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31/12/2020 | FRANCE | N°416802

France | France, Conseil d'État, 9ème - 10ème chambres réunies, 31 décembre 2020, 416802


Vu les procédures suivantes :

1° Sous le numéro 416802, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et trois mémoires en réplique, enregistrés le 22 décembre 2017, le 22 mars 2018, les 7 août et 29 novembre 2019 et le 15 décembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Direct Energie, devenue Total Direct Energie, demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la délibération de la Commission de régulation de l'énergie n° 2017-236 du 26 octobre 2017 portant décision sur la composante d'accès aux réseaux pu

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Vu les procédures suivantes :

1° Sous le numéro 416802, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et trois mémoires en réplique, enregistrés le 22 décembre 2017, le 22 mars 2018, les 7 août et 29 novembre 2019 et le 15 décembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Direct Energie, devenue Total Direct Energie, demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la délibération de la Commission de régulation de l'énergie n° 2017-236 du 26 octobre 2017 portant décision sur la composante d'accès aux réseaux publics de distribution d'électricité pour la gestion de clients en contrat unique dans les domaines de tension HTA et BT à compter du 1er janvier 2018 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le numéro 416805, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et trois mémoires en réplique, enregistrés le 22 décembre 2017, le 22 mars 2018, les 7 août et 29 novembre 2019 et le 15 décembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Direct Energie, devenue Total Direct Energie, demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la délibération de la Commission de régulation de l'énergie n° 2017-239 du 26 octobre 2017 portant modification de la délibération du 17 novembre 2016 portant décision sur les tarifs d'utilisation des réseaux publics d'électricité dans les domaines de tension HTA et BT ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

3° Sous le numéro 419231, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et trois mémoires en réplique, enregistrés les 23 mars et 22 juin 2018, les 7 août et 29 novembre 2019 et le 15 décembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Direct Energie, devenue Total Direct Energie, demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la délibération de la Commission de régulation de l'énergie n° 2018-011 du 18 janvier 2018 portant décision sur la composante d'accès aux réseaux publics de distribution d'électricité pour la gestion de clients en contrat unique dans les domaines de tension HTA et BT ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

4° Sous le numéro 420263, par une requête et quatre mémoires en réplique, enregistrés le 30 avril 2018, les 5 juin, 14 juin et 10 octobre 2019 et le 31 janvier 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Eni Gas et Power France demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir les délibérations de la Commission de régulation de l'énergie :

- n° 2017-236 du 26 octobre 2017 portant décision sur la composante d'accès aux réseaux publics de distribution d'électricité pour la gestion de clients en contrat unique dans les domaines de tension HTA et BT à compter du 1er janvier 2018 ;

- n° 2017-237 du 26 octobre 2017 portant décision sur la composante d'accès aux réseaux publics de distribution du gaz naturel pour la gestion de clients en contrat unique à compter du 1er janvier 2018 ;

- n° 2017-238 du 26 octobre 2017 portant modification des délibérations du 25 avril 2013, du 22 mai 2014 et du 10 mars 2016 portant décision sur les tarifs péréqués d'utilisation des réseaux publics de distribution de gaz naturel ;

- n° 2017-239 du 26 octobre 2017 portant modification de la délibération du 17 novembre 2016 portant décision sur les tarifs d'utilisation des réseaux publics d'électricité dans les domaines de tension HTA et BT ;

- n° 2018-011 du 18 janvier 2018 portant décision sur la composante d'accès aux réseaux publics de distribution d'électricité pour la gestion de clients en contrat unique dans les domaines de tension HTA et BT ;

- n° 2018-012 du 18 janvier 2018 portant décision sur la composante d'accès aux réseaux publics de distribution de gaz naturel pour la gestion de clients en contrat unique ;

2°) d'annuler les décisions implicites par lesquelles la Commission de régulation de l'énergie a rejeté ses recours gracieux contre ces délibérations ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 15 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la Constitution ;

