Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 13 et 29 novembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société En avant Guingamp demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :
1°) d'ordonner la suspension de l'exécution de la décision du 24 septembre 2020 du conseil d'administration de la Ligue de football professionnel rejetant sa demande tendant à bénéficier de l'aide à la relégation additionnelle triplée pour sa deuxième année de relégation en 2020/2021 ;
2°) d'ordonner la suspension de l'exécution de la décision du 24 septembre 2020 du conseil d'administration de la Ligue de football professionnel adoptant le guide de répartition des droits audiovisuels 2020/2021 en tant qu'elle ne prévoit pas l'application de l'aide variable additionnelle aux clubs relégués en Ligue 2 à l'issue de la saison 2018/2019 ;
3°) d'enjoindre à la Ligue de football professionnel, d'une part, de revoir le guide de répartition des droits audiovisuels pour 2020/2021 en prévoyant l'application de l'aide variable additionnelle pour la deuxième année de relégation en Ligue 2 aux clubs relégués à l'issue de la saison 2018/2019, et, d'autre part, de faire droit à leur demande adressée au président et au directeur général de la Ligue de football professionnel par courrier du 17 septembre 2020 ;
4°) à titre subsidiaire, pour le cas où ses dispositions seraient jugées indivisibles, d'ordonner la suspension de l'exécution de la décision du 24 septembre 2020 du conseil d'administration de la Ligue de football professionnel adoptant le guide de répartition des droits audiovisuels 2020/2021 dans son ensemble ;
5°) de mettre à la charge de la Ligue de football professionnel la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les décisions contestées sont des actes administratifs relevant en premier et dernier ressort de la compétence du Conseil d'Etat ;
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que, en premier lieu, la décision l'excluant du bénéfice de l'aide variable additionnelle pour la deuxième saison de relégation lui cause directement un préjudice économique et sportif grave et immédiat, en deuxième lieu, les effets de cette décision sont, pour la plus grande partie, irréversibles, et, en dernier lieu, les suspensions et injonctions demandées peuvent servir l'intérêt général eu égard à l'importance d'augmenter les aides en cause et d'étendre le bénéfice du dispositif au plus grand nombre de clubs ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité des décisions contestées ;
- les décisions contestées sont entachées d'incompétence, ou à tout le moins d'erreur de droit, dès lors que, en adoptant des dispositions régissant la répartition des droits audiovisuels pour la saison 2021/2022, le conseil d'administration de la Ligue de football professionnel a outrepassé son champ de compétence temporel, cantonné à la saison 2020/2021, en méconnaissance de l'article 26 du guide de répartition des droits audiovisuels 2020/2021 ;
- elles méconnaissent le principe d'égalité, dès lors qu'elles excluent du bénéfice du dispositif en cause les clubs relégués en Ligue 2 à l'issue de la saison 2018/2019, établissant ainsi une différence de traitement injustifiée entre ces clubs et les clubs de Ligue 2 relégués en 2020, pour lesquels les dispositions du guide de répartition des droits audiovisuels 2020/2021 entrent en vigueur immédiatement ;
- elles méconnaissent les dispositions de l'article L. 333-3 du code du sport, le principe d'équité entre les clubs et le principe d'équilibre économique des compétitions dès lors que, en réduisant le nombre de clubs effectivement éligibles au dispositif, elles confèrent un avantage économique, et donc sportif, évident en faveur des deux clubs relégués à l'issue de la saison 2019/2020 ;
- elles sont entachées d'erreur manifeste d'appréciation eu égard à la gravité des conséquences du report d'une saison de l'entrée en vigueur du dispositif en cause, tant pour elle-même que pour l'organisation du football professionnel ;
- les injonctions demandées sont nécessaires eu égard à l'importance de l'impact économique et financier des décisions contestées.
