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27/08/2020 | FRANCE | N°443199

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 27 août 2020, 443199


Vu la procédure suivante :

Mme B... A... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Pau, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre au président du conseil départemental des Pyrénées-Atlantiques d'ordonner sa prise en charge ainsi que celle de ses deux enfants par le service de l'aide sociale à l'enfance et de lui attribuer un hébergement sans délai à compter de la notification de l'ordonnance, en application des dispositions de l'article L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles. Par une ordonna

nce n° 2001562 du 21 août 2020, le juge des référés du tribunal ad...

Vu la procédure suivante :

Mme B... A... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Pau, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre au président du conseil départemental des Pyrénées-Atlantiques d'ordonner sa prise en charge ainsi que celle de ses deux enfants par le service de l'aide sociale à l'enfance et de lui attribuer un hébergement sans délai à compter de la notification de l'ordonnance, en application des dispositions de l'article L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles. Par une ordonnance n° 2001562 du 21 août 2020, le juge des référés du tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande.

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 22 et 24 août 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;

2°) d'annuler cette ordonnance ;

3°) de faire droit à sa demande ;

4°) de mettre à la charge du département des Pyrénées-Atlantiques la somme de 1 200 euros à verser à son conseil au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- la condition d'urgence est remplie dès lors que la prise en charge dont elle bénéficiait, ainsi que ses enfants, au titre de l'hébergement d'urgence a pris fin le 22 août 2020 et qu'elle fait l'objet d'un refus de prolongation de cet hébergement la laissant sans aucune ressource et sans logement avec ses deux enfants âgés de cinq et deux ans et alors qu'elle est enceinte de trois mois ;

- le refus du président du conseil départemental des Pyrénées-Atlantiques porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit à un hébergement d'urgence et à l'intérêt supérieur de l'enfant.

Par mémoire en défense et un nouveau mémoire, enregistrés le 24 août 2020, le département des Pyrénées-Atlantiques conclut au rejet de la requête. Il soutient, à titre principal, que la condition d'urgence n'est pas remplie et qu'aucune atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale n'est caractérisée, d'autant que la prise en charge de cet hébergement d'urgence ne relève pas de la compétence du département mais de celle de l'Etat.

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, Mme A..., et d'autre part, le département des Pyrénées-Atlantiques ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 25 août 2020, à 10 heures :

- Me Froger, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de Mme A... ;

- Me Molinié, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocate du département des Pyrénées-Atlantiques ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a différé la clôture de l'instruction au 26 août 2020 à 12 heures ;

Vu le mémoire, enregistré le 25 août 2020, présenté pour Mme A... ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 26 août 2020, présentée pour le département des Pyrénées-Atlantiques ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'action sociale et des familles ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Il résulte de l'instruction que Mme A..., ressortissante nigériane, mère de deux enfants de cinq et deux ans, est arrivée, enceinte et accompagnée de ses enfants, à Pau, le

9 août 2020, en provenance de Bordeaux où elle a résidé durant plusieurs années. Dénuée de ressources, elle a, du 19 au 22 août, bénéficié d'un hébergement d'urgence octroyé par l'Etat, les services du département des Pyrénées-Atlantiques refusant, en revanche, de la prendre en charge au titre de l'aide sociale à l'enfance. Mme A... relève appel de l'ordonnance, en date du 21 août 2020, par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande tendant à ce qu'il soit enjoint, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, au président du conseil départemental des Pyrénées-Atlantiques d'ordonner sa prise en charge ainsi que celle de ses deux enfants par le service de l'aide sociale à l'enfance de ce département en application de l'article L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles et de lui attribuer un hébergement sans délai à compter de la notification de l'ordonnance.

2. Aux termes de l'article L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles : " Sont pris en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance sur décision du président du conseil départemental : / 4° Les femmes enceintes et les mères isolées avec leurs enfants de moins de trois ans qui ont besoin d'un soutien matériel et psychologique, notamment parce qu'elles sont sans domicile (...) ". Il résulte de ces dispositions que la prise en charge, qui inclut l'hébergement, le cas échéant en urgence, des femmes enceintes et des mères isolées avec leurs enfants de moins de trois ans qui ont besoin d'un soutien matériel et psychologique, notamment parce qu'elles sont sans domicile, incombe au département.

3. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ". A ce titre, une carence caractérisée dans l'accomplissement, par le département, de la mission qui lui incombe en application des dispositions citées au point 2 peut faire apparaître, pour l'application de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale lorsqu'elle entraîne des conséquences graves pour la personne intéressée.