- le Traité sur l'Union européenne et le Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la directive 2009/72/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité et abrogeant la directive 2003/54/CE ;

- le code de l'énergie ;

- le code de la consommation ;

- la loi n° 2017-1839 du 30 décembre 2017 ;

- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Nicolas Agnoux, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteur public ;

1. Les requêtes visées ci-dessus présentent à juger les mêmes questions. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

Sur le désistement partiel de la société Eni Gas et Power France :

2. La société Eni Gas et Power France a déclaré se désister des conclusions de sa requête dirigées contre les délibérations de la Commission de régulation de l'énergie n° 2017-237, n° 2017-238 et n° 2018-012. Ce désistement partiel est pur et simple. Rien ne s'oppose à ce qu'il en soit donné acte.

Sur les interventions en défense de la société Enedis et de la société GRDF :

3. La société Enedis justifie d'un intérêt suffisant au maintien des délibérations applicables au secteur de l'électricité attaquées. Ainsi, son intervention en défense est, dans cette mesure, recevable.

4. L'intervention de la société Gaz Réseau Distribution France (GRDF), qui vise au maintien des délibérations de la Commission de régulation de l'énergie n° 2017-237, n° 2017-238 et n° 2018-012, est devenue sans objet en raison du désistement partiel de la société Eni Gas et Power France.

Sur les délibérations attaquées :

5. Afin de simplifier la souscription des contrats d'approvisionnement en électricité des petits consommateurs et de faciliter la mise en oeuvre de leur droit de choisir leur fournisseur à la suite de la libéralisation des marchés de détail de l'électricité, l'article L. 224-8 du code de la consommation et l'article L. 332-3 du code de l'énergie prévoient la faculté de conclure un contrat unique portant sur la fourniture et la distribution d'électricité. La souscription d'un tel contrat dispense les consommateurs de conclure directement un contrat d'accès au réseau avec le gestionnaire du réseau de distribution, parallèlement au contrat de fourniture conclu avec leur fournisseur. Par une délibération n° 2017-236 du 26 octobre 2017, la Commission de régulation de l'énergie a fixé le montant de la rémunération due aux fournisseurs en contrepartie des services rendus aux clients ayant souscrit un contrat unique pour le compte du gestionnaire du réseau de distribution d'électricité à compter du 1er janvier 2018. Par une délibération n° 2017-239 du même jour, elle a modifié les tarifs d'utilisation du réseau de distribution d'électricité dans les domaines de tension HTA et BT, afin de définir une composante de ces tarifs, égale au montant des rémunérations en cause, et venant en déduction du montant collecté par les fournisseurs auprès des clients ayant souscrit un contrat unique qu'ils reversent au gestionnaire de réseau. Par une délibération n° 2018-011 du 18 janvier 2018, la Commission de régulation de l'énergie a abrogé la délibération n° 2017-236 du 26 octobre 2017 et a de nouveau fixé le montant de la rémunération due aux fournisseurs en contrepartie des prestations en cause. Les sociétés Total Direct Energie et Eni Gas et Power France demandent l'annulation pour excès de pouvoir de ces trois délibérations. La société Eni Gas et Power France demande, en outre, l'annulation des décisions implicites rejetant les recours gracieux qu'elle a formés contre ces décisions.

Sur les conclusions de la société Enedis à fin de non-lieu :

6. L'abrogation de la délibération n° 2017-236 du 26 octobre 2017 par la délibération n° 2018-011 du 18 janvier 2018, publiée au Journal officiel de la République française du 25 janvier 2018, ne prive pas d'objet les conclusions des requérantes tendant à son annulation dès lors que cette délibération fixe la rémunération applicable aux prestations rendues par les fournisseurs pour le compte du gestionnaire de réseaux entre la date de son entrée en vigueur le 1er janvier 2018 et celle de son abrogation le 26 janvier 2018. Par suite, la société Enedis n'est pas fondée à soutenir que les requêtes dirigées contre cette décision ont été privées d'objet.

