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19/10/2020 | FRANCE | N°445056

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 19 octobre 2020, 445056


Vu la procédure suivante :

M. B... A... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre au département de l'Isère de poursuivre sa prise en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance, notamment en ce qui concerne son logement, ses besoins alimentaires et sanitaires et son suivi socio-éducatif, sous astreinte de 200 euros par jour de retard. Par une ordonnance n° 2005352 du 18 septembre 2020, le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a

enjoint au président du département de l'Isère de proposer à M. A....

Vu la procédure suivante :

M. B... A... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre au département de l'Isère de poursuivre sa prise en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance, notamment en ce qui concerne son logement, ses besoins alimentaires et sanitaires et son suivi socio-éducatif, sous astreinte de 200 euros par jour de retard. Par une ordonnance n° 2005352 du 18 septembre 2020, le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a enjoint au président du département de l'Isère de proposer à M. A..., dans un délai de 72 heures, un accompagnement comportant l'accès à une solution de logement et de prise en charge de ses besoins alimentaires et sanitaires, ainsi qu'un suivi socio-éducatif.

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 2 et 5 octobre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le département de l'Isère demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de rejeter les demandes de première instance de M. A....

Il soutient que :

- l'ordonnance contestée est insuffisamment motivée et entachée d'erreur de droit et d'erreur d'appréciation en ce qu'elle juge que la condition d'urgence est satisfaite sans rechercher si la situation est imputable au comportement de M. A... ;

- que c'est à tort que le juge des référés a considéré que le refus de prise en charge de M. A... au-delà du 30 août 2020 révélait une carence caractérisée du département alors qu'aucune obligation ne pesait plus sur le département qui avait maintenu la prise en charge de l'intéressé jusqu'à la fin de l'année scolaire entreprise ;

- c'est à tort que le juge des référés a considéré que l'arrêt de la prise en charge à compter du 31 août 2020 était constitutif d'une carence caractérisée du département alors que le comportement de M. A... justifiait le non renouvellement d'une telle prise en charge ;

- que M. A... est en réalité âgé de 27 ans et ne peut être pris en charge au titre de l'aide sociale à l'enfance.

Par mémoire en défense, enregistré le 7 octobre 2020, M. A..., d'une part, demande à être admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire et, d'autre part, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge du département de l'Isère le versement de la somme au bénéfice de son conseil de 3 500 euros au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, le département de l'Isère et, d'autre part, M. A... ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 9 octobre 2020 à 15 heures 30 ;

- Me Froger, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat du département de l'Isère ;

- Me Coudray, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. A... ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a différé la clôture de l'instruction au 14 octobre 2020 à 18 heures, puis au 15 octobre 2020 à 17 heures.

Vu le nouveau mémoire, enregistré le 14 octobre 2020, produit par le département de l'Isère ;

Vu le nouveau mémoire et les nouvelles pièces, enregistrés les 14 et 15 octobre 2020, produits par M. A... ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., qui indique être né le 19 septembre 2001, a été confié, par un juge des enfants près le tribunal de grande instance de Grenoble au service de l'aide sociale à l'enfance du département de l'Isère, du 22 novembre 2018 jusqu'au 19 septembre 2019. Au terme de cette prise en charge, le président du conseil départemental de l'Isère a, par une décision du 12 septembre 2019, accordé à M. A... le bénéfice d'un " projet jeune majeur " prévoyant son accompagnement par l'aide sociale à l'enfance jusqu'au 31 décembre 2019. La prise en charge de M. A... par l'aide sociale à l'enfance s'est néanmoins poursuivie après cette date. Par une décision du 20 juillet 2020, le département de l'Isère a mis fin à cette prise en charge à compter du 31 août 2020. Par une ordonnance du 18 septembre 2020, le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, saisi par M. A... sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a enjoint au département de l'Isère de proposer à M. A..., dans un délai de 72 heures, un accompagnement comportant l'accès à une solution de logement et de prise en charge de ses besoins alimentaire et sanitaires ainsi qu'un suivi socio-éducatif.

2. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale ".

3. Aux termes de l'article L. 221-1 du code de l'aide sociale et des familles : " Le service de l'aide sociale à l'enfance est un service non personnalisé du département chargé des missions suivantes : / 1° Apporter un soutien matériel, éducatif et psychologique tant aux mineurs et à leur famille ou à tout détenteur de l'autorité parentale, confrontés à des difficultés risquant de mettre en danger la santé, la sécurité, la moralité de ces mineurs ou de compromettre gravement leur éducation ou leur développement physique, affectif, intellectuel et social, qu'aux mineurs émancipés et majeurs de moins de vingt et un ans confrontés à des difficultés familiales, sociales et éducatives susceptibles de compromettre gravement leur équilibre (...) ". Aux termes des sixième et septième alinéas de l'article L. 222-5 du même code : " Peuvent être également pris en charge à titre temporaire par le service chargé de l'aide sociale à l'enfance les mineurs émancipés et les majeurs âgés de moins de vingt et un ans qui éprouvent des difficultés d'insertion sociale faute de ressources ou d'un soutien familial suffisants / Un accompagnement est proposé aux jeunes mentionnés au 1° du présent article devenus majeurs et aux majeurs mentionnés à l'avant-dernier alinéa, au-delà du terme de la mesure, pour leur permettre de terminer l'année scolaire ou universitaire engagée ".