4. En premier lieu, si le département des Pyrénées-Atlantiques soutient qu'il incombe à l'Etat d'accorder un hébergement d'urgence à Mme A..., il résulte de ce qui a été dit au point 2 que la prise en charge, qui inclut l'hébergement, le cas échéant en urgence, des femmes enceintes et des mères isolées avec leurs enfants de moins de trois ans qui ont besoin d'un soutien matériel et psychologique incombe, en principe, au département, l'intervention de l'Etat n'étant que supplétive. Par ailleurs, si, en vertu de l'article L. 122-1 du code de l'action sociale et des familles, le département compétent en matière d'aide sociale est celui du domicile de secours du bénéficiaire, les dispositions de l'article L. 122-4 du même code prévoient que " lorsque la situation du demandeur exige une décision immédiate, le président du conseil départemental prend ou fait prendre la décision. Si, ultérieurement, l'examen au fond du dossier fait apparaître que le domicile de secours du bénéficiaire se trouve dans un autre département, elle doit être notifiée au service de l'aide sociale de cette dernière collectivité dans un délai de deux mois. Si cette notification n'est pas faite dans les délais requis, les frais engagés restent à la charge du département où l'admission a été prononcée ". Il s'ensuit que le président du conseil départemental des Pyrénées-Atlantiques est compétent pour prendre une décision immédiate quant à la prise en charge au titre de l'aide sociale à l'enfance de Mme A... et de ses enfants, dès lors qu'ils se trouvent actuellement à Pau, alors même qu'il estimerait que le domicile de secours de Mme A... se trouve à Bordeaux. Dans cette dernière hypothèse, il lui est toutefois loisible, en cas de prise en charge de Mme A... au titre de l'aide sociale à l'enfance, d'engager à l'égard du département de la Gironde la procédure prévue à la deuxième phrase de l'article L. 122-4 du code de l'action sociale et des familles.

5. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que pour refuser de prendre en charge Mme A... et ses enfants au titre de l'aide sociale à l'enfance, le département des

Pyrénées-Atlantiques soutient que Mme A... ne dispose pas d'un titre l'autorisant à séjourner régulièrement sur le territoire français et que, partant, elle n'a pas vocation, sauf à justifier de circonstances exceptionnelles, à bénéficier des dispositifs d'hébergement d'urgence. Toutefois, les dispositions du 4° de l'article L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles ne subordonnent pas à de telles conditions la prise en charge des femmes enceintes et les mères isolées avec leurs enfants de moins de trois ans qui ont besoin d'un soutien matériel et psychologique, notamment parce qu'elles sont sans domicile.

6. En dernier lieu, le département des Pyrénées-Atlantiques fait valoir que

Mme A... a contribué à la situation qu'elle dénonce, en quittant la ville de Bordeaux où elle résidait antérieurement et où, connue des services sociaux, elle aurait pu bénéficier d'aides, même si sa prise en charge par l'aide sociale à l'enfance, qui prenait la forme notamment d'aides au logement, avait cessé au début du mois d'août. Cependant, il résulte de l'instruction et n'est pas contesté que Mme A... est enceinte, qu'elle est accompagnée de ses deux enfants dont l'un a moins de trois ans, qu'elle est dénuée de ressources et qu'à ce jour, elle ne dispose, pour elle-même et pour ses enfants, d'aucune solution d'hébergement d'urgence, que ce soit à Pau, où elle se trouve actuellement, ou, d'ailleurs, à Bordeaux où elle se trouvait antérieurement et qu'ainsi les conditions prévues au 4° de l'article L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles sont remplies.

7. Eu égard à l'ensemble de ces éléments, la carence du département des Pyrénées-Atlantiques à prendre en charge Mme A... et ses enfants doit être regardée comme étant caractérisée et constitutive d'une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. Il en résulte que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande.

8. Il y a lieu d'enjoindre au président du conseil départemental des

Pyrénées-Atlantiques, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, dans un délai de vingt-quatre heures à compter de la notification de la présente ordonnance, l'hébergement d'urgence de Mme A... et de ses enfants.

9. Dans les circonstances de l'espèce et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la demande d'admission provisoire à l'aide juridictionnelle, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

O R D O N N E :

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Article 1er : L'ordonnance n° 2001562 du 21 août 2020 du juge des référés du tribunal administratif de Pau est annulée.

Article 2 : Il est enjoint au président du conseil départemental des Pyrénées-Atlantiques d'assurer l'hébergement de Mme A... et de ses deux enfants dans un délai de vingt-quatre heures à compter de la notification de la présente ordonnance.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme A... est rejeté.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme B... A... et au département des Pyrénées-Atlantiques.


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 443199
Date de la décision : 27/08/2020
Type d'affaire : Administrative

Publications
Proposition de citation : CE, 27 aoû. 2020, n° 443199
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP FOUSSARD, FROGER ; SCP PIWNICA, MOLINIE

Origine de la décision
Date de l'import : 10/09/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2020:443199.20200827
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