Vu les procédures suivantes :
I. Sous le n° 445883, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 2 et 8 novembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Le Poirier-au-Loup demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) d'ordonner la suspension de l'exécution de l'article 37 du décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire en ce qu'il interdit la vente de livres sur place et par retrait de commandes ;
2°) d'enjoindre au Premier Ministre de rétablir le droit de vendre des livres neufs ou d'occasion dans le respect des mêmes règles sanitaires que celles imposées aux commerces ouverts.
Elle soutient que :
- elle justifie d'un intérêt à agir ;
- la condition d'urgence est remplie dès lors que, la vente de livres étant la seule activité lui permettant de générer son chiffre d'affaires, son commerce risque de disparaître définitivement ;
- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à ses libertés fondamentales, la mesure contestée étant contraire à la liberté d'expression, en particulier, à la liberté de communiquer des informations ou des idées dès lors que, en premier lieu, les livres peu connus ne sont efficacement distribués que par les librairies, en deuxième lieu, la vente sur internet n'est pas accessible à toute la population, en troisième lieu, les conditions de dérogation à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne sont pas remplies, en quatrième lieu, la pandémie est un prétexte permettant au gouvernement d'interdire des livres contestataires pouvant lui déplaire et, en dernier lieu, il n'est pas démontré que les librairies seraient des lieux de contamination ;
- elle méconnaît la liberté de commerce et de l'industrie ainsi que le principe d'égalité dès lors que les marchands de journaux, les grandes surfaces et les commerces en ligne ne sont pas concernés par l'interdiction de vente des livres, lesquels sont pourtant dans des situations similaires au regard du risque sanitaire ;
- elle est disproportionnée dès lors que le port du masque et la limitation de la densité humaine dans les lieux fermés sont des mesures suffisantes pour lutter contre la covid-19 et n'est ni nécessaire ni adéquate en ce qu'elle porte atteinte à l'accès à la culture ;
- l'exclusion des livres de la catégorie des biens de première nécessité, au sens de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique, est arbitraire dès lors que la lecture relève d'une nécessité sociale.
Par un mémoire en défense et un nouveau mémoire, enregistrés les 4 et 12 novembre 2020, le ministre des solidarités et de la santé conclut au rejet de la requête. Il soutient qu'il n'est porté aucune atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées.
La requête a été communiquée au Premier ministre, au ministre de l'intérieur et à la ministre de la culture qui n'ont pas produit d'observations.
II. Sous le n° 445886, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 2 et 8 novembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Le Poirier-au-Loup demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :
1°) d'ordonner la suspension de l'exécution de l'article 37 du décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire en ce qu'il interdit la vente de livres sur place et par retrait de commandes ;
2°) d'ordonner la suspension de l'exécution de l'article 4 du décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire en ce qu'il autorise seulement certains déplacements.
Elle soutient que :
- elle justifie d'un intérêt à agir ;
- la condition d'urgence est remplie dès lors que, la vente de livres étant la seule activité lui permettant de générer son chiffre d'affaires, son commerce risque de disparaitre définitivement ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité du décret contesté ;
- la fermeture des librairies est contraire à la liberté d'expression, en particulier, à la liberté de communiquer des informations ou des idées dès lors que, en premier lieu, les livres peu connus ne sont efficacement distribués que par les librairies, en deuxième lieu, la vente sur internet n'est pas accessible à toute la population, en troisième lieu, les conditions de dérogation à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne sont pas remplies, en quatrième lieu, la pandémie est un prétexte permettant au gouvernement d'interdire des livres contestataires pouvant lui déplaire et, en dernier lieu, il n'est pas démontré que les librairies seraient des lieux de contamination ;
- elle méconnaît la liberté de commerce et de l'industrie ainsi que le principe d'égalité dès lors que les marchands de journaux, les grandes surfaces et les commerces en ligne ne sont pas concernés par l'interdiction de vente des livres, lesquels sont pourtant dans des situations similaires au regard du risque sanitaire ;
- elle est disproportionnée dès lors que le port du masque et la limitation de la densité humaine dans les lieux fermés sont des mesures suffisantes pour lutter contre la covid-19 ;
- elle n'est ni nécessaire ni adéquate en ce qu'elle porte atteinte à l'accès à la culture ;
- l'exclusion des livres de la catégorie des biens de première nécessité, au sens de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique, est arbitraire dès lors que la lecture relève d'une nécessité sociale ;
- l'article 4 du décret contesté est discriminatoire en ce que les activités économiques reposant sur la distribution moderne sont favorisées au détriment des activités plus traditionnelles.
