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07/08/2020 | FRANCE | N°441905

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 07 août 2020, 441905


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 17 juillet et 3 août 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Caisse de retraite complémentaire des employés des huissiers de justice (CARCO) demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) d'ordonner la suspension de l'exécution de la décision du 21 février 2020 par laquelle le collège de supervision de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) a exigé qu'e

lle soumette à son approbation, dans un délai de deux mois, un plan de rétabliss...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 17 juillet et 3 août 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Caisse de retraite complémentaire des employés des huissiers de justice (CARCO) demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) d'ordonner la suspension de l'exécution de la décision du 21 février 2020 par laquelle le collège de supervision de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) a exigé qu'elle soumette à son approbation, dans un délai de deux mois, un plan de rétablissement qui devra viser à ramener, dans un délai de six mois, ses fonds propres éligibles au niveau du capital de solvabilité requis ou à réduire son profil de risque pour garantir la couverture du capital de solvabilité requis, ensemble la décision du 11 mars 2020 par laquelle le vice-président de cette autorité a précisé les mesures que ce plan de rétablissement devra comporter ;

2°) de mettre à la charge de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la condition d'urgence est remplie dès lors, en premier lieu, que les trois solutions proposées par l'ACPR pour l'établissement d'un plan de rétablissement préjudicieraient de manière grave et irréversible à sa situation, en deuxième lieu, que l'ACPR ne lui a accordé qu'un délai de deux mois pour établir et soumettre un plan de rétablissement qui devra prendre effet dans un délai de six mois et qui bouleversera un processus réglementé et suivi par l'ACPR depuis 2007, dont la mise en oeuvre devait se poursuivre jusqu'en 2026 et dont les résultats ont été jugés satisfaisants par l'ensemble des parties, en troisième lieu, qu'elle n'est pas à l'origine de la situation d'urgence dont elle se prévaut et, en dernier lieu, qu'aucun intérêt public ne s'attache à l'exécution immédiate des dispositions contestées ;

- il existe un doute sérieux quant à la légalité des décisions contestées ;

- les décisions attaquées méconnaissent les dispositions de l'article 18 du règlement délégué UE 2015/35 de la Commission du 10 octobre 2014 complétant la directive 2009/138/CE du 25 novembre 2009, en ce qu'elles s'appuient sur le fait qu'elle n'avait pas la possibilité d'intégrer les primes futures jusqu'à la fin du plan de provisionnement au

31 décembre 2026 dans son bilan prudentiel et son calcul du capital de solvabilité requis alors qu'elle ne peut ni résilier unilatéralement les contrats en cause, ni refuser les primes ni modifier unilatéralement la valeur du point ou les prestations versées ;

- elles sont entachées d'une erreur de droit ou tout du moins d'une erreur d'appréciation en ce qu'elles lui imposent un plan de redressement alors qu'elle est déjà soumise à un plan de provisionnement en date du 23 mai 2007, conclu le 29 juin 2006 avec les partenaires sociaux, dont l'effet contraignant perdurera jusqu'à la fin 2026 ;

- elles prévoient des mesures disproportionnées par rapport au but poursuivi par l'ACPR dès lors que des mesures moins contraignantes que l'obligation qui lui est imposée de soumettre à l'approbation de l'ACPR dans un délai de deux mois un plan de rétablissement, telles que la révision de son traité de réassurance, une réorientation de sa politique d'investissement de ses liquidités vers des actifs obligatoires, pouvaient être mises en oeuvre.

Par un mémoire en défense, enregistré le 30 juillet 2020, l'ACPR conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 4 000 euros soit mise à la charge de la CARCO au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que la condition d'urgence n'est pas remplie et qu'aucun des moyens de la requête n'est de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité des dispositions contestées.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la directive 2009/138/CE du 25 novembre 2009 ;

- le règlement délégué (UE) 2015/35 du 10 octobre 2014 ;

- le code des assurances ;

- le code monétaire et financier ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le décret n° 2006-1499 du 29 novembre 2006 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la Caisse de retraite complémentaire des employés des huissiers de justice (CARCO), et d'autre part, l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR).