Sur la légalité externe :

En ce qui concerne la compétence de la Commission de régulation de l'énergie :

S'agissant des délibérations n° 2017-236 et n° 2017-239 du 26 octobre 2017 :

7. D'une part, l'article L. 131-1 du code de l'énergie prévoit que la Commission de régulation de l'énergie concourt, dans le respect des compétences qui lui sont attribuées, au bon fonctionnement du marché de l'électricité au bénéfice des consommateurs finals et veille, en particulier, à ce que les conditions d'accès au réseau de transport et de distribution d'électricité n'entravent pas le développement de la concurrence. Dans sa rédaction applicable jusqu'au 31 décembre 2017, le 3° de l'article L. 134-1 du même code prévoyait que la commission précise les règles concernant " les conditions d'accès aux réseaux et de leur utilisation y compris la méthodologie de calcul des tarifs d'utilisation des réseaux et les évolutions de ces tarifs ". L'article L. 341-3 du même code précise que " Les méthodes utilisées pour établir les tarifs d'utilisation des réseaux publics de transport et de distribution d'électricité sont fixées par la Commission de régulation de l'énergie (...) ".

8. D'autre part, l'article L. 332-3 du code de l'énergie dispose que : " Dans les conditions fixées par l'article L. 224-8 du code de la consommation, les personnes mentionnées à l'article L. 332-1 ont la possibilité de conclure un contrat unique portant sur la fourniture et la distribution d'électricité. " L'article L. 332-1 du même code mentionne les " non-professionnels pour une puissance électrique égale ou inférieure à 36 kilovoltampères ". Aux termes de l'article L. 224-8 du code de la consommation : " Le fournisseur est tenu d'offrir au client la possibilité de conclure avec lui un contrat unique portant sur la fourniture et la distribution d'électricité ou de gaz naturel. Ce contrat reproduit en annexe les clauses réglant les relations entre le fournisseur et le gestionnaire de réseau, notamment les clauses précisant les responsabilités respectives de ces opérateurs. / Outre la prestation d'accès aux réseaux, le consommateur peut, dans le cadre du contrat unique, demander à bénéficier de toutes les prestations techniques proposées par le gestionnaire du réseau. Le fournisseur ne peut facturer au consommateur d'autres frais que ceux que le gestionnaire du réseau lui a imputés au titre d'une prestation. / (...) ". Enfin, aux termes de l'article L. 111-92 du code de l'énergie : " Les gestionnaires des réseaux publics de distribution concluent, avec toute entreprise qui le souhaite, vendant de l'électricité à des clients ayant exercé leur droit de choisir leur fournisseur, un contrat (...) relatif à l'accès aux réseaux pour l'exécution des contrats de fourniture conclus par cette entreprise avec des consommateurs finals ayant exercé leur droit de choisir leur fournisseur. / Lorsqu'une entreprise ayant conclu un tel contrat (...) assure la fourniture exclusive d'un site de consommation, le consommateur concerné n'est pas tenu de conclure lui-même un contrat d'accès aux réseaux pour ce site ". Il résulte de ces dispositions que le législateur a entendu simplifier la souscription des contrats portant sur la fourniture et sur la distribution de l'électricité, en dispensant certains consommateurs de conclure directement, parallèlement au contrat de fourniture conclu avec le fournisseur, un contrat d'accès au réseau avec le gestionnaire du réseau de distribution. En prévoyant ainsi la souscription par le consommateur d'un " contrat unique " auprès du fournisseur, qui agit au nom et pour le compte du gestionnaire de réseau de distribution, il n'a pas entendu modifier les responsabilités respectives de ces opérateurs envers le consommateur d'électricité. Dès lors, les stipulations des contrats conclus entre le gestionnaire de réseau et les fournisseurs d'électricité ne doivent pas laisser à la charge de ces derniers les coûts supportés par eux pour le compte du gestionnaire de réseau.

