les biens d'une manière telle que le juge de l'expropriation, auquel il incombe de surcroît de se prononcer à ce propos, se verrait privé de toute possibilité d'en ordonner la restitution en application de l'article R. 223-6 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, d'autre part, l'accélération des travaux à l'automne 2020 et la volonté publiquement affirmée de la communauté de communes de les mener à bien en dépit des trois décisions de la juridiction administrative intervenues entre janvier 2018 et février 2020 constituaient des circonstances de nature à justifier l'urgence au sens des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative. Enfin, s'il est exact que les requérants de première instance s'étaient bornés, dans leurs écritures devant le juge de l'expropriation antérieures à la décision du Conseil d'Etat du 12 février 2020, à demander l'annulation pour défaut de base légale de l'ordonnance d'expropriation, comme le prévoit l'article L. 223-2 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, ils n'étaient, en tout état de cause, nullement tenus d'assortir cette demande d'annulation d'une demande de restitution aux termes du même article, alors même, de surcroît, que le litige sur la déclaration d'utilité publique était encore pendant devant le juge administratif.
8. En second lieu, si la communauté de communes relève qu'étant propriétaire des terrains en cause, il lui est loisible, tant que l'ordonnance d'expropriation n'a pas été annulée, d'y conduire les travaux en litige, il ressort des circonstances de l'espèce que, d'une part, aucune nouvelle déclaration d'utilité publique n'est susceptible d'être obtenue avant que le juge de l'expropriation ne statue au debut de l'année 2021, d'autre part, aucune nécessité impérieuse de réaliser de manière urgente ces travaux n'est mise en avant, excepté le souhait de la communauté de communes de les conduire à leur terme en dépit des décisions de la juridiction administrative ayant annulé la déclaration d'utilité publique sur le fondement de laquelle ils ont été entrepris. Dans ces conditions, et compte tenu de ce qu'il n'est pas établi qu'à la date où l'ordonnance attaquée a été rendue les requérants de première instance étaient irrémédiablement privés de la possibilité d'obtenir la restitution de leurs terrains devant le juge de l'expropriation, le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg n'a commis ni erreur de droit ni erreur d'appréciation en ordonnant la suspension des travaux en question aux fins de préserver la possibilité des requérants de première instance d'obtenir, devant ce même juge de l'expropriation, le cas échéant, la restitution de leurs terrains expropriés sans base légale par la communauté de communes.
9. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de la communauté de communes des Portes de Rosheim doit être rejetée, y compris ses conclusions aux fins d'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il y a lieu, dans le circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la communauté de communes des Portes de Rosheim le versement d'une somme globale de 3 500 euros à MM. Christophe et Charles B..., M. A... et M. C... au titre des mêmes dispositions.
O R D O N N E :
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Article 1er : La requête de la communauté de communes des Portes de Rosheim est rejetée.
Article 2 : La communauté de communes des Portes de Rosheim versera à MM. Christophe et Charles B..., M. A... et M. C... la somme globale de 3 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la communauté de communes des Portes de Rosheim, à M. G... B..., à M. E... B..., à M. D... A... et à M. F... C....