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28/09/2020 | FRANCE | N°425378

France | France, Conseil d'État, 9ème chambre, 28 septembre 2020, 425378


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 14 novembre 2018 et le 7 septembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Enerplan-Syndicat des professionnels de l'énergie solaire demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la délibération de la Commission de régulation de l'énergie du 7 juin 2018 portant décision sur la tarification de l'autoconsommation et modification de la délibération du 17 novembre 2016 portant décision sur les tarifs d'utilisation des réseaux publics d'

lectricité dans les domaines de tension HTA et BT, ainsi que la décision impl...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 14 novembre 2018 et le 7 septembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Enerplan-Syndicat des professionnels de l'énergie solaire demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la délibération de la Commission de régulation de l'énergie du 7 juin 2018 portant décision sur la tarification de l'autoconsommation et modification de la délibération du 17 novembre 2016 portant décision sur les tarifs d'utilisation des réseaux publics d'électricité dans les domaines de tension HTA et BT, ainsi que la décision implicite rejetant le recours gracieux formé contre cette délibération ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution ;

- la directive (UE) 2018/844 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2018 modifiant la directive 2010/31/UE sur la performance énergétique des bâtiments et la directive 2012/27/UE relative à l'efficacité énergétique ;

- la directive (UE) 2018/2001 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 relative à la promotion de l'utilisation de l'énergie produite à partir de sources renouvelables ;

- le code de l'énergie ;

- la loi n° 2017-227 du 24 février 2017 ;

- l'ordonnance n° 2016-1019 du 27 juillet 2016 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. A... B..., chargé des fonctions de maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 315-1 du code de l'énergie dans sa rédaction applicable à la date de la délibération attaquée : " Une opération d'autoconsommation individuelle est le fait pour un producteur, dit autoproducteur, de consommer lui-même et sur un même site tout ou partie de l'électricité produite par son installation ". Aux termes de l'article L. 315-2 du même code : " L'opération d'autoconsommation est collective lorsque la fourniture d'électricité est effectuée entre un ou plusieurs producteurs et un ou plusieurs consommateurs finals liés entre eux au sein d'une personne morale et dont les points de soutirage et d'injection sont situés en aval d'un même poste public de transformation d'électricité de moyenne en basse tension. (...). ". Aux termes de l'article L. 315-3 du même code : " La Commission de régulation de l'énergie établit des tarifs d'utilisation des réseaux publics de distribution d'électricité spécifiques pour les consommateurs participant à des opérations d'autoconsommation, lorsque la puissance installée de l'installation de production qui les alimente est inférieure à 100 kilowatts ".

2. En application de ces dispositions, la Commission de régulation de l'énergie a, par une délibération du 7 juin 2018, modifié sa délibération du 17 novembre 2016 portant décision sur les tarifs d'utilisation des réseaux publics d'électricité dans les domaines de tension HTA (haute tension A) et BT (basse tension), afin, d'une part, d'introduire une nouvelle formule tarifaire, optionnelle, pour l'établissement de la composante annuelle des soutirages au domaine de tension BT des utilisateurs participant à une opération d'autoconsommation collective et, d'autre part, de fixer une composante annuelle de gestion spécifique pour ces utilisateurs. L'association Enerplan-Syndicat des professionnels de l'énergie solaire demande l'annulation de cette délibération.

Sur la régularité de la procédure à l'issue de laquelle la délibération attaquée a été adoptée :

3. Aux termes du quatrième alinéa de l'article L. 341-3 du code de l'énergie, relatif aux méthodologies utilisées pour établir les tarifs d'utilisation des réseaux publics de transport et de distribution d'électricité, la Commission de régulation de l'énergie " procède, selon les modalités qu'elle détermine, à la consultation des acteurs du marché de l'énergie ". Il résulte de ces dispositions que la Commission de régulation de l'énergie est tenue, avant l'adoption des tarifs d'utilisation des réseaux publics d'électricité, de consulter les acteurs du marché, selon des modalités qu'il lui appartient de déterminer. La Commission doit, dans ce cadre, exposer à ces acteurs de manière suffisamment précise les modalités de calcul des tarifs ainsi que les évolutions envisagées par rapport à la précédente période tarifaire afin qu'ils puissent utilement lui transmettre leurs observations. Elle n'est en revanche pas tenue de répondre à ces dernières.

4. Il ressort des pièces du dossier qu'avant d'adopter la décision attaquée, la Commission de régulation de l'énergie a procédé à une consultation publique sur la base d'un document publié sur son site internet le 15 février 2018, qui, contrairement à ce qui est soutenu, expose de manière suffisamment précise les évolutions envisagées pour adapter les tarifs d'utilisation des réseaux publics d'électricité fixés par la délibération du 17 novembre 2016 au développement des opérations d'autoconsommation. Par ailleurs, la circonstance que le Conseil supérieur de l'énergie ait rendu un avis partiellement défavorable au projet est sans incidence sur la régularité de la procédure à l'issue de laquelle la décision attaquée a été adoptée.

