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22/12/2020 | FRANCE | N°439954

France | France, Conseil d'État, 10ème - 9ème chambres réunies, 22 décembre 2020, 439954


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un nouveau mémoire, enregistrés le 4 avril et le 12 décembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'article 3 du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 500 001 francs Pacifique au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution ;

- le code de la santé publique ;

- la

loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;

- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ;

- le décret n° 2020-293 du ...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un nouveau mémoire, enregistrés le 4 avril et le 12 décembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'article 3 du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 500 001 francs Pacifique au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution ;

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;

- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ;

- le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 ;

- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Réda Wadjinny-Green, auditeur,

- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. L'émergence d'un nouveau coronavirus (covid-19), de caractère pathogène et particulièrement contagieux et sa propagation sur le territoire français ont conduit le ministre des solidarités et de la santé à prendre, par plusieurs arrêtés à compter du 4 mars 2020, des mesures sur le fondement des dispositions de l'article L. 3131-1 du code de la santé publique. Par un décret du 16 mars 2020 motivé par les circonstances exceptionnelles découlant de l'épidémie de covid-19, modifié par un décret du 19 mars 2020, le Premier ministre a interdit le déplacement de toute personne hors de son domicile, sous réserve d'exceptions limitativement énumérées et devant être dûment justifiées, à compter du 17 mars à 12h, sans préjudice de mesures plus strictes susceptibles d'être ordonnées par le représentant de l'Etat dans le département. Le ministre des solidarités et de la santé a pris des mesures complémentaires par plusieurs arrêtés successifs.

2. Le législateur, par l'article 4 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19, a déclaré l'état d'urgence sanitaire pour une durée de deux mois à compter du 24 mars 2020. Par un décret du 23 mars 2020 pris sur le fondement de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique issu de la loi du 23 mars 2020, le Premier ministre a réitéré les mesures précédemment édictées tout en leur apportant des précisions ou restrictions complémentaires. Aux termes de l'article 3 de ce décret : " I. - Jusqu'au 31 mars 2020, tout déplacement de personne hors de son domicile est interdit à l'exception des déplacements pour les motifs suivants en évitant tout regroupement de personnes : / 1° Trajets entre le domicile et le ou les lieux d'exercice de l'activité professionnelle et déplacements professionnels insusceptibles d'être différés ; / 2° Déplacements pour effectuer des achats de fournitures nécessaires à l'activité professionnelle et des achats de première nécessité dans des établissements dont les activités demeurent autorisées par l'article 8 du présent décret ; / 3° Déplacements pour motifs de santé à l'exception des consultations et soins pouvant être assurés à distance et, sauf pour les patients atteints d'une affection de longue durée, de ceux qui peuvent être différés ; / 4° Déplacements pour motif familial impérieux, pour l'assistance des personnes vulnérables et pour la garde d'enfants ; / 5° Déplacements brefs, dans la limite d'une heure quotidienne et dans un rayon maximal d'un kilomètre autour du domicile, liés soit à l'activité physique individuelle des personnes, à l'exclusion de toute pratique sportive collective et de toute proximité avec d'autres personnes, soit à la promenade avec les seules personnes regroupées dans un même domicile, soit aux besoins des animaux de compagnie ; / 6° Déplacements résultant d'une obligation de présentation aux services de police ou de gendarmerie nationales ou à tout autre service ou professionnel, imposée par l'autorité de police administrative ou l'autorité judiciaire ; / 7° Déplacements résultant d'une convocation émanant d'une juridiction administrative ou de l'autorité judiciaire ; / 8° Déplacements aux seules fins de participer à des missions d'intérêt général sur demande de l'autorité administrative et dans les conditions qu'elle précise. / II. - Les personnes souhaitant bénéficier de l'une de ces exceptions doivent se munir, lors de leurs déplacements hors de leur domicile, d'un document leur permettant de justifier que le déplacement considéré entre dans le champ de l'une de ces exceptions. / III. - Le représentant de l'Etat dans le département est habilité à adopter des mesures plus restrictives en matière de trajets et déplacements des personnes lorsque les circonstances locales l'exigent. / IV. - Le présent article s'applique à Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon ". M. B... demande l'annulation pour excès de pouvoir de cet article. Un mémoire en défense, régulièrement présenté par le ministre des solidarités et de la santé et signé au nom du ministre par le directeur des affaires juridiques du ministère qui disposait d'une délégation de signature en application de l'article 1er du décret du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du gouvernement, qui, contrairement à ce que soutient M. B..., n'est entaché d'aucune irrecevabilité qui résulterait d'une situation de conflit d'intérêts, demande au Conseil d'Etat de rejeter cette requête .