Ont été entendus lors de l'audience publique du 5 août 2020, à 10 heures :

- Me Piwnica, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la CARCO ;

- les représentants de la CARCO ;

- Me Rocheteau, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de l'ACPR ;

- les représentants de l'ACPR ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

2. La caisse de retraite complémentaire des employés des huissiers de justice (CARCO), qui a été fondée en 1961 à cette fin, gère le régime de retraite complémentaire institué par la convention collective nationale du personnel des huissiers de justice. En 2007, en application du décret du 29 novembre 2006 relatif aux dispositions applicables à certaines opérations régies par l'article L. 932-24 du code de la sécurité sociale applicable aux régimes collectifs obligatoires en vertu d'une convention collective dont les engagements sont gérés par une institution de prévoyance et pour lesquels la provision technique spéciale (PTS) a été inférieure à la provision mathématique théorique (PMT) au cours de chacun des deux derniers exercices clos, un plan de provisionnement valable jusqu'au 31 décembre 2026 a été élaboré, sous la forme d'un avenant à la convention collective en cause étendu par un arrêté ministériel, plan qui a été adopté par la commission paritaire de la CARCO et approuvé par l'autorité de contrôle alors compétente, conformément aux prévisions du décret de 2006. Ce plan prévoit notamment une baisse de 20 % de la valeur du point ainsi que le versement à la CARCO de " sur-cotisations " non génératrices de droits jusqu'au 31 décembre 2026. En 2019, à la suite notamment de l'entrée en vigueur du règlement délégué (UE) 2015/35 de la Commission complétant la directive 2009/138/CE du Parlement européen et du Conseil sur l'accès aux activités de l'assurance et de la réassurance et leur exercice (solvabilité II), l'ACPR a estimé que la CARCO ne pouvait plus intégrer dans son bilan prudentiel les flux liés aux sur-cotisations qu'elle doit percevoir dans les années qui viennent et jusqu'à la fin de l'année 2026 en application du plan de provisionnement du régime de retraite, dites " primes futures ", contrairement à ce que pratiquait la CARCO. Si le taux de couverture du capital de solvabilité requis (SCR) était de près de 120 % en tenant compte des " primes futures ", il n'était, selon l'estimation de l'ACPR, que de moins de 40 % en les excluant. Des échanges ont eu lieu au cours de l'année 2019 entre les services de l'ACPR et les autorités de la CARCO sur cette différence d'interprétation, la CARCO se prévalant d'études d'actuaires indépendants pour contester l'interprétation de l'autorité de contrôle, sans toutefois parvenir à une lecture convergente. Le collège de supervision de l'ACPR a alors décidé, par une délibération du 21 février 2020, que le c) du paragraphe 3 de l'article 18 du règlement délégué s'opposait à ce que la CARCO prenne en compte, dans le calcul de sa solvabilité, les " primes futures " prévues par le plan de provisionnement et d'exiger en conséquence de la CARCO, sur le fondement des articles L. 352-7 et R. 352-33 du code des assurances, qu'elle soumette à son approbation, dans un délai de deux mois, un plan de rétablissement permettant, dans un délai de six mois, d'atteindre le taux de 100 % de solvabilité sans prendre en compte les " primes futures ", délibération qui a été notifiée à la CARCO par un courrier du vice-président de l'ACPR en date du 11 mars. La CARCO demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de cette décision.

3. En premier lieu, s'agissant de l'existence d'une situation d'urgence, il résulte de l'instruction, et notamment des échanges lors de l'audience publique, que le plan de redressement exigé de la CARCO par la délibération en cause du collège de supervision de l'ACPR impliquerait, afin que la CARCO soit en mesure de remplir l'exigence d'un taux de solvabilité de 100 % sans prendre en compte les " primes futures " résultant du plan de provisionnement, des mesures structurelles allant au-delà d'une simple renégociation du traité de réassurance existant entre la CARCO et la société AXA impliquant notamment soit d'importantes cessions des actifs immobiliers détenus par la CARCO soit le rapprochement voire la fusion de la CARCO avec d'autres organismes d'assurance ou de réassurance. Eu égard à la nature de ces mesures, l'exécution de la décision en cause est ainsi susceptible d'avoir pour la CARCO et les intérêts qu'elle défend des conséquences graves et difficilement réversibles. Si l'ACPR fait valoir l'urgence qui s'attacherait à l'exécution de la décision en cause, il résulte de l'instruction, et notamment des échanges lors de l'audience publique, qu'un risque de défaillance de la CARCO ne serait envisageable au cours des mois qui viennent que dans des hypothèses extrêmes dont la réalisation est hautement improbable et que, même dans cette hypothèse, le traité de réassurance conclu par la CARCO permettrait de garantir le versement des pensions. Par suite, la condition d'urgence doit être regardée comme remplie.