9. Il résulte des dispositions citées aux points 7 et 8 qu'à la date d'édiction de la délibération n° 2017-236 du 26 octobre 2017, soit antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 30 décembre 2017, la Commission de régulation de l'énergie ne tenait d'aucun texte compétence pour fixer le montant des rémunérations que le gestionnaire de réseau verse aux fournisseurs d'électricité. Les sociétés requérantes sont donc fondées, pour ce motif, à demander l'annulation pour excès de pouvoir de cette délibération.

10. En revanche, la Commission de régulation de l'énergie était à cette date compétente, en vertu des articles L. 134-1 et L.341-3 du code de l'énergie cités au point 7, pour modifier les tarifs d'utilisation du réseau public de distribution d'électricité afin d'y inclure une composante correspondant au montant des rémunérations que doit verser le gestionnaire de réseau en contrepartie de ces prestations. Par suite, le moyen tiré de ce que la délibération n° 2017-239 du 26 octobre 2017 aurait été prise par une autorité incompétente doit être écarté. Doit, de même, être écarté le moyen tiré de ce que cette délibération n° 2017-239, qui n'a pas été prise sur le fondement ou pour l'application de la délibération n° 2017-236, devrait être annulée par voie de conséquence de l'annulation de cette délibération n° 2017-236.

S'agissant de la délibération n° 2018-011 du 18 janvier 2018 :

11. L'article 13 de la loi du 30 décembre 2017 mettant fin à la recherche ainsi qu'à l'exploitation des hydrocarbures et portant diverses dispositions relatives à l'énergie et à l'environnement a modifié, à compter du 1er janvier 2018, le 3° de l'article L. 134-1 du code de l'énergie pour habiliter la Commission de régulation de l'énergie à fixer la rémunération des fournisseurs pour les prestations de gestion de clientèle qu'ils réalisent pour le compte du gestionnaire de réseaux de distribution dans le cadre de l'exécution des contrats portant sur l'accès aux réseaux et la fourniture de l'électricité. Par suite, la société Total Direct Energie n'est pas fondée à soutenir que la délibération n° 2018-011 du 18 janvier 2018 aurait été prise par une autorité incompétente.

En ce qui concerne la régularité de la procédure préalable à l'édiction des délibérations n° 2017-239 et n° 2018-011 :

12. En premier lieu, si l'article L. 341-3 du code de l'énergie impose à la Commission de régulation de l'énergie de prendre en compte les orientations de politique énergétique formulées par les ministres chargés de l'économie et de l'énergie dans ses délibérations relatives aux tarifs d'utilisation des réseaux publics de distribution d'électricité, il ne ressort pas des pièces du dossier que ces ministres auraient porté à la connaissance de la commission des orientations relatives à la rémunération des fournisseurs pour les prestations de gestion de clientèle qu'ils réalisent pour le compte du gestionnaire de réseau dans le cadre de l'exécution des contrats uniques. Par suite, le moyen soulevé par la société Eni Gas et Power France, tiré de ce que les délibérations n° 2017-239 et n° 2018-011 seraient insuffisamment motivées, faute d'avoir pris en compte de telles orientations, ne peut qu'être écarté.