Par un mémoire en défense, enregistré le 25 novembre 2020, la Ligue de football professionnel conclut au rejet de la requête. Elle soutient que la juridiction administrative n'est pas compétente pour connaître de la requête de la société En avant Guingamp, que la condition d'urgence n'est pas satisfaite, et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code du sport ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique la société En avant Guingamp et la Ligue de football professionnel ;
Ont été entendus lors de l'audience publique du 30 novembre 2020, à 15h00 :
- Me Froger, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la société En avant Guingamp ;
- les représentants de la société En avant Guingamp ;
- Me Poupot, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la Ligue de football professionnelle ;
- les représentants de la Ligue de football professionnelle ;
à l'issue de laquelle le juge des référés a prononcé la clôture de l'instruction.
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ". La condition d'urgence à laquelle est subordonné le prononcé d'une mesure de suspension doit être regardée comme remplie lorsque la décision administrative contestée préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre.
2. Aux termes de l'article L. 333-1 du code du sport : " Les fédérations sportives, ainsi que les organisateurs de manifestations sportives mentionnés à l'article L. 331-5, sont propriétaires du droit d'exploitation des manifestations ou compétitions sportives qu'ils organisent./ Toute fédération sportive peut céder aux sociétés sportives, à titre gratuit, la propriété de tout ou partie des droits d'exploitation audiovisuelle des compétitions ou manifestations sportives organisées chaque saison sportive par la ligue professionnelle qu'elle a créée, dès lors que ces sociétés participent à ces compétitions ou manifestations sportives. La cession bénéficie alors à chacune de ces sociétés. " Aux termes de l'article L. 333-2 du même code : " Les droits d'exploitation audiovisuelle cédés aux sociétés sportives sont commercialisés par la ligue professionnelle dans des conditions et limites précisées par décret en Conseil d'Etat (...). " Aux termes de l'article L. 333-3 du même code : " Afin de garantir l'intérêt général et les principes d'unité et de solidarité entre les activités à caractère professionnel et les activités à caractère amateur, les produits de la commercialisation par la ligue des droits d'exploitation des sociétés sont répartis entre la fédération, la ligue et les sociétés./ La part de ces produits destinée à la fédération et celle destinée à la ligue sont fixées par la convention passée entre la fédération et la ligue professionnelle correspondante./ Les produits revenant aux sociétés leur sont redistribués selon un principe de mutualisation, en tenant compte de critères arrêtés par la ligue et fondés notamment sur la solidarité existant entre les sociétés, ainsi que sur leurs performances sportives et leur notoriété. "
3. Le guide de répartition des droits audiovisuels pour la saison 2019-2020 prévoyait, au profit des clubs relégués de Ligue 1 en Ligue 2, une aide fixe de 2 000 000 euros la première saison et de 1 000 000 euros pour la deuxième saison, ainsi qu'une aide variable additionnelle, versée uniquement la première saison, d'un montant de 500 000 euros par saison immédiatement consécutive passée en Ligue 1 au cours des dix dernières années et de 250 000 euros par saison non consécutive. Par une décision du 24 septembre 2020, le conseil d'administration de la Ligue de football professionnel a adopté les guides de répartition des droits audiovisuels relatifs à la Ligue 1 et à la Ligue 2 pour la saison 2020-2021. Le guide de répartition des droits audiovisuels pour la Ligue 1 maintient le dispositif d'aide fixe mais prévoit, d'une part, que les clubs relégués de Ligue 1 en Ligue 2 à l'issue de la saison 2019-2020 percevront, lors de la première saison de relégation, soit en 2020-2021, une aide variable additionnelle d'un montant triplé, soit 1 500 000 euros par saison immédiatement consécutive passée en Ligue 1 au cours des dix dernières années et 750 000 euros par saison non consécutive et, d'autre part, qu'ils bénéficieront de cette aide variable additionnelle lors de la deuxième saison de relégation, soit en 2021-2022, à hauteur de 50 % du montant perçu lors de la première saison.