4. En second lieu, s'agissant de l'existence d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux sur la légalité de la décision en cause, il résulte de la lettre de notification du 11 mars 2020 que le collège de supervision de l'ACPR s'est fondé sur ce que le c) du paragraphe 3 de l'article 18 du règlement délégué ferait obstacle à ce que la CARCO continue de prendre en compte les " primes futures " issues du plan de provisionnement dans le calcul de sa solvabilité.

5. L'article 18 du règlement délégué a pour objet de définir les " limites d'un contrat d'assurance ou de réassurance " afin de déterminer quels contrats doivent être pris en compte pour le calcul de la solvabilité d'une entreprise d'assurance ou de réassurance et dans quelles limites. Son paragraphe 3 précise ainsi que les engagements relatifs à une couverture d'assurance fournie par l'entreprise d'assurance ne font pas partie du contrat à partir de " c) la date future à laquelle l'entreprise d'assurance ou de réassurance a un droit unilatéral de modifier les primes ou les prestations à payer au titre du contrat, de manière à ce que les primes reflètent pleinement les risques. / Le point c) est réputé s'appliquer lorsqu'une entreprise d'assurance ou de réassurance a un droit unilatéral de modifier, à une date future, les primes ou les prestations afférentes à un portefeuille d'engagements d'assurance ou de réassurance, de manière à ce que les primes afférentes au portefeuille reflètent pleinement les risques couverts par celui-ci. " Il résulte de la lettre de notification du 11 mars 2020, que le collège de supervision de l'ACPR estime que la CARCO peut modifier unilatéralement, par une décision de sa seule commission paritaire uniquement soumise à une approbation de l'ACPR, la valeur d'acquisition de nouveaux points et qu'elle ne peut, dès lors, en application du c) du paragraphe 3 de l'article 18 du règlement délégué, retenir les " primes futures " dans le calcul de son taux de solvabilité.

6. La CARCO soutient que cette décision méconnaît les dispositions du c) du paragraphe 3 de l'article 18 du règlement délégué dans la mesure où elle ne peut, jusqu'au

31 décembre 2026, modifier la valeur d'acquisition des nouveaux points de manière unilatérale dès lors que ces éléments sont fixés par le plan de provisionnement et que toute modification de ce plan exigerait, outre une délibération de sa commission paritaire et une approbation par l'ACPR dans les conditions prévues à l'article 10 du décret du 29 novembre 2006, une modification de l'avenant à la convention collective nationale du personnel des huissiers de justice qui avait été conclu en 2007 par les partenaires sociaux à la convention collective nationale pour arrêter le contenu du plan, avenant étendu par arrêté ministériel. En l'état de l'instruction, et alors qu'il en résulte qu'il s'agit du premier cas d'application par l'ACPR des dispositions en cause du règlement délégué, le moyen parait de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision en cause en attendant que le Conseil d'Etat statue au fond.

7. Il résulte de ce qui précède que la CARCO est fondée à demander la suspension de l'exécution de la délibération du conseil de supervision de l'ACPR en date du

21 février 2020 notifiée par un courrier en date du 11 mars 2020.

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'ACPR le versement de la somme de 3 000 euros à la CARCO au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les dispositions de cet article font en revanche obstacle à ce qu'il soit fait droit à la demande présentée sur leur fondement par l'ACPR.

O R D O N N E :

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Article 1er : L'exécution de la délibération du 21 février 2020 du Collège de supervision de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution et du courrier du 11 mars 2020 est suspendue.

Article 2 : L'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution versera la somme de 3 000 euros à la Caisse de retraite complémentaire des employés des huissiers de justice au titre de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Les conclusions présentée par l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à la Caisse de retraite complémentaire des employés des huissiers de justice et à l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution.


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 441905
Date de la décision : 07/08/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 07 aoû. 2020, n° 441905
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP PIWNICA, MOLINIE ; SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO

Origine de la décision
Date de l'import : 15/08/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2020:441905.20200807
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