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10/11/2020 | FRANCE | N°445534

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 10 novembre 2020, 445534


Vu la procédure suivante :

Par une requête et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 21 octobre et les 4 et 9 novembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... C... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) d'ordonner la suspension de l'exécution de la décision n° 8 du 24 septembre 2020 de la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers, en tant qu'elle prononce à son encontre une sanction pécuniaire de 100 000 euros ainsi qu'une inte

rdiction d'exercer la profession de gérant ou de dirigeant d'une société de...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 21 octobre et les 4 et 9 novembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... C... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) d'ordonner la suspension de l'exécution de la décision n° 8 du 24 septembre 2020 de la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers, en tant qu'elle prononce à son encontre une sanction pécuniaire de 100 000 euros ainsi qu'une interdiction d'exercer la profession de gérant ou de dirigeant d'une société de gestion pendant une durée de cinq ans ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que:

- sa requête est recevable, dès lors que le Conseil d'Etat est compétent pour en connaître en premier et dernier ressort ;

- la condition d'urgence est remplie dès lors, en premier lieu, que l'exécution de la sanction pécuniaire de 100 000 euros porte une atteinte grave et immédiate à sa situation car ses ressources ne lui permettent pas de s'acquitter d'une telle somme, en deuxième lieu, que la sanction d'interdiction d'exercer produit elle aussi des effets pratiques néfastes, en ce que d'une part, elle fait obstacle à l'exécution de la décision de retrait d'agrément de la Société de gestion des fonds d'investissement de Bretagne (" Nestadio ") prononcée par la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers et, d'autre part, elle entraîne un préjudice, difficilement réparable eu égard à la dégradation sans précédent du contexte économique depuis le mois de mars 2020, lié à la perte financière relative à l'interdiction d'exercer ses fonctions au sein d'une autre société ainsi qu'aux difficultés qu'il rencontrera pour trouver une position adaptée à son parcours et à ses compétences ;

- il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée ;

- la décision contestée est entachée d'un vice de procédure dès lors qu'en ne permettant pas de faire utilement valoir un moyen nouveau, révélé au cours de la séance du 10 juillet 2020, dont la nature et la portée auraient justifié la réouverture de l'instruction écrite et un renvoi de l'affaire à une séance ultérieure, la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers a méconnu le principe du caractère contradictoire de la procédure et les droits de la défense ;

- elle est entachée d'une erreur de droit dès lors que l'article L. 532-10 du code monétaire et financier ne confère pas compétence à la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers pour prononcer une sanction à l'encontre du dirigeant d'une société ayant fait l'objet d'un retrait d'agrément ;

- le montant de la sanction pécuniaire est disproportionné dès lors que, d'une part, les six griefs pris en compte pour la justifier portent sur des manquements de la Société de gestion des fonds d'investissement de Bretagne, qui relèvent essentiellement d'une forme de négligence, et, d'autre part, il est fondé sur une appréciation erronée de sa situation et de sa capacité financière, au vu notamment de son patrimoine et de ses revenus annuels ;

- la sanction d'interdiction professionnelle est disproportionnée dès lors que d'une part, elle porte une atteinte irrémédiable à sa réputation et, par conséquent, à son activité et, d'autre part, sa durée, de cinq ans, est excessive au regard de la gravité relative des manquements reprochés.

Par un mémoire en défense et un nouveau mémoire, enregistrés les 30 octobre et 9 novembre 2020, l'Autorité des marchés financiers conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de M. C... la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que la condition d'urgence n'est pas remplie et qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, et notamment son Préambule ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code monétaire et financier ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. C..., d'autre part, l'Autorité des marchés financiers ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 10 novembre 2020, à 10 heures :

- Me Sureau, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. C... ;

- Me A..., avocate au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocate de l'Autorité des marchés financiers ;

- les représentants de l'Autorité des marchés financiers ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction.

