Vu la procédure suivante :
Par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 31 août et 10 septembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Groupe CGFI et M. B... A... demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :
1°) à titre principal, d'ordonner la suspension de l'exécution de la décision n° 5 du 3 juillet 2020 de la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers (AMF) prononçant, d'une part, à l'encontre de la société Groupe CGFI une sanction pécuniaire d'un montant de 50 000 euros et une interdiction d'exercer l'activité de conseiller en investissements financiers (CIF) pendant une durée de 5 ans et, d'autre part, à l'encontre de M. A... la même sanction assortie d'une interdiction similaire d'exercice professionnel ;
2°) à titre subsidiaire, d'ordonner la suspension de l'exécution de cette même décision en tant qu'elle prononce une interdiction d'exercer l'activité de conseiller en investissements financiers pendant une durée de 5 ans tant à l'encontre de la société Groupe CGFI qu'à l'encontre de M. A... ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- la condition d'urgence est remplie eu égard à la gravité des conséquences des interdictions d'exercer l'activité de CIF, dès lors notamment qu'elles compromettent la poursuite de l'activité de la société Groupe CGFI, ainsi que la situation financière et professionnelle de M. A... associé unique de la société CGFI et proche de la retraite ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée ;
- la décision contestée est entachée d'irrégularité en ce que la procédure prévue à l'article L. 621-15 du code monétaire et financier, permettant à un membre du collège de l'AMF d'assister à l'audience, sans voix délibérative, afin de présenter des observations au soutien des griefs notifiés et de proposer une sanction, sans permettre aux parties poursuivies d'en prendre connaissance avant le prononcé de sa décision par la commission des sanctions de l'AMF, méconnaît le principe du contradictoire, garanti notamment à l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est disproportionnée dès lors que les manquements constatés résultent d'un manque de rigueur formel, qu'ils ont été sans conséquences pour la sécurité des clients comme pour leurs intérêts et qu'il n'en résulte aucun enrichissement de la société Groupe CGFI et de M. A....
Par un mémoire en défense, enregistré le 8 septembre 2020, l'AMF conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la société Groupe CGFI et de M. A... la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que la condition d'urgence n'est pas remplie et qu'aucun des moyens n'est de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code monétaire et financier ;
- le règlement général de l'Autorité des marchés financiers ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la société Groupe CGFI et M. A... et, d'autre part, l'Autorité des marchés financiers ;
Ont été entendus lors de l'audience publique du 11 septembre 2020, à 15 heures :
- Me Mégret, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la société Groupe CGFI et de M. A... ;
- Me Ohl, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de l'Autorité des marchés financiers ;
- les représentants de l'Autorité des marchés financiers ;
à l'issue de laquelle le juge des référés a prononcé la clôture de l'instruction.
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".
2. La société par actions simplifiée Groupe consultant en gestion financière internationale ( CGFI) et M. B... A... demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, d'ordonner la suspension de l'exécution de la décision du 3 juillet 2020 par laquelle la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers (AMF) a prononcé à leur encontre, d'une part, l'interdiction d'exercer l'activité de conseiller en investissements financiers (CIF) pendant une durée de cinq ans, et, d'autre part, à l'encontre de chacun des requérants, une sanction pécuniaire d'un montant de 50 000 euros.
Sur la régularité de la décision litigieuse :
3. Aux termes du troisième alinéa du I de l'article L. 621-15 du code monétaire et financier, " Un membre du collège, ayant examiné le rapport d'enquête ou de contrôle et pris part à la décision d'ouverture d'une procédure de sanction, est convoqué à l'audience. Il y assiste sans voix délibérative. Il peut être assisté ou représenté par les services de l'Autorité des marchés financiers. Il peut présenter des observations au soutien des griefs notifiés et proposer une sanction. " La faculté ainsi ouverte à un membre du collège ayant pris part à la phase d'instruction préalable à l'instance disciplinaire de présenter des observations et de proposer une sanction doit être regardée comme celle d'émettre un avis, qui ne lie la commission des sanctions ni quant au principe même du prononcé d'une sanction, ni quant au quantum de celle-ci .Eu égard au caractère et aux modalités de la procédure suivie devant la commission des sanctions ainsi qu'à la possibilité offerte aux personnes poursuivies de s'exprimer en dernier lieu, ni le caractère contradictoire de la procédure, ni le principe des droits de la défense rappelés par l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'implique que la proposition de sanction formulée lors de l'audience par le membre du collège fasse l'objet d'un rapport et soit communiquée préalablement aux personnes poursuivies. Le moyen tiré de ce que la procédure aurait été irrégulière faute de communication aux requérants, préalablement à l'audience, des observations du membre du collège, n'est pas de nature à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée.