13. En deuxième lieu, l'article L. 341-3 du code de l'énergie prévoit que la Commission de régulation de l'énergie procède, selon des modalités qu'elle détermine, à la consultation des acteurs du marché de l'énergie. Il ressort des pièces du dossier qu'avant d'adopter la délibération attaquée, la commission a procédé, du 4 mai au 9 juin 2017, à une consultation publique des acteurs du marché de l'énergie. Le document de consultation qu'elle a publié à cet effet s'appuyait notamment sur une étude des coûts de gestion des clients en contrat unique réalisée par un consultant externe. Si certaines données de cette étude, qui étaient protégées par le secret des affaires, n'ont pas été communiquées aux acteurs du marché, cette circonstance n'a pas fait obstacle à ce qu'ils puissent formuler des observations de nature à éclairer la commission quant aux conséquences de ses choix dès lors que le document de consultation exposait de façon suffisamment précise tant les modalités de calcul que le montant des rémunérations qu'elle envisageait de retenir ainsi que les modalités de leur prise en compte dans les tarifs d'utilisation du réseau. Par ailleurs, il ne ressort pas de la délibération n° 2017-239 du 26 octobre 2017 que la commission, qui n'était pas tenue de répondre aux observations formulées lors de cette consultation, n'aurait pas tenu compte de celles-ci, ni qu'elle aurait fait preuve de partialité en faveur du gestionnaire de réseau. Enfin, la commission n'était pas tenue de procéder à une nouvelle consultation des acteurs du marché avant d'adopter la délibération n° 2018-011 du 18 janvier 2018, compte tenu de l'identité de l'objet de cette délibération avec celle du 26 octobre 2017 et en l'absence de tout changement des conditions de marché survenu dans l'intervalle. Par suite, le moyen tiré de ce que la Commission de régulation de l'énergie aurait méconnu les obligations consultatives prévues par le code de l'énergie doit être écarté.

14. En dernier lieu, l'article 43 de la directive 2009/72/CE du 13 juillet 2009 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité impose aux Etats membres de notifier à la Commission européenne, préalablement à leur mise en oeuvre, les mesures prises conformément à cette directive afin de garantir des conditions de concurrence équitables dans le cadre de son modèle de dissociation entre les activités de production et de fourniture, d'une part, et de transport d'énergie, d'autre part. La société Total Direct Energie n'est pas fondée à soutenir que la délibération attaquée, qui n'entre pas dans le champ d'application de cet article, aurait dû faire l'objet d'une notification à la Commission européenne.

Sur la légalité interne des délibérations n° 2017-239 et n° 2018-011 :

En ce qui concerne les moyens tirés de la méconnaissance de principes constitutionnels :

15. Si la société Total Direct Energie soutient que la détermination par la Commission de régulation de l'énergie du montant des rémunérations dues par le gestionnaire de réseau aux fournisseurs en contrepartie des prestations de gestion de clientèle accomplies pour leur compte dans le cadre de l'exécution des contrats uniques méconnaît les principes constitutionnels de la liberté contractuelle, de la liberté du commerce et de l'industrie et du droit de propriété, l'exercice de cette compétence résulte des dispositions des articles L. 134-1 et L.341-3 du code de l'énergie citées au point 7. La contestation revient ainsi à mettre en cause la conformité de la loi à la Constitution et ne saurait être soulevée devant le juge de l'excès de pouvoir que selon les modalités régissant les questions prioritaires de constitutionnalité, lesquelles n'ont, en l'espèce, pas été suivies.

En ce qui concerne l'étendue des prestations dont la rémunération doit être fixée par la Commission de régulation de l'énergie :

16. Aux termes l'article L. 224-8 du code de la consommation : " Le fournisseur est tenu d'offrir au client la possibilité de conclure avec lui un contrat unique portant sur la fourniture et la distribution d'électricité ou de gaz naturel. Ce contrat reproduit en annexe les clauses réglant les relations entre le fournisseur et le gestionnaire de réseau, notamment les clauses précisant les responsabilités respectives de ces opérateurs. / Outre la prestation d'accès aux réseaux, le consommateur peut, dans le cadre du contrat unique, demander à bénéficier de toutes les prestations techniques proposées par le gestionnaire du réseau. Le fournisseur ne peut facturer au consommateur d'autres frais que ceux que le gestionnaire du réseau lui a imputés au titre d'une prestation ".