Sur les coûts pris en compte pour déterminer les tarifs applicables aux opérations d'autoconsommation collective :

5. Aux termes de l'article L. 341-2 du code de l'énergie : " Les tarifs d'utilisation du réseau public de transport et des réseaux publics de distribution sont calculés de manière transparente et non discriminatoire, afin de couvrir l'ensemble des coûts supportés par les gestionnaires de ces réseaux dans la mesure où ces coûts correspondent à ceux d'un gestionnaire de réseau efficace ". Aux termes du sixième alinéa de l'article L. 341-4 du même code : " La structure et le niveau des tarifs d'utilisation des réseaux de transport et de distribution d'électricité sont fixés afin d'inciter les clients à limiter leur consommation aux périodes où la consommation de l'ensemble des consommateurs est la plus élevée au niveau national. Ils peuvent également inciter les clients à limiter leur consommation aux périodes de pointe au niveau local. A cet effet, la structure et le niveau des tarifs d'utilisation des réseaux de transport et de distribution peuvent, sous réserve d'assurer la couverture de l'ensemble des coûts prévue à l'article L. 341-2 et de manière proportionnée à l'objectif de maîtrise des pointes électriques, s'écarter pour un consommateur de la stricte couverture des coûts de réseau qu'il engendre. "

6. Il ressort de la délibération attaquée qu'en l'absence d'éléments permettant, à la date de sa décision, de quantifier précisément les éventuels surcoûts ou économies résultant des opérations d'autoconsommation collective pour les gestionnaires des réseaux publics de distribution d'électricité, la Commission de régulation de l'énergie a fixé les tarifs applicables à ces opérations en se fondant, d'une part, sur son analyse des effets probables de l'autoconsommation sur les réseaux, exposés dans la note soumise à la consultation des acteurs du marché le 15 février 2018, et, d'autre part, sur les observations communiquées par ces acteurs dans le cadre de cette consultation. L'association requérante, qui ne propose pas de méthodologie alternative pour évaluer les coûts de réseau spécifiques des opérations d'autoconsommation collective, n'est pas fondée à soutenir que les tarifs ainsi fixés par la délibération attaquée méconnaissent l'obligation de couverture de l'ensemble des coûts supportés par les gestionnaires de réseaux prévue à l'article L. 341-2 du code de l'énergie.

Sur la prise en compte des objectifs de performance énergétique et de développement de l'autoconsommation :

7. En premier lieu, il résulte des travaux préparatoires de la loi du 24 février 2017 ratifiant l'ordonnance du 27 juillet 2016 relative à l'autoconsommation, dont l'article L. 315-3 du code de l'énergie est issu, que l'instauration d'une tarification spécifique d'utilisation des réseaux publics de distribution d'électricité pour les consommateurs participant à des opérations d'autoconsommation a pour objet de permettre que les tarifs facturés à ces consommateurs reflètent correctement tant les coûts supportés par les gestionnaires des réseaux à raison de ces opérations que les économies qu'elles engendrent.

8. La délibération attaquée prévoit que les participants à une opération d'autoconsommation collective peuvent opter pour une formule tarifaire à deux niveaux permettant de distinguer, au sein de la composante annuelle de soutirage qui leur est facturée, la part des soutirages correspondant à l'électricité autoproduite, dont le tarif est fixé à un niveau inférieur à celui de l'option tarifaire standard, et la part des soutirages " alloproduits ", correspondant au complément d'approvisionnement assuré par un fournisseur d'électricité, dont le tarif est fixé à un niveau légèrement supérieur à celui de l'option tarifaire standard. La Commission de régulation de l'énergie indique que l'option pour cette formule tarifaire entraînera une économie pour environ 89 % des projets d'autoconsommation collective, correspondant à une baisse moyenne de la composante de soutirage facturée de 13,3 %. Par ailleurs, la délibération fixe une composante annuelle de gestion spécifique pour les participants à une opération d'autoconsommation collective, égale au tarif de cette composante applicable aux auto-producteurs individuels majoré de 50 %. En fixant des niveaux de tarifs spécifiques permettant, d'une part, d'inciter les utilisateurs concernés à augmenter leur autoproduction, en particulier aux heures de pointe, et, d'autre part, de tenir compte des coûts de gestion spécifiques engendrés par ces utilisateurs pour les gestionnaires des réseaux, la Commission de régulation de l'énergie n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 315-3 du code de l'énergie citées au point 1 ci-dessus.