Par un mémoire en défense et un nouveau mémoire, enregistrés les 4 et 12 novembre 2020, le ministre des solidarités et de la santé conclut au rejet de la requête. Il soutient qu'aucun des moyens n'est de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité des dispositions contestées.
La requête a été communiquée au Premier ministre, au ministre de l'intérieur et à la ministre de la culture qui n'ont pas produit d'observations.
III. Sous le n° 445899, par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 2, 9 et 11 novembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. C... A... et la société Ring demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) d'ordonner la suspension de l'exécution du I de l'article 37 du décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire en ce qu'il s'applique aux libraires ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- ils justifient d'un intérêt leur donnant qualité pour agir dès lors, d'une part, que M. A... est auteur d'un livre publié récemment et, d'autre part, que la société Ring intervient dans le secteur d'activité de l'édition de livres ;
- la condition d'urgence est remplie eu égard aux conséquences du décret contesté sur les ventes de M. A... et sur le chiffre d'affaires de la société Ring ;
- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté du commerce et de l'industrie et à la liberté d'expression ;
- le décret contesté est disproportionné et entaché d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors que, d'une part, les clients et les libraires portent des masques, chirurgicaux ou FFP2, suffisants pour garantir la protection des personnes contre la covid-19 et, d'autre part, l'interdiction d'accueillir du public s'applique à tout le territoire national, indépendamment de la circulation effective du virus dans chaque commune ;
- il méconnaît l'interdiction faite aux autorités administratives de permettre la constitution d'une position dominante dès lors que l'interdiction contestée a pour effet de réduire l'offre au public et ainsi de favoriser les vendeurs en ligne.
Par un mémoire en défense et un nouveau mémoire, enregistrés les 9 et 12 novembre 2020, le ministre des solidarités et de la santé conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas remplie et qu'il n'est porté aucune atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées.
Par un mémoire en intervention, la sarl Librairie Pierre Téqui conclut à ce qu'il soit fait droit aux conclusions la requête.
La requête a été communiquée au Premier ministre, au ministre de l'intérieur et à la ministre de la culture qui n'ont pas produit d'observations.
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la société Le Poirier-au-Loup, M. A... et la société Ring, d'autre part, le Premier Ministre, le ministre de l'intérieur, le ministre des solidarités et de la santé et la ministre de la culture ;
Ont été entendus lors de l'audience publique du 10 novembre 2020, à 11 heures :
- Me Feschotte-Desbois, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocate des requérants ;
- le représentant de M. A... et de la société Ring ;
- les représentants du ministre des solidarités et de la santé ;
à l'issue de laquelle le juge des référés a prolongé l'instruction jusqu'au 12 novembre à 12 heures.
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la Constitution, et notamment, son préambule ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de commerce ;
- le code de la santé publique ;
- le décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 ;
- le code de justice administrative ;
Considérant ce qui suit :
1. Les requêtes visées ci-dessus, qui sont présentées, l'une, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, l'autre, sur le fondement de l'article L. 521-2 du même code, sont dirigées contre les mêmes dispositions de l'article 37 du décret du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire en tant qu'elles ne permettent pas l'ouverture des magasins de vente de livres neufs ou d'occasion. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule ordonnance.
2. Sous le n° 445899, la sarl Librairie Pierre Téqui, qui exerce l'activité de libraire, justifie d'un intérêt suffisant pour intervenir à l'appui de la requête.