17. Il résulte de ces dispositions que les obligations mises à la charge des fournisseurs ne s'épuisent pas, contrairement à ce que soutiennent les sociétés requérantes, avec la signature par les clients du contrat unique portant sur l'accès au réseau et la fourniture d'électricité mais que les fournisseurs sont en outre tenus d'assurer, pour le compte du gestionnaire de réseau, des prestations d'intermédiation pour la souscription par le consommateur des options et prestations techniques proposées, la facturation de l'acheminement de l'électricité sur le réseau de distribution, à hauteur des tarifs d'utilisation de ce réseau mentionnés à l'article L. 341-2 du code de l'énergie, ainsi que le recouvrement des sommes correspondantes. Par suite, la Commission de régulation de l'énergie n'a pas commis d'erreur de droit en incluant ces prestations dans le périmètre des rémunérations en litige.

En ce qui concerne les modalités d'appréciation des coûts supportés par les fournisseurs pour le compte du distributeur, au titre de la détermination tant du tarif d'utilisation des réseaux que de la rémunération des fournisseurs :

18. Il ressort des deux délibérations attaquées que la Commission de régulation de l'énergie a fixé le montant de la rémunération due aux fournisseurs au titre du contrat unique et le tarif afférent, pour chaque point de livraison, par référence aux coûts supplémentaires, de nature fixe ou variable, exposés par un fournisseur normalement efficace pour fournir les prestations en cause, dans la limite des coûts évités par le gestionnaire de réseau. Elle a retenu pour référence les coûts supportés par un fournisseur alternatif actif dans le secteur de l'électricité sur un seul marché, à savoir le marché " de masse ", correspondant à la clientèle résidentielle et à celle des petits professionnels ou le marché " des affaires ", et disposant de 10 % de parts de marché.

19. En premier lieu, la référence aux coûts d'un fournisseur normalement efficace vise, conformément aux objectifs assignés à la Commission de régulation de l'énergie par l'article L. 131-1 du code de l'énergie, à promouvoir le bon fonctionnement du marché de l'électricité au bénéfice des consommateurs finals, dès lors que la rémunération des fournisseurs est couverte par les tarifs d'utilisation du réseau acquittés par ces derniers. Contrairement à ce que soutiennent les sociétés requérantes, aucune disposition du code de l'énergie ni aucun autre texte ou principe n'imposait à la commission de fixer le montant de la rémunération en cause par référence aux coûts propres supportés par chaque fournisseur. En outre, si l'article L. 341-2 du code de l'énergie dispose que le tarif doit être fixé en fonction des coûts d'un gestionnaire de réseau efficace, il résulte des termes mêmes de l'article L. 224-8 de ce code que les prestations effectuées au titre du contrat unique ne peuvent l'être que par le fournisseur. Enfin, l'article L. 322-8 du même code, qui prescrit au gestionnaire d'assurer l'accès au réseau dans des conditions non discriminatoires, ne fait pas obstacle à ce que la commission fixe des montants de rémunération distincts selon le point de livraison, afin de tenir compte d'une différence objective de situation, notamment au regard des caractéristiques de la clientèle. Ces dispositions ne lui imposent en revanche pas de procéder à une distinction en fonction de la taille des opérateurs, pourvu que la rémunération fixée couvre les coûts de fournisseurs efficaces disposant d'une moindre part de marché et ne créent pas de barrière à l'entrée sur ces marchés. Par suite, c'est sans erreur de droit que la commission a fixé les montants en cause au regard des coûts d'un fournisseur efficace, en distinguant selon les caractéristiques objectives des clients en cause.

20. En deuxième lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 19 que dès lors qu'il résulte des termes mêmes de l'article L. 224-8 du code de la consommation que seul le fournisseur assure les prestations offertes au titre du contrat unique, la Commission de régulation de l'énergie ne pouvait légalement estimer que la rémunération des fournisseurs ne peut excéder les coûts évités par le gestionnaire du réseau de distribution. Cette erreur est toutefois sans incidence sur la légalité des délibérations attaquées dès lors qu'il ressort des pièces du dossier que la rémunération des fournisseurs n'a pas été plafonnée à hauteur des coûts évités du gestionnaire de réseau, lesquels excèdent en l'espèce les coûts supplémentaires supportés par les fournisseurs pour fournir les prestations en litige. Pour les mêmes motifs, les sociétés requérantes ne peuvent utilement critiquer les modalités retenues par la commission pour déterminer les coûts évités du gestionnaire de réseau.