Sur le bien-fondé de la décision litigieuse :
4. Aux termes du I de l'article L. 541-1 du code monétaire et financier, dans sa rédaction en vigueur à la date des faits reprochés : " Les conseillers en investissements financiers sont les personnes exerçant à titre de profession habituelle les activités suivantes : 1° Le conseil en investissement mentionné au 5 de l'article L. 321-1. [...] ". Le 4° de l'article L. 541-8-1 du même code, dans sa rédaction en vigueur à la même date, dispose que les conseillers en investissement doivent " S'enquérir auprès de leurs clients ou de leurs clients potentiels, avant de formuler un conseil mentionné au I de l'article L. 541-1, de leurs connaissances et de leur expérience en matière d'investissement, ainsi que de leur situation financière et de leurs objectifs d'investissement, de manière à pouvoir leur recommander les opérations, instruments et services adaptés à leur situation... ". Le 5° de l'article L. 541-8-5 prévoit que : " Les conseillers en investissements financiers doivent : / Communiquer aux clients d'une manière appropriée [...] les informations utiles à la prise de décision par ces clients ainsi que celles concernant les modalités de leur rémunération, notamment la tarification de leurs prestations. " L'article L. 541-6 énonce que : " Un conseiller en investissements financiers ne peut [...] recevoir [de ses clients] d'autres fonds que ceux destinés à rémunérer son activité ". Le 2° de l'article L. 541-8-1 dispose que les CIF doivent : " Exercer leur activité, dans les limites autorisées par leur statut, avec la compétence, le soin et la diligence qui s'imposent aux mieux des intérêts de leurs clients. "
5. La décision attaquée fait grief au CGFI d'avoir méconnu, en premier lieu, les dispositions du 4° de l'article L. 541-8-1 précitées, en conseillant entre le 1er janvier 2015 et le 31 mars 2018 à la Congrégation des soeurs de la charité de Nevers des investissements très spéculatifs inadaptés tant aux connaissances de la Congrégation qu'à sa situation financière et à ses objectifs d'investissement. La décision attaquée fait aussi grief au CGFI d'avoir méconnu, en deuxième lieu, les dispositions de l'article 325-3 du règlement général de l'AMF en ne remettant pas à la Congrégation, ni à la Société coopérative agricole d'élevage du sud-ouest dès le début des relations avec ces deux clientes, divers documents d'information ainsi que, en troisième lieu, les dispositions précitées du 5° de l'article L. 541-8-5 en n'informant pas ces mêmes clientes des modalités et du montant des commissions perçues sur les investissements effectués. Elle fait également grief au CGFI d'avoir méconnu, en quatrième lieu, dans ses relations avec plusieurs autres clients, l'article 325-5 du règlement général de l'AMF énonçant que toutes les informations adressées par un conseiller en investissement doivent présenter " un caractère exact, clair et non trompeur ", en ne les informant pas de la possibilité de perte en capital des investissements proposés et en leur remettant des informations incohérentes, inexactes et imprécises sur l'évolution de leur participation et le montant des intérêts perçus ou à percevoir. La décision fait ensuite grief au CGFI d'avoir méconnu, en cinquième lieu, les dispositions de l'article L. 541-6 et celles du 2° de l'article L. 541-8-1 précitées en encaissant sur son compte les fonds de six clients pour un montant de 660 000 euros qui ne rémunéraient pas son activité et le faisait dès lors agir en dehors de son statut. Elle lui reproche enfin et en dernier lieu la méconnaissance des dispositions de l'article 143-3 du règlement général de l'AMF en raison de son manque de diligence et de loyauté à l'égard des contrôleurs auxquels ont été remis des documents antidatés.
6. La société CGFI et M. B... A... ne contestent pas la réalité des divers manquements ainsi constatés. Ils soutiennent cependant que la sanction d'interdiction d'exercer l'activité de conseiller en investissement pendant cinq ans ajoutée aux sanctions financières et à la publication sur le site de l'AMF de l'ensemble de ces sanctions, est disproportionnée au regard du caractère purement formel de ces manquements et à l'absence de tout préjudice subi par les clients. Ils font valoir, en outre, que la remise de documents antidatés résulte d'une maladresse commise de bonne foi pour régulariser leur situation administrative.
7. Toutefois la gravité des violations par les requérants de leurs obligations professionnelles légales et réglementaires énumérées aux points 4 et 5 ne saurait être atténuée par l'absence, à ce jour, de préjudice effectif pour leurs clients. Compte tenu tant de cette gravité que de la multiplicité de ces manquements et de leur réitération sur une période de plus de trois ans, le moyen tiré du défaut de proportionnalité n'est pas, en l'état de l'instruction, de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité des interdictions professionnelles prononcées.
8. Il résulte de ce qui précède qu'en l'absence de doute sérieux sur la légalité de la décision contestée, les conclusions à fin de suspension présentées par la société Groupe CGFI et M. B... A... ne peuvent qu'être rejetées, sans qu'il soit besoin d'examiner la condition d'urgence. Leurs conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, en conséquence, qu'être également rejetées. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge des requérants la somme que l'Autorité des marchés financiers demande en application de cet article.
O R D O N N E :
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Article 1er : La requête de la société Groupe CGFI et de M. B... A... est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Groupe CGFI, à M. B... A... et à l'Autorité des marchés financiers.