4. Il résulte de ces dispositions que, sous réserve de l'hypothèse dans laquelle un accompagnement doit être proposé au jeune pour lui permettre de terminer l'année scolaire ou universitaire engagée, le président du conseil départemental dispose d'un large pouvoir d'appréciation pour accorder ou maintenir la prise en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance d'un jeune majeur de moins de vingt et un ans éprouvant des difficultés d'insertion sociale faute de ressources ou d'un soutien familial suffisants et peut à ce titre, notamment, prendre en considération les perspectives d'insertion qu'ouvre une prise en charge par ce service compte tenu de l'ensemble des circonstance de l'espèce, y compris le comportement du jeune majeur.

5. Il résulte de l'instruction que si le " projet jeune majeur " dont bénéficiait M. A... s'est achevé le 31 décembre 2019, sa prise en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance s'est poursuivie au-delà de cette date et lui a permis de terminer l'année scolaire qui était engagée lorsque la mesure d'assistance éducative prononcée par le juge des enfants a pris fin le 19 septembre 2019. M. A... a eu un comportement inadéquat avec les familles qui devaient l'héberger, se montrant notamment injurieux et menaçant avec la famille qui l'a accueilli pendant le confinement, et a dû, en raison de ce comportement, être placé à l'hôtel. Si M. A... produit un certificat de scolarité attestant qu'il est inscrit en deuxième année de CAP et que sa fréquentation est régulière, il a présenté un manque de motivation et d'assiduité dans sa formation de première année en CAP avec notamment de nombreuses absences au cours du premier semestre qui ne peuvent être uniquement justifiées par les rendez-vous administratifs auxquels il se serait rendu. M. A... n'a pas mené à bien les démarches proposées par l'association chargée de son accompagnement auprès de l'ambassade de la République de Guinée en France pour faire attester de la validité des documents en sa possession au regard de l'état civil déclaré au moment de son arrivée en France. Dès lors, en l'état de l'instruction, eu égard au comportement de M. A... et au large pouvoir d'appréciation dont dispose le président du conseil départemental dans la mise en oeuvre des dispositions du sixième alinéa de l'article L. 222-5 du code de l'action sociale des familles, la décision refusant de mettre fin à la prise en charge de M. A... au titre de l'aide sociale à l'enfance ne peut être regardée comme portant une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. Le département est, par suite, fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a pour ce motif prononcé l'injonction litigieuse.

6. Il appartient au juge des référés du Conseil d'Etat d'examiner, au titre de l'effet dévolutif de l'appel, les autres moyens soulevés par M. A... au soutien de sa demande présentée sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative.

7. En premier lieu, lorsqu'il statue sur un recours dirigé contre une décision refusant une prise en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance, il appartient au juge administratif, eu égard tant à la finalité de son intervention qu'à sa qualité de juge de plein contentieux, non de se prononcer sur les éventuels vices propres de la décision attaquée, mais d'examiner la situation de l'intéressé, en tenant compte de l'ensemble des circonstances de fait qui résultent de l'instruction et, notamment, du dossier qui lui est communiqué en application de l'article R. 7728 du code de justice administrative. M. A... ne peut, dès lors, utilement invoquer les vices propres qui affecteraient la décision du 20 juillet 2020 tirés de l'incompétence du signataire de cette décision et du non-respect du caractère contradictoire de la procédure.

8. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration : " L'administration ne peut abroger ou retirer une décision créatrice de droits de sa propre initiative ou sur la demande d'un tiers que si elle est illégale et si l'abrogation ou le retrait intervient dans le délai de quatre mois suivant la prise de cette décision ". Toutefois, en vertu de l'article L. 242-2 du même code, l'administration peut, sans condition de délai abroger une décision créatrice de droits dont le maintien est subordonné à une condition qui n'est plus remplie.

9. Si M. A... soutient que l'accompagnement dont il a bénéficié au-delà de l'expiration du " projet jeune majeur " le 31 décembre 2019 était une décision créatrice de droits sur laquelle le président du conseil départemental ne pouvait revenir et que ce dernier ne pouvait prendre en compte son comportement pour mettre fin à cet accompagnement, ainsi qu'il a été indiqué au point 4, le président du conseil départemental peut prendre en considération le comportement d'un jeune majeur pour maintenir sa prise en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance.

10. Il résulte de tout ce qui précède que le département de l'Isère est fondé à soutenir que c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a fait droit à la demande de M. A.... Il y a lieu, par suite, d'annuler l'ordonnance attaquée et de rejeter la demande présentée par M. A... ainsi que ses conclusions au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il y a lieu d'admettre M. A... au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire.

O R D O N N E :

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Article 1er : M. A... est admis à l'aide juridictionnelle à titre provisoire.

Article 2 : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Grenoble du 18 septembre 2020 est annulée.

Article 3 : La demande présentée par M. A... contre le département de l'Isère sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative et ses conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée au département de l'Isère et à M. B... A....


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 445056
Date de la décision : 19/10/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 19 oct. 2020, n° 445056
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP FOUSSARD, FROGER ; SCP THOUVENIN, COUDRAY, GREVY

Origine de la décision
Date de l'import : 03/11/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2020:445056.20201019
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