21. En troisième lieu, les sociétés requérantes soutiennent que les hypothèses de calcul retenues par la Commission de régulation de l'énergie pour calculer les coûts exposés par un fournisseur normalement efficace ne sont pas représentatives des caractéristiques des fournisseurs alternatifs actuellement présents sur le marché. Il ressort toutefois des délibérations attaquées que le niveau des parts de marché de référence de 10 % a été fixé en tenant compte des observations émises par les acteurs du marché lors de la consultation publique et qu'un niveau d'efficacité équivalent peut être atteint par un fournisseur disposant de parts de marché moindres et actif sur plusieurs marchés, ce qui correspond au modèle économique dominant des fournisseurs alternatifs. A cet égard, les sociétés requérantes ne produisent aucun élément démontrant que leurs propres coûts seraient supérieurs aux rémunérations retenues par la commission. Par ailleurs, si la société Eni Gas et Power France critique le choix des marchés de référence retenus pour évaluer les coûts d'un fournisseur normalement efficace, elle n'assortit pas ces critiques des précisions nécessaires pour en apprécier le bien-fondé. En outre, elle n'établit pas que les modalités de calcul retenues par la Commission de régulation de l'énergie créeraient des subventions croisées entre les fournisseurs alternatifs de petite taille et les opérateurs historiques. Il résulte de ce qui précède que la Commission de régulation de l'énergie n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en retenant ces paramètres de calcul.

22. En dernier lieu, la circonstance que la rémunération consentie aux fournisseurs constitue une composante des tarifs d'utilisation des réseaux publics de distribution d'électricité acquittés par le consommateur n'a pas pour effet, contrairement à ce que soutient la société Total Direct Energie, de transférer cette rémunération aux consommateurs.

En ce qui concerne les charges incluses dans le périmètre du compte de régularisation des charges et des produits :

23. La délibération n° 2017-239 du 26 octobre 2017 qui modifie les tarifs d'utilisation des réseaux publics de distribution d'électricité retient un montant maximum pour les charges susceptibles d'être incluses dans le périmètre du compte de régularisation des charges et des produits correspondant aux rémunérations dues par le gestionnaire de réseau aux fournisseurs pour la gestion des clients en contrat unique au titre de la période antérieure au 1er janvier 2018. Pour calculer ce montant, la Commission de régulation de l'énergie a appliqué un taux de réfaction de 90 % par rapport à une hausse du tarif correspondant à l'hypothèse du versement des rémunérations dues par le gestionnaire à l'ensemble des fournisseurs concernés au titre de chacune des années antérieures à 2018, afin de prévenir un effet d'aubaine pour les fournisseurs ayant déjà répercuté les charges supportées à raison des prestations en cause sur les prix facturés aux consommateurs finaux.

24. En premier lieu, la prise en compte des versements que le gestionnaire peut être amené à effectuer à raison des rémunérations dues aux fournisseurs au titre des années antérieures à 2018 ne confère pas de portée rétroactive à la délibération n° 2017-239, laquelle s'applique exclusivement aux tarifs acquittés par les consommateurs à compter du 1er janvier 2018 et n'a pas davantage pour objet de fixer le montant de la rémunération des fournisseurs applicable à la période antérieure à cette date.

25. En deuxième lieu, la société Total Direct Energie n'est pas fondée à soutenir que la Commission de régulation de l'énergie aurait entaché la délibération n° 2017-239 d'erreur manifeste d'appréciation en identifiant un potentiel effet d'aubaine lié au versement par le gestionnaire de l'intégralité des rémunérations dues au titre des années antérieures à l'année 2018, dans la mesure où les fournisseurs avaient très vraisemblablement répercuté les charges supportées à raison de l'accomplissement des prestations en litige dans les prix facturés à leurs clients.