Sur le cadre du litige :
3. Aux termes de l'article L. 3131-12 du code de la santé publique, issu de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 : " L'état d'urgence sanitaire peut être déclaré sur tout ou partie du territoire métropolitain ainsi que du territoire des collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution et de la Nouvelle-Calédonie en cas de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population ". L'article L. 3131-13 du même code précise que " L'état d'urgence sanitaire est déclaré par décret en conseil des ministres pris sur le rapport du ministre chargé de la santé. Ce décret motivé détermine la ou les circonscriptions territoriales à l'intérieur desquelles il entre en vigueur et reçoit application. Les données scientifiques disponibles sur la situation sanitaire qui ont motivé la décision sont rendues publiques. / (...) / La prorogation de l'état d'urgence sanitaire au-delà d'un mois ne peut être autorisée que par la loi, après avis du comité de scientifiques prévu à l'article L. 3131-19 ". Aux termes de l'article L. 3131-15 du même code : " Dans les circonscriptions territoriales où l'état d'urgence sanitaire est déclaré, le Premier ministre peut, par décret réglementaire pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, aux seules fins de garantir la santé publique " prendre un certain nombre de mesures de restriction ou d'interdiction des déplacements, activités et réunions, notamment " Interdire aux personnes de sortir de leur domicile, sous réserve des déplacements strictement indispensables aux besoins familiaux ou de santé (...) " à condition d'être " strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu ".
4. L'émergence d'un nouveau coronavirus, responsable de la maladie à coronavirus 2019 ou covid-19 et particulièrement contagieux, a été qualifiée d'urgence de santé publique de portée internationale par l'Organisation mondiale de la santé le 30 janvier 2020, puis de pandémie le 11 mars 2020. La propagation du virus sur le territoire français a conduit le ministre chargé de la santé puis le Premier ministre à prendre, à compter du 4 mars 2020, des mesures de plus en plus strictes destinées à réduire les risques de contagion. Pour faire face à l'aggravation de l'épidémie, la loi du 23 mars 2020 a créé un régime d'état d'urgence sanitaire, défini aux articles L. 3131-12 à L. 3131-20 du code de la santé publique, et a déclaré l'état d'urgence sanitaire pour une durée de deux mois à compter du 24 mars 2020. La loi du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ces dispositions, a prorogé cet état d'urgence sanitaire jusqu'au 10 juillet 2020. L'évolution de la situation sanitaire a conduit à un assouplissement des mesures prises et la loi du 9 juillet 2020 a organisé un régime de sortie de cet état d'urgence.
5. Une nouvelle progression de l'épidémie au cours des mois de septembre et d'octobre, dont le rythme n'a cessé de s'accélérer au cours de cette période, a conduit le Président de la République à prendre le 14 octobre dernier, sur le fondement des articles L. 3131-12 et L. 3131-13 du code de la santé publique, un décret déclarant l'état d'urgence à compter du 17 octobre sur l'ensemble du territoire national. Le 29 octobre 2020, le Premier ministre a pris, sur le fondement de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique, le décret contesté, prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire.
6. Il résulte de l'instruction que la circulation du virus sur le territoire métropolitain s'est fortement amplifiée au cours des dernières semaines malgré les mesures prises conduisant à une situation particulièrement dangereuse pour la santé de l'ensemble de la population française. Ainsi, au 11 novembre 2020, plus de 1 860 000 cas ont été confirmés positifs à la covid-19, en augmentation de près de 35 000 dans les dernières vingt-quatre heures, le taux d'incidence national étant de 428 cas pour 100 000 habitants contre 246 au 20 octobre et 118 au 28 septembre, le taux de positivité des tests réalisés étant de 19,5 % au 11 novembre contre 13,2 % au 18 octobre et 9 % au 28 septembre, 42 435 décès de la covid-19 sont à déplorer au 11 novembre 2020, en hausse de 441 cas en vingt-quatre heures. Enfin, le taux d'occupation des lits en réanimation par des patients atteints de la covid-19 est passé de 43 % au 20 octobre à près de 70 % au 1er novembre et à près de 95 % au 11 novembre, mettant sous tension l'ensemble du système de santé et rendant nécessaire, au cours des derniers jours, des transferts de patients entre régions et avec des pays voisins ainsi que des déprogrammations d'hospitalisations non urgentes.