4. La société En avant Guingamp demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, d'ordonner la suspension de l'exécution de la décision du 24 septembre 2020 du conseil d'administration de la Ligue de football professionnel adoptant le guide de répartition des droits audiovisuels 2020/2021 en tant qu'elle ne prévoit pas l'application de l'aide variable additionnelle aux clubs relégués en Ligue 2 à l'issue de la saison 2018/2019, ainsi que de la décision du même jour du conseil d'administration de la Ligue de football professionnel rejetant sa demande tendant à bénéficier de l'aide à la relégation additionnelle triplée pour sa deuxième année de relégation en 2020/2021.
5. Au regard des dispositions citées au point 2, les décisions contestées ne sont pas manifestement insusceptibles de se rattacher à un litige dont il appartient à la juridiction administrative et, au sein de celle-ci, au Conseil d'Etat statuant en premier et dernier ressort, de connaître.
6. Pour soutenir que la condition d'urgence est satisfaite, la société requérante fait valoir qu'elle ne percevra en 2020-2021, au titre du produit de la commercialisation des droits d'exploitation perçus par la Ligue, qu'une somme totale de 6 100 000 euros (5 100 000 de droits de retransmission télévisuelle et 1 000 000 euros d'aide fixe), alors que l'application du nouveau dispositif aux clubs relégués en 2019 lui aurait permis, selon elle, de percevoir 3 750 000 euros supplémentaires d'aide variable additionnelle. Elle indique qu'elle connaîtra un déficit d'exploitation, à l'issue de la saison 2020-2021, qui ne devrait pas être inférieur à 2 600 000 euros. Elle soutient que les décisions contestées ont un effet irréversible, dès lors qu'à la date à laquelle interviendrait leur annulation au fond, l'intégralité des aides variables additionnelles aura déjà été répartie entre les clubs bénéficiaires et qu'il est en tout état de cause crucial que l'aide soit lissée au long de l'année, pour des raisons économiques et financières. Elle insiste enfin sur l'impact sportif d'un versement tardif de l'aide, qui affecterait ses capacités de recrutement sur le marché des transferts.
7. Toutefois, la société En avant Guigamp, alors que le club a été relégué en 2019, se prévaut d'une atteinte à ses intérêts qui ne résulte que de l'absence de perception, lors de sa deuxième saison de relégation, d'une aide additionnelle nouvelle dont la Ligue n'a ouvert le bénéfice qu'aux clubs relégués en 2020. Au demeurant, l'estimation à la somme de 3 750 000 euros du manque à gagner dont elle prétend être privée est, pour le moins, sérieusement contestable. Elle part, en effet, de l'hypothèse qu'il conviendrait de calculer rétroactivement et fictivement le montant qu'elle aurait perçu en 2019-2020 si le nouveau régime avait déjà été mis en place, soit 7 500 000 euros, et d'appliquer au chiffre ainsi obtenu un taux de 50 % pour la saison 2020-2021, deuxième saison de relégation. Un tel mode de calcul reviendrait à lui permettre de percevoir, la seconde saison, une aide additionnelle d'un montant 1,5 fois supérieur au montant de 2 500 000 euros qu'elle a effectivement perçu en 2019-2020, alors que le nouveau régime institué par la décision de la Ligue de football professionnel est fondé sur un principe de dégressivité et qu'en appliquant le taux de 50 % au montant de l'aide additionnelle effectivement perçue en 2019-2020, on parvient à un montant de 1 250 000 euros. En tout état de cause, les circonstances avancées par la société ne permettent pas de regarder l'absence de perception de l'aide additionnelle dont elle revendique le bénéfice comme préjudiciant de manière suffisamment grave et immédiate à ses intérêts ni à un intérêt public.
8. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de la société En avant Guigamp doit être rejetée, y compris les conclusions aux fins d'injonction et celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il y a lieu, en revanche, en application des dispositions de cet article, de mettre à la charge de la société le versement à la Ligue professionnelle de football d'une somme de 3 000 euros.
O R D O N N E :
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Article 1er : La requête de la société En Avant Guingamp est rejetée.
Article 2 : La société En avant Guingamp versera à la Ligue de football professionnel une somme de 3 000 au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la société En avant Guingamp et à la Ligue de football professionnel.