9. En deuxième lieu, le f) du paragraphe 6 de l'article 21 de la directive 2018-2001 du 11 décembre 2018 prévoit que les Etats membres mettent en place un cadre favorable visant à promouvoir et à favoriser le développement de l'autoconsommation d'énergies renouvelables qui permette de s'assurer que les autoconsommateurs d'énergies renouvelables contribuent de manière adéquate et équilibrée au partage du coût global du système lorsque de l'électricité est injectée dans le réseau. Par ailleurs, le d) du paragraphe 4 de l'article 22 de cette directive prévoit que le même cadre favorable doit permettre de garantir que les communautés d'énergie renouvelable sont soumises à des frais d'accès au réseau reflétant les coûts, ainsi qu'aux frais, prélèvements et taxes applicables, de manière à ce qu'elles contribuent de manière adéquate, équitable et équilibrée au partage du coût global du système, conformément à une analyse coûts-bénéfices transparente des ressources énergétiques distribuées réalisée par les autorités nationales compétentes. Contrairement à ce que soutient l'association requérante, l'établissement de tarifs spécifiques d'utilisation des réseaux publics de distribution d'électricité pour les participants à des opérations d'autoconsommation collective ne constitue pas une mesure de nature à compromettre sérieusement la réalisation de l'objectif prescrit par la directive, dont le délai de transposition n'était, à la date de la décision attaquée, pas expiré. Il en est de même s'agissant des dispositions de l'article 1er de la directive du 30 mai 2018 modifiant la directive 2010/31/UE sur la performance énergétique des bâtiments qui prévoient que les Etats membres fixent des exigences aux fins d'optimiser l'utilisation d'énergie des systèmes techniques de bâtiment, dont font partie les équipements techniques de production d'électricité sur site d'un bâtiment ou d'une unité de bâtiment.

Sur la différence de traitement entre les utilisateurs des réseaux :

10. Le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un comme l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier.

11. D'une part, la décision attaquée prévoit que les participants à une opération d'autoconsommation collective peuvent opter, en ce qui concerne la composante annuelle de soutirage des tarifs qui leur est facturée, soit pour la formule tarifaire spécifique qu'elle institue, soit pour l'une des options tarifaires standard proposées aux autres utilisateurs. Par suite et en tout état de cause, la société requérante ne peut utilement contester la conformité au principe d'égalité de cette formule tarifaire spécifique.

12. D'autre part, l'article L. 315-6 du code de l'énergie prévoit que les gestionnaires des réseaux publics de distribution d'électricité mettent en oeuvre les dispositifs techniques et contractuels nécessaires, notamment en ce qui concerne le comptage de l'électricité, pour permettre la réalisation dans des conditions transparentes et non discriminatoires des opérations d'autoconsommation. Ils assurent, aux termes des articles L. 315-4 et R. 315-6 du même code, la répartition de la production des installations d'une opération collective conformément à un coefficient communiqué par la personne morale organisatrice de l'opération ou, à défaut, en fonction de la consommation des participants et établissent par ailleurs la consommation d'électricité relevant, le cas échéant, du fournisseur appelé à fournir un complément d'approvisionnement. L'article D. 315-9 du code de l'énergie impose aux gestionnaires de réseaux de conclure un contrat avec les personnes morales organisatrices d'une opération de consommation collective aux fins de définir les modalités de mise en oeuvre de cette opération.

13. Il ressort de la délibération attaquée que la majoration de 50 % de la composante annuelle de gestion applicable aux participants à une opération d'autoconsommation collective par rapport au tarif applicable aux auto-producteurs individuels permet de prendre en compte les surcoûts supportés par les gestionnaires des réseaux publics de distribution d'électricité à raison de la mise en oeuvre des obligations instituées par les dispositions du code de l'énergie analysées au point 12 ci-dessus. La différence de traitement qui en résulte avec les autres utilisateurs du réseau est en rapport direct avec l'objet de la réglementation relative à l'autoconsommation et n'est pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier. Par suite, l'association requérante n'est pas fondée à soutenir qu'elle méconnaît le principe d'égalité.

14. Il résulte de tout ce qui précède que l'association n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision qu'elle attaque. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

Sur les conclusions présentées par la Commission de régulation de l'énergie tendant à ce qu'une amende pour recours abusif soit infligée à l'association requérante :

15. Aux termes de l'article R. 741-12 du code de justice administrative : " Le juge peut infliger à l'auteur d'une requête qu'il estime abusive une amende dont le montant ne peut excéder 3 000 euros ". La faculté prévue par ces dispositions constituant un pouvoir propre du juge, les conclusions présentées par la Commission de régulation de l'énergie tendant à ce qu'une amende pour recours abusif soit infligée à l'association requérante ne sont pas recevables.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de l'association Enerplan-Syndicat des professionnels de l'énergie solaire est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par la Commission de régulation de l'énergie tendant à ce qu'une amende pour recours abusif soit infligée à l'association Enerplan-Syndicat des professionnels de l'énergie solaire sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'association Enerplan-Syndicat des professionnels de l'énergie solaire et à la Commission de régulation de l'énergie.

Copie en sera adressée à la ministre de la transition écologique.


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 28 sep. 2020, n° 425378
Inédit au recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Jean-Luc Prévoteau
Rapporteur public ?: Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon

Origine de la décision
Formation : 9ème chambre
Date de la décision : 28/09/2020
Date de l'import : 03/10/2020

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 425378
Numéro NOR : CETATEXT000042375617 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2020-09-28;425378 ?
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