7. Il résulte en outre de l'instruction, y compris des déclarations faites lors de l'audience publique, que, pour faire face à cette situation d'urgence sanitaire, le gouvernement, en prenant les mesures détaillées par le décret du 29 octobre 2020, a fait le choix d'une politique qui cherche à casser la dynamique actuelle de progression du virus par la stricte limitation des déplacements de personnes hors de leur domicile. A cette fin, il a, à l'article 4 du décret, interdit tout déplacement des personnes hors de leur lieu de résidence et fixé une liste limitative des exceptions à cette interdiction, au profit des déplacements à destination ou en provenance du lieu d'exercice ou de recherche d'une activité professionnelle et des déplacements professionnels ne pouvant être différés ; des déplacements à destination ou en provenance des établissements ou services d'accueil des mineurs, d'enseignement ou de formation pour adultes ; des déplacements pour effectuer les achats de fournitures nécessaires à l'activité professionnelle, des achats de première nécessité, de retrait de commandes et de livraisons ; des déplacements pour effectuer des consultations, examens et soins médicaux ne pouvant être assurés à distance ou pour l'achat de médicaments ; des déplacements pour motif familial impérieux, pour l'assistance aux personnes vulnérables et précaires, pour la garde d'enfants et les déménagements ; des déplacements des personnes en situation de handicap et leur accompagnant ; des déplacements brefs, dans la limite d'une heure quotidienne et dans un rayon maximal d'un kilomètre autour du domicile liés notamment à l'activité physique individuelle des personnes ; des déplacements pour répondre à une convocation judiciaire ou administrative ou pour se rendre dans un service public ou chez un professionnel du droit pour une démarche qui ne peut être réalisée à distance ; des déplacements pour participer à des missions d'intérêt général sur demande de l'autorité administrative. De même, par les articles 37 et suivants, il a procédé à la fermeture générale des restaurants et débits de boisson et a autorisé, s'agissant des magasins de vente, l'ouverture au public pour la vente de produits de première nécessité, tout en maintenant la possibilité, pour les autres produits, de recourir à la vente à distance avec livraison à domicile ou retrait de commandes.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :
8. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. "
9. Eu égard à l'aggravation rapide au cours des dernières semaines de la propagation de l'épidémie sur l'ensemble du territoire, dont la réalité n'a pas été contestée, le Premier ministre a pris, par le décret du 29 octobre 2020, sur le fondement des prérogatives qui lui sont attribuées par l'article L. 3131-15 du code de la santé publique en période d'état d'urgence sanitaire, les mesures rappelées au point 6, dans le but de casser la propagation du virus au sein de la population en diminuant autant que possible les déplacements de personnes hors de leur domicile afin de limiter les interactions sociales à l'occasion desquelles la propagation du virus est facilitée. A ce titre, il résulte des dispositions des articles 37 et suivants du décret que les librairies, comme les plupart des magasins de vente de produits qui ne sont pas regardés comme essentiels, ne peuvent accueillir du public que pour leurs activités de livraison et de retrait de commandes.
10. En premier lieu, ainsi que le soutiennent à juste titre les requérants, les librairies comme les magasins de vente de livres d'occasion tels que la société Le-Poirier-au-Loup, contribuent à l'exercice effectif de la liberté d'expression ainsi que de la libre communication des idées et des opinions, qui constituent des libertés fondamentales, en permettant un accès ouvert et diversifié à un grand nombre d'ouvrages, même peu connus, que les espaces de la librairie permettent de présenter ou de découvrir et que le libraire peut contribuer à faire connaître. Compte tenu notamment du rôle joué par les librairies dans la communication des idées et des opinions et de l'importance de la littérature pour la population, ces biens, s'ils ne peuvent être regardés comme des biens de première nécessité au même titre que les produits alimentaires ou les produits indispensables au maintien de l'activité économique elle-même, présentent un caractère essentiel qu'il convient de prendre en considération de manière particulière dans le cadre des mesures de confinement et de déconfinement liées à la crise sanitaire.