3. En premier lieu, aux termes de l'article 22 de la Constitution : " Les actes du Premier ministre sont contresignés, le cas échéant, par les ministres chargés de leur exécution ". S'agissant d'un acte réglementaire, les ministres chargés de son exécution sont ceux qui sont compétents pour signer ou contresigner les mesures réglementaires ou individuelles que comporte nécessairement l'exécution de l'acte en cause. Le décret attaqué n'appelant de mesure d'exécution ni de la part du garde des sceaux, ministre de la justice, ni du ministre de l'intérieur, le moyen tiré du défaut de contreseing de ces ministres doit être écarté.

4. En deuxième lieu, les troisième et quatrième alinéas de l'article L. 3136-1 du code de la santé publique, inséré dans ce code par la loi du 23 mars 2020, disposent que : " La violation des autres interdictions ou obligations édictées en application des articles L. 3131-1 et L. 3131-15 à L. 3131-17 est punie de l'amende prévue pour les contraventions de la quatrième classe. Cette contravention peut faire l'objet de la procédure de l'amende forfaitaire prévue à l'article 529 du code de procédure pénale. Si cette violation est constatée à nouveau dans un délai de quinze jours, l'amende est celle prévue pour les contraventions de la cinquième classe. / Si les violations prévues au troisième alinéa du présent article sont verbalisées à plus de trois reprises dans un délai de trente jours, les faits sont punis de six mois d'emprisonnement et de 3 750 € d'amende ainsi que de la peine complémentaire de travail d'intérêt général, selon les modalités prévues à l'article 131-8 du code pénal et selon les conditions prévues aux articles 131-22 à 131-24 du même code, et de la peine complémentaire de suspension, pour une durée de trois ans au plus, du permis de conduire lorsque l'infraction a été commise à l'aide d'un véhicule ".

5. M. B... soutient que les dispositions de l'article 3 du décret du 23 mars 2020 méconnaissent les principes de légalité des délits et des peines et de nécessité et de proportionnalité des peines. Toutefois, ni la notion " d'achats de première nécessité ", qui renvoie à l'ensemble des achats qu'il est possible d'effectuer dans les établissements dont l'ouverture est prévue à titre dérogatoire par le même décret, ni celle de " motif familial impérieux " ne présentent de caractère imprécis ou équivoque, pas plus que l'obligation prévue par le II de l'article 3 de se munir d'un document permettant aux personnes souhaitant se déplacer pour l'un des motifs dérogatoires prévus par le I de cet article de justifier que leur déplacement entre dans le champ de l'une de ces exceptions. Il s'ensuit que ni l'énoncé des motifs dérogatoires au I, ni l'obligation de se munir d'un document prévue au II de l'article 3 précité, qui ne visent qu'à réglementer la circulation des personnes et à s'assurer que les déplacements dérogatoires relèvent bien des motifs énoncés au I, ne conduisent à méconnaître le principe de légalité des délits et des peines ou les principes de nécessité et de proportionnalité des peines.

6. En troisième lieu, il résulte nécessairement des termes de l'article 3 cité au point 2 que l'interdiction de déplacement hors du domicile qu'il édicte ne s'applique pas aux personnes sans domicile fixe et que le domicile s'entend, au sens de cet article, comme le lieu de confinement choisi par les personnes concernées, qu'il s'agisse de leur domicile principal ou secondaire ou d'un autre foyer. Il s'ensuit que les moyens tirés de la méconnaissance des principes d'égalité, de fraternité et de sauvegarde de la dignité humaine, comme le moyen tiré d'une erreur manifeste d'appréciation et le moyen d'atteinte au droit de mener une vie familiale normale et au droit au respect de la vie privée ne peuvent, en tout état de cause, qu'être écartés.

7. En dernier lieu, les déplacements chez un vétérinaire pour les animaux domestiques ne se rattachent pas aux besoins des animaux de compagnie prévus par le 5° du I de l'article 3 du décret attaqué mais doivent être regardés, pour l'application de ce décret, comme se rattachant aux motifs prévus par le 3° du I. Il s'ensuit que le requérant ne peut utilement soutenir que les dérogations prévues par le décret porteraient atteinte au droit de propriété, qu'il invoque, en limitant à une heure et à un kilomètre les déplacements chez un vétérinaire.

8. Il résulte de ce tout qui précède que la requête de M. B... doit être rejetée, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et au ministre des solidarités et de la santé.

Copie en sera adressée au Premier ministre et au ministre de l'intérieur.


Synthèse
Formation : 10ème - 9ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 439954
Date de la décision : 22/12/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 22 déc. 2020, n° 439954
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Réda Wadjinny-Green
Rapporteur public ?: M. Laurent Domingo

Origine de la décision
Date de l'import : 26/12/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2020:439954.20201222
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