En ce qui concerne les moyens tirés de la méconnaissance du droit de l'Union européenne :

26. En premier lieu, la société Total Direct Energie soutient que les délibérations attaquées ont pour effet d'ériger des barrières à l'entrée de nouveaux opérateurs sur les marchés de la fourniture d'énergie, en méconnaissance des objectifs de la directive 2009/72/CE qui fixe des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité, au motif que la rémunération versée ne couvre pas les coûts fixes exposés par un nouvel entrant pour assurer les prestations de gestion de clientèle. Il résulte de ce qui a été dit au point 21 que la fixation d'une rémunération des fournisseurs en contrepartie des prestations accomplies pour le compte du gestionnaire de réseau de distribution n'a pas eu pour effet de créer des barrières à l'entrée sur le marché français de l'électricité. Par ailleurs, et en tout état de cause, le niveau de rémunération des fournisseurs a, contrairement à ce que soutient la société Total Direct Energie, été fixé en prenant en compte les coûts fixes supplémentaires exposés par les fournisseurs pour la prise en charge de ces prestations. Par suite, le moyen soulevé ne peut qu'être écarté.

27. En second lieu, les stipulations de l'article 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et de l'article 4, paragraphe 3 du traité sur l'Union européenne imposent aux Etats membres de ne pas prendre ou de ne pas maintenir en vigueur des mesures, même de nature législative ou réglementaire, susceptibles de porter atteinte à l'effet utile des règles de concurrence applicables aux entreprises. La société Total Direct Energie ne peut utilement faire valoir que la subordination de l'accès au réseau public de distribution à l'accomplissement par les fournisseurs de prestations pour le compte du gestionnaire de réseau méconnaîtrait ces stipulations, dès lors qu'une telle obligation ne résulte pas des délibérations attaquées mais des articles L. 224-8 du code de la consommation et L. 332-3 du code de l'énergie. Par ailleurs, les délibérations attaquées ne placent pas la société Enedis en situation d'abuser de sa situation de monopole sur son réseau de distribution dans la mesure où le niveau de rémunération qu'elles retiennent couvre les coûts encourus par un fournisseur normalement efficace pour fournir ces prestations. Par suite, le moyen invoqué ne peut qu'être écarté.

28. Il résulte de tout ce qui précède que les sociétés requérantes ne sont pas fondées à demander l'annulation des délibérations n° 2017-239 et n° 2018-011.

Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

29. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat (Commission de régulation de l'énergie) une somme à verser à la société Total Direct Energie ou à la société Eni Gas et Power France au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Par ailleurs, les dispositions de cet article font obstacle à ce qu'une somme soit versée à ce titre à la société Enedis, qui n'est pas partie à la présente instance.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Il est donné acte du désistement des conclusions du recours en excès de pouvoir de la société Gas et Power France dirigées contre les délibérations de la Commission de régulation de l'énergie n° 2017-237, n° 2017-238 et n° 2018-012.

Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur l'intervention de la société Gaz Réseau Distribution France.

Article 3 : L'intervention de la société Enedis est admise en tant qu'elle vise au maintien des délibérations de la Commission de régulation de l'énergie n° 2017-236, n° 2017-239 et n° 2018-011.

Article 4 : La délibération de la Commission de régulation de l'énergie n° 2017-236 est annulée.

Article 5 : Le surplus des requêtes des sociétés Total Direct Energie et Eni Gas et Power France est rejeté.

Article 6 : Les conclusions de la société Enedis présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 7 : La présente décision sera notifiée à la société Total Direct Energie, à la société Eni Gas et Power France, à la société Enedis, à la société Gaz Réseau Distribution France, à la Commission de régulation de l'énergie et à la ministre de la transition écologique.


Synthèse
Formation : 9ème - 10ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 416802
Date de la décision : 31/12/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 31 déc. 2020, n° 416802
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Nicolas Agnoux
Rapporteur public ?: Mme Céline Guibé

Origine de la décision
Date de l'import : 08/01/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2020:416802.20201231
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