11. Toutefois, l'administration souligne que, dans le contexte sanitaire actuel, la fermeture au public de la plupart des commerces au nombre desquels figurent les librairies demeure particulièrement nécessaire afin de limiter au maximum les interactions entre les personnes, qui constituent la principale occasion de propagation du virus. En outre, ainsi que le fait valoir l'administration, chacun demeure libre d'acquérir les ouvrages qu'il souhaite par le biais de commandes et de livraisons à domicile ou de retrait sur place, les librairies pouvant, comme les autres magasins concernés, rester ouvertes pour procéder aux activités de livraison et de retrait sur place des commandes effectués par leurs clients. Au demeurant, il résulte des données fournies par l'administration que plus d'un tiers des librairies indépendantes pratiquait déjà la vente en ligne. Par ailleurs, l'administration précise que, en plus des mesures générales qui existent pour compenser les fermetures que le décret du 29 octobre 2020 impose aux commerces en raison de la situation sanitaire, des mesures complémentaires spécifiques pour les librairies ont été mises en place afin d'assurer leur viabilité économique en dépit des contraintes imposées par la situation sanitaire sur leur activité, notamment un fonds de compensation sous forme de subventions et un fonds de modernisation ainsi que l'accès à un fonds de prêts aux industries culturelles, l'Etat ayant également décidé de prendre en charge les frais des expéditions postales réalisées par les librairies indépendantes pour répondre aux commandes de leurs clients. Enfin, l'administration indique que la situation des librairies fera l'objet d'une attention particulière lors de la réévaluation régulière du dispositif actuel.
12. Dans ces conditions, eu égard, d'une part, à la gravité actuelle de la situation sanitaire, marquée par l'existence de risques importants pesant sur l'ensemble de la population à la suite de la très large diffusion du virus sur tout le territoire national, ainsi que, d'autre part, à la tension très forte pesant sur le système de santé compte tenu des capacités de soins déjà mobilisées et susceptibles de l'être - tension qui s'est encore renforcée au cours des derniers jours malgré une légère décélération de l'augmentation du nombre de personnes atteintes, la mesure en cause, en dépit de l'atteinte qu'elle porte à une activité commerciale qui joue un rôle particulier dans la mise en oeuvre effective de la liberté d'expression et de la libre communication des idées et des opinions, n'apparaît pas, en l'état de l'instruction, porter une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d'expression et à la libre communication des idées.
13. En second lieu, il ne résulte pas de l'instruction que, eu égard aux éléments qui viennent d'être rappelés, la mesure en cause porterait une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté du commerce et de l'industrie, à la libre concurrence, au principe d'égalité et à l'interdiction des discriminations, la vente de livres dans les grandes surfaces ayant été, en tout état de cause, également interdite et les librairies ayant accès au commerces en ligne même si, cet accès peut, dans certains cas, notamment s'agissant de la vente de livres d'occasion, se heurter à des difficultés pratiques réelles.
14. Il résulte de ce qui précède que les requêtes présentées par la société Le Poirier-au-Loup et par M. A... sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative doivent être rejetées, y compris les conclusions présentées par M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :
15. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un doute propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".
16. Pour les mêmes motifs que ceux indiqués aux points 9 à 12 de la présente ordonnance, les moyens tirés de ce que les dispositions en cause du décret du 29 octobre 2020 seraient disproportionnées et arbitraires, porteraient atteinte à la liberté d'expression et à la libre communication des pensées et des opinions, à la liberté du commerce et de l'industrie ainsi qu'au principe d'égalité et à l'interdiction des discriminations ne sont pas, en l'état de l'instruction, propres à créer un doute sérieux quant à leur légalité.
17. Il résulte de ce qui précède que la requête présentée par la société Le Poirier-au-Loup au titre de l'article L. 521-1 du code de justice administrative doit être rejetée, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la condition d'urgence.
O R D O N N E :
------------------
Article 1er : Sous le n° 445899, l'intervention de la sarl Librairie Pierre Téqui est admise.
Article 2 : Les requêtes de la société Le Poirier-au-Loup et de M. A... sont rejetées.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la société le Poirier-au-Loup, à M. C... A..., à la société Ring et au ministre des solidarités et de la santé.
Copie en sera adressée au Premier Ministre, au ministre de l'intérieur et à la ministre de la culture.
Délibéré à l'issue de la séance du 10 novembre 2020 où siégeaient : M. Jean-Denis Combrexelle, président de la section du contentieux, présidant ; M. B... E... et M. D... F..., conseillers d'Etat, juges des référés.