Considérant ce qui suit :

1. A la suite d'un contrôle diligenté par le secrétaire général de l'Autorité des marchés financiers (AMF), cette dernière a notifié à la Société de gestion des fonds d'investissement de Bretagne, ci-après désignée Nestadio et à son président M. B... C..., des griefs constitutifs de manquements à plusieurs dispositions du règlement de l'AMF, notification qui a été transmise à la commission des sanctions de l'AMF. Par une décision du 24 septembre 2020, la commission des sanctions a notamment infligé à M. C... une sanction d'interdiction de gérer une société de gestion pour 5 ans, et une sanction pécuniaire de cent mille euros, publiées sur le site internet de l'autorité pendant la durée de l'interdiction de gérer. Entretemps, l'AMF ayant constaté que la société Nestadio ne fonctionnait pas conformément à son agrément a retiré celui-ci par décision du 17 décembre 2019, avec effet au 31 décembre 2020, un administrateur provisoire étant chargé de diriger la société depuis le 13 octobre 2020.

2. Sur le fondement de l'article L 521-1 du code de justice administrative, M. C... demande la suspension de la décision de sanction prononcée à son encontre.

3. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision. ".

4. M. C... soutient en premier lieu que la décision de sanction aurait été prise au terme d'une procédure irrégulière, résultant de ce qu'ayant abandonné un moyen d'incompétence de la commission des sanctions pour le transformer en un moyen d'interprétation des dispositions de l'article L. 532-10 du code monétaire et financier, la commission, dont il n'est pas contesté qu'elle a répondu à ce moyen, n'aurait ni permis son développement, ni rouvert l'instruction à cette fin. Il résulte cependant des termes mêmes du paragraphe 10 de la décision critiquée, que la commission, après avoir exposé le moyen initial tiré de son incompétence à sanctionner une société dépourvue d'agrément, a ensuite cité l'article L. 532-10 pour en donner une interprétation rejetant celle proposée par le requérant et fondant sa capacité à lui infliger une sanction. Alors au surplus que le requérant n'a ni produit de note en délibéré, ni sollicité une réouverture de l'instruction devant la commission, le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure n'est pas susceptible de faire naître un doute sérieux sur la légalité de la décision.

5. En deuxième lieu, l'article L. 621-15 code monétaire et financier donne compétence à l'AMF pour sanctionner les sociétés du type auquel appartient Nestadio, et leurs dirigeants. La requête interprète les dispositions de l'article L. 532-10, qui prévoient qu'une société privée d'agrément peut être sanctionnée, comme empêchant par voie de conséquence l'AMF de sanctionner M. C.... Une telle interprétation, qui donnerait au retrait d'agrément l'effet paradoxal d'interdire les sanctions, à raison des faits antérieurs au retrait, contre les dirigeants des sociétés qu'ils ont gérées sans se conformer à leur agrément, créant ainsi une forme d'immunité au profit des responsables des manquements ayant conduit au retrait d'agrément, ne peut manifestement pas créer un doute sérieux sur le fondement légal de la décision attaquée.

6. En dernier lieu, la requête soutient que la sanction est disproportionnée, par son montant et ses effets. Au regard de la gravité, de la durée et du nombre de manquements sanctionnés, ni les comparaisons avec d'autres sanctions, décidées dans des contextes différents par la commission, ni l'invocation de la situation personnelle de M. C..., dont l'ample patrimoine et les revenus, notamment tirées de pensions de retraites, qui ne conduisent pas à regarder l'entrave que crée la suspension au développement de son activité de dirigeant de société de gestion comme portant dans les circonstances de l'espèce une atteinte excessive à ses activités professionnelles, ne permettent de regarder ce moyen comme jetant un doute sérieux sur la légalité de la décision critiquée.

7. Il résulte de ce qui précède que la requête à fin de suspension de la décision de l'AMF sanctionnant M. C... ne peut, sans qu'il soit besoin d'examiner la condition d'urgence, qu'être rejetée, ensemble ses conclusions tendant à ce que l'AMF lui verse une somme de 3 000 euros, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative y faisant obstacle dès lors que l'AMF n'est pas la partie perdante. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions de l'AMF tendant à ce que M. C... lui verse une somme d'argent sur le même fondement.

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de l'Autorité des marchés financiers présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. B... C... et à l'Autorité des marchés financiers.


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 445534
Date de la décision : 10/11/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 10 nov. 2020, n° 445534
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP SPINOSI, SUREAU ; SCP OHL, VEXLIARD

Origine de la décision
Date de l'import : 21/11/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2020:445534.20201110
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